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Actualités - CHRONOLOGIE

La Commission européenne lance un prix ouvert aux journalistes et aux étudiants Le prix Samir Kassir, pour faire enfin admettre que la liberté d’expression est un « principe non négociable »

«Il est temps de réaliser et d’admettre que la liberté d’expression n’est pas un détail de la coopération avec l’Europe ni une option du dialogue. Il s’agit d’un droit inaliénable, d’un principe non négociable. » C’est par ces mots, qui se passent de tout commentaire, que le chef de la délégation de la Commission européenne au Liban, Patrick Renauld, a marqué le lancement hier du « prix Samir Kassir pour la liberté de la presse », dans le cadre d’une conférence de presse au siège de la Commission, à Saïfi, en présence notamment des parents et proches du journaliste assassiné le 2 juin dernier dans un attentat à la voiture piégée. Patrick Renauld et la Commission européenne ont ainsi exprimé hier, à travers un acte fondateur, tout le ras-le-bol de la presse et des médias, sinon de la société libanaise tout entière, dégoûtée par ces attentats successifs contre la liberté de pensée, mais qui refuse obstinément de se laisser abattre, et qui entend réagir par des actes d’espoir et de vie. D’où l’idée de la Commission européenne et des amis de Samir Kassir – avec le soutien de l’ambassade de France – de parrainer un prix, destiné à légitimer la liberté de pensée et à encourager la liberté de la presse dans les pays MEDA ayant souscrit au Partenariat euro-méditerranéen, pour marquer leur révolte permanente face à « la violence, l’intimidation, la menace et toutes les tentatives répétées et constantes de verrouiller la liberté d’expression ». Et quel meilleur ambassadeur pour un tel prix que l’éditorialiste martyr d’an-Nahar, qui, par la seule force de son vécu, de sa pensée, de ses écrits, du souvenir qu’il laisse, poursuit la mission qu’il s’était assignée de son vivant pour lutter contre le « malheur arabe », et opposer une culture de vie dynamique au statisme des terrorismes d’États ? Perpétuer l’engagement du penseur Samir Kassir était d’une telle polyvalence, aussi bien dans le caractère que dans le talent, qu’il était bien difficile de le cerner, de le réduire à une seule dimension. Avec sa soif insatiable d’humanisme et de savoir, il était comme ces hommes universels qui portent en eux et avec eux les bourgeons du printemps naissant. Ce n’est donc pas le moins du monde un hasard si la fonction latente du « prix Samir Kassir pour la liberté de la presse » sera de perpétuer l’engagement du penseur en faveur de l’État en droit, en tant que journaliste, mais aussi en tant qu’enseignant en sciences politiques. Le prix récompensera ainsi un reportage ou une série de reportages relatifs à l’État de droit en pays MEDA, ainsi que des recherches sur l’État de droit ou la liberté de la presse dans les pays MEDA. Deux prix dotés chacun de 10 000 euros seront décernés, le premier à un journaliste professionnel de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, ressortissants des pays MEDA, et le deuxième à un jeune chercheur ou étudiant, ressortissant des pays MEDA. Le jury sera choisi conjointement par la Commission européenne et la Fondation Samir Kassir. Les modalités de participation seront précisées ultérieurement. Les candidats qui peuvent prétendre au prix Samir Kassir sont des journalistes pigistes, free-lance ou titulaires, ainsi que des éditorialistes indépendants, qui ont publié ou diffusé dans des organes de presse des pays desquels ils sont ressortissants ou des pays membres de l’UE. Quant aux étudiants (inscrits en université d’État ou privée), ils doivent être âgés de moins de 26 ans. Le jury sera quant à lui composé de 11 membres votants : 6 journalistes méditerranéens et européens (2 presse écrite, 2 radio, 2 télévision), 2 membres de la Fondation Samir Kassir, 3 membres d’ONG européenne et libanaise. Il comptera également un représentant de la délégation de la Commission européenne en tant que membre non votant. Renauld : « Un prix de résistance » Prenant la parole, M. Renauld a d’abord adressé une pensée émue « à tous celles et ceux qui ont payé de leur vie leur liberté ». « Ce nouveau prix de la Commission européenne, qui inscrira encore plus fort le nom de Samir Kassir dans les mémoires du monde arabe, est un prix de la résistance. La résistance des mots contre les armes, contre l’obscurantisme, contre la barbarie. Il n’est plus admissible aujourd’hui, au Liban comme partout ailleurs, que des femmes et des hommes puissent encore être menacés de mort lorsqu’ils s’engagent dans la vie politique ou proposent une autre vision du monde », a-t-il affirmé, avant d’avoir une pensée pour May Chidiac. « Lorsque Voltaire affirmait : “Je ne suis pas d’accord avec toi, mais je me battrai pour que tu puisses donner ton opinion”, le philosophe résumait les bases d’un État de droit sur lequel tous les pays méditerranéens se sont engagés en souscrivant au Partenariat euro-méditerranéen et à la Politique européenne de voisinage. J’en appelle aux politiques : il est temps de réaliser et d’admettre que la liberté d’expression n’est pas un détail de la coopération