Rechercher
Rechercher

Actualités

La spécialiste de l’Afghanistan analyse les tenants et aboutissants du scrutin d’hier Mariam Abou Zahab : Les législatives, une des étapes d’un long processus de transition politique

Hier, quelque 12,5 millions d’Afghans étaient appelés aux urnes pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale et leurs conseils provinciaux. Renforcement du pouvoir des moujahidine et autres chefs de tribu, participation des femmes, dégradation de la sécurité, islam et démocratie… Pour Mariam Abou Zahab, chargée de cours à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste de l’Afghanistan, plus qu’un achèvement du processus politique lancé à Bonn en 2001, ces législatives, les premières depuis 1969, sont le début d’une transition qui prendra encore beaucoup de temps. Q - D’aucuns estiment que ces législatives marquent l’achèvement du processus de réforme politique lancé lors du sommet de Bonn en décembre 2001. À l’occasion de cette rencontre internationale, organisée après la chute du régime des talibans, l’ensemble des factions afghanes s’étaient engagées sur la voie d’une « transition rapide » de deux ans prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution (officiellement signée le 26 janvier 2004), une élection présidentielle (le 9 octobre 2004, consacrant la victoire de Hamid Karzai) et des législatives. Aujourd’hui, ce scrutin, duquel les partis politiques ont été bannis, risque de consacrer le pouvoir des moujahidine et autres chefs de tribu. Peut-on, dès lors, parler d’achèvement d’un processus de transition ? R - « On ne peut pas véritablement parler de révolution des mentalités en Afghanistan. Le changement prendra plusieurs générations. Les chefs de clan et anciens commandants moujingue, qui, il faut le rappeler, ont été cooptés par les Américains, ont conservé, voire renforcé leur pouvoir et résisté aux campagnes de désarmement. Plusieurs d’entre eux siègent en outre aujourd’hui au gouvernement. Or, ces chefs de guerre sont les principaux bénéficiaires de la spéculation foncière, ils s’approprient les propriétés vacantes des Afghans exilés et construisent des maisons somptueuses. De plus, leurs champs de pavot ne sont pas détruits. Face à eux, on estime que 70 % des candidats sont indépendants. Ils n’ont toutefois aucune chance d’être élus. Il faut néanmoins reconnaître que la campagne électorale a été l’occasion pour les Afghans de s’exprimer. Dans ce contexte, plus qu’une sortie de crise et l’achèvement du processus de Bonn, les élections doivent être vues comme le début d’une transition politique qui prendra encore beaucoup de temps. » Q - Vouloir plaquer un modèle démocratique occidental en Afghanistan n’est-il pas pour le moins irréaliste ? R - « Ce projet est bien sûr totalement irréaliste et ressenti par de nombreux Afghans comme une forme de néocolonialisme. Le changement en Afghanistan ne peut pas être imposé autoritairement par le haut. Historiquement, les tentatives de modernisation autoritaires ont échoué et provoqué un retour en arrière. Pour progresser en Afghanistan, il faut se placer dans le cadre de l’islam plutôt que d’imposer une conception occidentale de la démocratie. L’on comprend mieux, dès lors, que les candidates aux élections disent vouloir défendre leurs droits, mais dans le cadre de la charia (ce qui représenterait un progrès par rapport aux coutumes locales) et non des valeurs occidentales qu’on voudrait leur imposer de l’extérieur. » Q - Précisément, les femmes se sont vu réserver 25 % des sièges de la Wolesi Jirga (Assemblée nationale) et 30 % de ceux des conseils municipaux. Ceci représente, sur le papier, une avancée certaine en matière de représentation politique des femmes. Mais cette mesure reflète-t-elle réellement une avancée de la condition de la femme afghane sur le terrain ? R - « Le pourcentage de sièges réservés aux femmes est un peu un gadget et suscite l’hostilité de bien d’hommes dans une société très patriarcale (et les talibans n’y sont pour rien !). De nombreuses candidates se sont retirées de la compétition après avoir été menacées, et d’autres n’ont pas pu faire campagne en raison des restrictions sociales à leurs déplacements. Toutefois, dans les grandes villes et surtout à Kaboul, la participation des femmes a été