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FESTIVAL DE RUE - Junaid Sarieddine a posé des banderoles signées Lorca partout en ville Un peu de poésie dans ce monde de brutes

«Le théâtre c’est la poésie qui sort du livre pour descendre dans la rue.» Cette citation de Garcia Lorca n’a jamais été aussi à-propos. Dans le cadre du Festival de rue de Beyrouth, un jeune artiste libanais, Junaid Sarieddine, a investi les rues d’une manière assez particulière: il a fait accrocher dans la ville soixante banderoles portant chacune une citation poétique frugalement signée Lorca. Sarieddine a ainsi fait descendre la poésie dans la rue dans un acte purement théâtral. On les remarque. On les commente. Elles dérangent parfois. Et parfois on sourit. Mais, le plus souvent, on les oublie aussitôt après les avoir lues. Les banderoles qui fleurissent à chaque coin de rue font partie du décor de la ville. De son (dés)aménagement urbain. Ces banderoles, ces slogans politiques, ces envolées lyriques rendent Junaid Sarieddine perplexe. Il les considère comme des extensions des langues de bois des hommes politiques. «Dans le brouhaha ambiant, je lève le doigt demandant la permission de parler. Ou plutôt de donner la parole à Lorca.» Il a donc conçu 60 banderoles portant 60 citations du poète Garcia Lorca. Il a d’abord choisi les poèmes bucoliques. Des vers inspirés par les fleurs, le vent, les nuages… Puis petit à petit, au fur et à mesure, le choix est devenu plus personnel, plus subjectif. Il fallait aussi faire attention à certains endroits sensibles ou symboliques. Par exemple devant une mosquée ou une église. Ou du côté de la baie du Saint-Georges ou la place des Martyrs. Sa performance prend ainsi l’aspect d’une intrusion. «Je m’introduis dans ce domaine qui est réservé à certaines catégories de gens et j’emprunte ce support qui est le leur.» L’accrochage s’est donc déroulé sur deux semaines. Ces jours-là, des jeunes hommes portant des foulards sont descendus dans la rue, échelle, banderoles, ficelles et tout l’attirail en main, dans une procession silencieuse et étrange. Pourquoi portaient-ils le voile? «Pour attirer l’attention des passants. Mais aussi parce que nous sommes des acteurs. Nous jouons un rôle.» Ils interprètent des gens aux cerveaux voilés. Ils accrochent d’une manière aveugle des phrases dont ils ne captent pas toute l’ampleur, toute la signification. Pourquoi des poèmes de Lorca? «Né en 1898, Lorca est déjà, quand la haine fasciste l’assassine en 1936 (mais il n’était ni engagé, ni militant: il se voulait libre), un des plus grands, un des plus purs poètes de notre temps, indique Sarieddine. Lorca ne s’est jamais adonné à la politique. Mais l’ironie du sort a voulu qu’il soit tué par l’idéologie des franquistes». C’est cette contradiction qu’il a voulu souligner à travers son choix du poète. Par ailleurs, l’inspiration essentielle du poète espagnol réside dans un sens exceptionnel de l’âme populaire. «Telle était sa signification, connue mais non comprise par ceux qui l’ont fusillé; la cause non anecdotique de sa mort. La voix du peuple invoque spontanément la nuit, la lune, la mer. Le peuple éternel vit dans la familiarité des éléments éternels: c’est à eux qu’il songe dès qu’il veut chanter, c’est à eux qu’il compare la force et la durée de ses amours.» Quelques problèmes «techniques» (la routine administrative concernant les autorisations de la municipalité) ont retardé l’installation. Junaid et ses collaborateurs se sont vus interpeller par les forces de sécurité tous azimuts. Les officielles et celles qui le sont moins. Si l’on comprend l’intervention des premières, on sympathise moins avec les secondes. Celles-là qui considèrent que tel quartier leur appartient. Et qui regardent toute incursion étrangère comme suspecte, voire hostile et non bienvenue. Ces vers poétiques sont ouverts. Ils commencent ou se terminent par des points de suspension. Ils sont souvent incompréhensibles à la première lecture. «Mais n’est-ce pas là une des principales caractéristiques de l’art? s’interroge le jeune artiste. Il nous incite à poser des questions, à soulever des problèmes. À faire fonctionner nos méninges». Cette intrusion – et là Sarieddine insiste sur la définition du mot qui est le fait pour une personne ou un objet de pénétrer dans un espace (physique, logique, relationnel) défini où sa présence n’est pas souhaitée – lui a fait prendre conscience d’un sentiment larvé. En se voyant interdire l’accès à cet espace public, il s’est senti comme un étranger dans sa propre ville. Maya GHANDOUR HERT
«Le théâtre c’est la poésie qui sort du livre pour descendre dans la rue.»
Cette citation de Garcia Lorca n’a jamais été aussi à-propos. Dans le cadre du Festival de rue de Beyrouth, un jeune artiste libanais, Junaid Sarieddine, a investi les rues d’une manière assez particulière: il a fait accrocher dans la ville soixante banderoles portant chacune une citation poétique...