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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Elle a animé un stage rédactionnel à l’International College Georgia Makhlouf ou comment démythifier l’acte d’écrire

« Imaginez la rencontre entre un parapluie et une machine à coudre. » Mieux encore : « Racontez le meurtre que vous venez de commettre. » Voilà des exemples de sujets de dissertation que l’on trouvera rarement traités au sein d’une école. Mais c’est pourtant ce genre de proposition d’écritures farfelues que Georgia Makhlouf donne à fignoler au cours de ses ateliers qu’elle anime. Cette pro de marketing et de communication, directrice de l’école Élisabeth Bing à Paris, vient souvent à Beyrouth pour animer des ateliers d’écriture en collaboration avec la Maison du livre. Cette fois-ci, et il s’agit d’une nouveauté, c’est une école, l’International College, qui a sollicité ses connaissances dans le domaine de l’écriture créative. La formation qu’elle inculque permet, en résumé, de « démythifier » l’acte d’écrire en partant du principe qu’on ne naît pas écrivain, mais on le devient. Et l’école d’aujourd’hui devrait ouvrir, pourquoi pas, l’espace à cette possibilité. Très souvent, lorsqu’on a un texte à écrire, on se trouve confronté à un obstacle initial à surmonter : « Quoi dire ? » Comme la source de nos idées réside dans notre imagination, nous en déduisons facilement que nous n’en avons pas ou peu. Ou bien le contraire. Nous n’arrivons pas à canaliser toutes nos idées : « Par quoi commencer?», «Quoi dire en premier?» De plus, lorsqu’il s’agit d’exprimer nos idées par écrit, nous nous censurons facilement. «Est-ce logique? Raisonnable? Convenable?» Ce sont les questions que nous nous posons immédiatement. Nous mettons ainsi « la charrue devant les bœufs»: cela s’appelle l’autocensure. C’est une des raisons du « blocage » face à l’écriture. On reste « sec ». C’est la fameuse angoisse de la page blanche. Selon Georgia Makhlouf, les ateliers d’écriture nous aident à dépasser les inhibitions : « La créativité, ça ne se commande pas », dit-on. « Nous sommes pourtant tous potentiellement “ créatifs ” et notre créativité peut être favorisée par certaines méthodes qui nous aident à dépasser nos inhibitions », rétorque la spécialiste. Ces méthodes font appel soit à l’imagination « débridée » soit à des « recettes » facilitant l’invention. Elles permettent ainsi de « démythifier » l’acte d’écrire. « Il faut comprendre que la France est un pays de tradition élitiste par rapport à l’écriture, dit-elle encore. On considère que si on écrit, c’est qu’on est génial. Mais on ne conçoit pas que l’écriture puisse s’apprendre. C’est un modèle fondé sur l’inspiration et le talent individuel. » En revanche, le modèle « américain » est fondé sur le travail et la compétence professionnelle. Ceux qui se sont intéressés aux ateliers d’écriture dans les années 1960-1970 (dans le grand mouvement soixante-huitard) avaient un objectif général qui était la démocratisation de l’acte d’écrire. Il y avait donc une dimension politique. Les ateliers d’écriture tels qu’on les pratique aujourd’hui ont deux origines. La première est littéraire. Elle remonte aux surréalistes et au mouvement Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Ces écrivains se réunissaient pour travailler ensemble et se donner des contraintes. Un auteur oulipien, c’est quoi ? C’est, selon leur propre définition, « un rat qui construit lui-même le labyrinthe d’où il se propose de sortir ». Un labyrinthe de quoi ? De mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie… « Le représentant le plus connu de cette approche est Raymond Queneau. Le texte le plus connu est Exercice de Style à travers lequel Queneau a montré avec beaucoup de brio qu’il y a 90 façons de raconter un récit très simple ». La deuxième origine des ateliers se situe en 1969, avec Élisabeth Bing, pionnière des ateliers d’écriture en France. Qui écrit et quoi Comment se déroulent les séances dans les ateliers d’écriture en général ? « L’atelier le plus courant est un atelier “d’écriture spontanée” qui se déroule en trois temps. En premier lieu, une proposition d’écriture est faite, souvent à partir d’un extrait littéraire. Dans un deuxième temps, les participants écrivent, pour une durée qui varie de 15 à 45 mn selon le niveau. La contrainte de temps est très stimulante pour l’écriture. Enfin, le troisième temps est consacré à la lecture, en général à voix haute, suivie de retours sur ce que cette lecture suscite chez les uns et les autres. » Quelles sont les motivations du public à l’égard de ces ateliers ? « On en distingue principalement trois. Premièrement sortir du secret : l’écriture reste souvent une pratique solitaire ou clandestine. À un moment donné, ces personnes ont un désir de partage qu’elles trouvent dans nos ateliers. Deuxième motivation : un travail sur soi, non pas au sens thérapeutique, mais un travail d’émergence, d’expression ou d’investigation sur soi-même ou son histoire. La troisième motivation enfin, peut-être la plus prégnante, est d’avancer sur le plan littéraire et de trouver sa manière personnelle d’écrire. Au final, un tiers des participants se confronte au travail de l’écrivain et s’inscrit dans une perspective de publication, même si cette finalité n’était pas consciente initialement .» Georgia Makhlouf tient enfin à préciser que ces ateliers ne font en aucun cas office d’école pour écrivains. « Si un écrivain se découvre en vous, c’est vous qui le découvrirez, souligne-t-elle. Nous ne voulons pas d’une écriture d’école qui, par exemple, obéirait à une seule théorie du texte. Il ne s’agit pas non plus, et vous l’aurez compris, de groupes d’expression libre où se fourvoient parfois des demandes thérapeutiques masquées. Notre objectif est l’écriture et le travail qu’elle impose. S’il y a des effets positifs sur la personne, c’est à l’écriture et à son avancée que nous les devons. Nous travaillons pour que l’écriture reste ce qu’elle a toujours été : un espace d’invention et de subversion dont la liberté est la condition première. » Aujourd’hui, les ateliers d’écriture se sont généralisés. Les institutions scolaires se sont aperçues qu’il y avait beaucoup à en tirer. Les universités incluent des ateliers dans leurs programmes. Mais le but principal pour Georgia Makhlouf reste de sortir la littérature de ses carcans pour aller à la rencontre des textes. Afin que chacun trouve, dans l’éventail des possibilités, sa propre voie, sa propre pente, sa propre voix. Maya GHANDOUR HERT

« Imaginez la rencontre entre un parapluie et une machine à coudre. » Mieux encore : « Racontez le meurtre que vous venez de commettre. » Voilà des exemples de sujets de dissertation que l’on trouvera rarement traités au sein d’une école. Mais c’est pourtant ce genre de proposition d’écritures farfelues que Georgia Makhlouf donne à fignoler au cours de ses ateliers qu’elle...