positive, elles ont pu s’exprimer et faire campagne dans des conditions correctes. Sur le terrain, la condition des femmes n’a pas beaucoup progressé, surtout dans les campagnes. Le principal problème reste l’accès à la santé, ainsi que les mariages précoces et forcés. Certes, des écoles pour filles ont été ouvertes, mais outre les tabous sociaux, l’insécurité et l’intimidation empêchent souvent les parents d’y envoyer leurs filles. » Q - En terme de sécurité, les attaques se sont multipliées ces dernières semaines. Doit-on attribuer toutes ces opérations aux talibans ou est-ce plus complexe ? R - « Comme on pouvait s’y attendre, la situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée dans les provinces du Sud et de l’Est. Les violences sont le plus souvent imputées aux “néotalibans”, à savoir tous les Pachtouns combattant l’occupation américaine dans le sud et le sud-est du pays, et qui bénéficient toujours de sanctuaires au Pakistan (mais le Pakistan est souvent un bouc émissaire bien commode pour dissimuler l’incapacité des Américains à se faire accepter dans ces régions). On a toutefois également constaté un retour d’Arabes qui ont importé des “ méthodes irakiennes” (attentats-suicide, bombes au bord des routes, enlèvements, et homicides d’étrangers et d’Afghans travaillant pour les forces de la coalition). Les violences sont aussi dues au comportement des troupes de la coalition et à leur agressivité dans leurs relations avec la population rurale, ainsi qu’aux mauvais traitements infligés aux prisonniers afghans. Les Afghans ont notamment été très déçus par la clémence de la justice américaine envers les soldats responsables de la mort de détenus afghans à Bagram. Il faut noter également que si le soutien de la population pachtoune aux talibans est limité, le sentiment antiaméricain est de plus en plus fort. Les Pachtouns (ethnie majoritaire en Afghanistan, NDLR), en particulier, éprouvent du ressentiment face à l’occupation de leur pays par une puissance étrangère. » Q - Faut-il, selon vous, s’alarmer des conditions du scrutin ? Surabondance de candidats, manque d’information des électeurs, intimidations… R - « Les conditions du scrutin, organisé à la hâte, sont loin d’être idéales. En outre, le processus est très complexe, les Afghans étant appelés à voter à la fois pour l’Assemblée nationale et pour les conseils de district. À Kaboul, la liste des candidats comporte 7 pages ! Ce à quoi il faut ajouter le fait qu’une bonne partie des Afghans sont illettrés et n’ont aucune culture électorale. Beaucoup d’habitants des campagnes ne comprennent pas l’enjeu du scrutin et répondent qu’ils vont voter pour Hamid Karzai ! Le principal problème sera certainement celui de l’intimidation et de l’achat des voix. Des candidats ont par exemple annoncé qu’ils priveraient d’eau les villageois qui ne voteraient pas pour eux. Aux dernières nouvelles, 47 candidats ont néanmoins été disqualifiés par la commission électorale (très critiquée) qui semble s’être réveillée en fin de course ! Mais il y a eu plusieurs centaines de plaintes ... » Q - À quel type d’alliances doit-on s’attendre au sein du nouveau Parlement ? Avec quelles conséquences pour le président Karzai ? « Même si le résultat peut révéler des surprises, on peut raisonnablement penser que le nouveau Parlement sera fragmenté. L’inquiétude des Afghans porte surtout sur les alliances que pourraient conclure les chefs de guerre pour continuer à bénéficier de l’impunité et empêcher l’adoption de lois les obligeant à rendre compte de leurs actes. Par ailleurs, certains membres de l’opposition au président Karzai, Youssef Qanouni notamment (ancien ministre qui fut l’un des dirigeants de l’Alliance du Nord, force antitalibane, jusqu’à leur chute en 2001, NDLR), voudraient amender la Constitution pour transformer le système présidentiel en un véritable système parlementaire. » Propos recueillis par Émilie SUEUR
Hier, quelque 12,5 millions d’Afghans étaient appelés aux urnes pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale et leurs conseils provinciaux. Renforcement du pouvoir des moujahidine et autres chefs de tribu, participation des femmes, dégradation de la sécurité, islam et démocratie… Pour Mariam Abou Zahab, chargée de cours à l’Institut d’études politiques de Paris et...