avec l’Europe ni une option de dialogue. C’est un droit inaliénable. Un principe non négociable. Et c’est ce message que la Commission européenne entend donner avec ce prix », a-t-il souligné. Patrick Renauld a précisé que le prix sera décerné le 2 juin à Beyrouth, le jour de l’assassinat de Samir Kassir, « pour que chaque anniversaire de sa disparition soit aussi la naissance d’un talent, d’un homme ou d’une femme qui aura porté une pierre à l’édifice de l’État de droit ». L’hommage de Ghassan Tuéni C’est un hommage à l’esprit universel, au sens critique et à la capacité d’analyse du journaliste et de « l’historien de l’immédiat » que le rédacteur en chef du quotidien an-Nahar, Ghassan Tuéni, a ensuite rendu à Samir Kassir et à « l’idéal » qu’il représente. « C’est ce qui faisait sa force et son génie, et c’est ce qui sera la substance de sa mémoire », a-t-il indiqué. S’adressant à Patrick Renauld, M. Tuéni a ensuite affirmé : « Vous nous donnez confiance et espoir, au milieu du silence arabe (…). Nous pensons que notre liberté n’est pas négociable. » Et de citer Kant, en évoquant « l’impératif catégorique de défense de la liberté », qui est « un devoir ». Dans ce sens, « Samir est un exemple, et j’espère que ce prix rendra son image plus grande encore », a ajouté M. Tuéni, en remerciant enfin « l’Europe et la France qui nous donnent espoir ». Des pistes sérieuses dans l’enquête française C’est également sous le signe de l’espoir que Gisèle Khoury-Kassir place son intervention, mettant elle aussi l’accent sur l’inévitable combat à mener « pour la liberté, la démocratie et, surtout, le respect ». Un combat pour lequel Samir Kassir « a donné ce qu’il a de plus cher, sa vie, sans aucun compromis, pour briser le mur de la peur, pour la liberté, la transparence et la démocratie ». « Nous continuerons tous, jusqu’à la victoire, qui, j’espère, est proche. Mais pour que notre société guérisse, il faut aussi savoir qui a donné l’ordre, qui a assassiné Samir Kassir et pourquoi », a-t-elle souligné. Concernant l’enquête, Mme Khoury a précisé que « l’enquête libanaise commence à avancer sérieusement », et qu’en France, « le dossier est presque prêt pour que la police française arrive à Beyrouth, avant décembre ». « Beaucoup de témoins ont été entendus, à Paris et à Beyrouth, et il existe des pistes sérieuses sur l’assassinat et l’identité des organisateurs », a-t-elle noté. La journaliste a enfin indiqué qu’une Fondation Samir Kassir était sur le point de voir le jour, avec un Board of Trustees formé de 50 personnes. Elle a également indiqué qu’un numéro spécial de L’Orient-Express sur le thème « Le Printemps inachevé de Beyrouth » et dédié à l’éditorialiste allait paraître pour le Salon du livre, sous le parrainage de l’ancien ministre Michel Eddé, sans oublier la parution de traductions des ouvrages de Kassir, Histoire de Beyrouth et Considérations sur le malheur arabe dans plusieurs langues, notamment en arabe et en espagnol. Walid Kassir : « Samir était mon héros » « Il était pour moi bien plus qu’un frère ordinaire ». C’est ainsi que le frère du disparu, Walid Kassir, professeur à la faculté de droit de l’USJ, a commencé ce qui reste certainement l’un des hommages les plus touchants, les plus vrais adressés à la mémoire de Samir Kassir. « Dès ma plus tendre adolescence, il a été pour moi un héros dans tous les sens du terme et surtout un véritable maître à penser », a-t-il indiqué. Walid Kassir a ensuite essayé de brosser quelques-unes des facettes de son frère : le journaliste symbole de la liberté d’expression, le professeur adulé par ses étudiants – à tel point que « c’est la vue d’un de ses étudiants injustement malmené qui lui a fait écrire un de ses éditoriaux les plus percutants » – ou encore l’écrivain engagé. « Il a si bien approfondi l’histoire de son Beyrouth, de son Liban et de sa région, qu’il a fini par y entrer par la grande porte : d’abord en s’engageant de tout son cœur pur dans le Printemps de Beyrouth, puis en en payant le prix si lourdement. Nous avions ainsi oublié l’espace d’un printemps, enivrés par l’air de la liberté, que la place du 14 mars s’appelait la place des Martyrs », a-t-il indiqué. Évoquant enfin la volonté de l’essayiste d’extirper le monde arabe de son « malheur », il a ajouté : « Seuls l’État de droit et l’aspiration inséparable à un développement équilibré et durable permettront au monde arabe de retrouver la place dont il est digne dans la civilisation mondiale. » Et de conclure : « À Samir, toi dont le prénom résonne toujours comme “Amir” (prince), nous te promettons de tout faire pour que ton rêve devienne un jour réalité, que ton “Indépendance 05” fleurisse de plus en plus dans le monde arabe pour qu’une véritable nahda y aboutisse cette fois, sur tous les plans. » Avec une passion sans égale, Samir Kassir a enseigné à ses étudiants de l’USJ la « nahda », rêvant sans cesse d’une nouvelle renaissance en puissance, en devenir, à l’échelle régionale. Le voilà qui, par une de ces pirouettes cruelles et merveilleuses de l’histoire, en est devenu l’un des principaux précurseurs et prédicateurs, l’un des premiers guides. Michel HAJJI GEORGIOU
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