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Actualités - OPINION

Impression Le Miroir et les Alouettes

Ce ruban de quelques dizaines de kilomètres, broussailles, rivières sans gué, chemins de traverse, collines caillouteuses, passages de bergers, ce n’est pas Melilla. La frontière qui nous sépare de la Syrie ressemble au fil à couper le beurre, si mince qu’elle en est imperceptible. La Syrie, vue du ciel, un grand peuple laborieux, austère, économe, d’agriculteurs et d’artisans, d’industriels paternalistes, de commerçants traditionnels et d’ouvriers disciplinés, de militaires surtout, dont les rangs ne forment qu’une seule tête. Pour huiler cette mécanique, la Syrie a vu dans le modèle soviétique le système idéal pour occulter les différences, étouffer dans l’œuf les élans identitaires, et serrer son tissu social dans le baluchon d’un État providence. Si loin si près, le Liban, toujours dans le cliché, est à l’antipode de l’image syrienne. Ses différences, il les revendique. Ses identités diverses, il leur donne la parole, et leur part de pouvoir. Son char conduit par des chevaux rétifs, il tente, tant bien que mal, de le dompter. Sa vocation est toute dans cette acrobatie permanente, dans cette constitution unique où le chou a les mêmes droits que la chèvre, à charge pour chacun de préserver l’existence de l’autre. Dans la Syrie feutrée où règne un silence prudent, on n’aspire qu’à la tranquillité, pourvu que rien ne rompe la routine. Dans le Liban tumultueux, on veut du neuf, sans cesse, du coûteux, du vain, du superflu. Nos terres arables s’amenuisent. Nous ne savons plus cultiver. Nous ne savons plus produire, mais il nous faut consommer. Cette prodigalité nous est nécessaire. Voilà pourquoi la corruption reste notre talon d’Achille. Notre étoile à nous brille comme brille l’or et brûle les ailes des phalènes ingénues. Siamois séparés par un simple miroir. L’histoire de nos deux pays est celle d’une inversion. Toutes les contradictions de la mythologie sont les nôtres. Janus en Syrie regarde vers l’intérieur et s’enlise dans le passé. Au Liban il regarde le large et appelle l’avenir. Dionysos Bacchus a élu nos plaines pour y semer son joyeux désordre, son gai bordel, sa créativité intuitive. Apollon préfère la Syrie, ses canons établis, ses règles d’or, son organisation implacable. C’est là que Sparte aurait pu s’épanouir, mordant sur ses diverses plaies. Athènes aurait choisi nos bords, plus propices à la fête. Mais si Éros a préféré Beyrouth pour sa pulsion de vie, sa propension à la décadence, ses haines fusionnelles, ses débordements amoureux et ses turbulentes promiscuités, Thanatos, qui n’est pas un dieu, couvre Damas de sa chape austère. Voilà pourquoi, comme les deux faces d’une médaille, nos deux pays ne peuvent se rencontrer. Voilà pourquoi il y a entre nous des attirances, des fascinations, des élans et des répulsions, voilà pourquoi surtout, comme la vie et la mort, nous sommes inexorablement liés. Fifi ABOU DIB
Ce ruban de quelques dizaines de kilomètres, broussailles, rivières sans gué, chemins de traverse, collines caillouteuses, passages de bergers, ce n’est pas Melilla. La frontière qui nous sépare de la Syrie ressemble au fil à couper le beurre, si mince qu’elle en est imperceptible. La Syrie, vue du ciel, un grand peuple laborieux, austère, économe, d’agriculteurs et d’artisans,...