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Actualités - interview

Tarek Mitri dans l’attente du vote de la loi sur la réorganisation de son département pour mener à bien sa mission Le ministère de la Culture quasiment paralysé faute de moyens juridiques et financiers

Son champ d’action est large et diversifié. Le ministère de la Culture a pour mission de favoriser l’expression et la démocratie de la culture, de soutenir la production littéraire et le développement artistique dans toutes leurs dimensions, et de contribuer à leur rayonnement au Liban et à l’étranger. Son rôle est central dans la protection des biens culturels, dans la préservation des patrimoines historique et architectural, enjeux de développement touristique et économique durable. Or, il n’a ni les moyens juridiques ni les crédits nécessaires pour répondre aux besoins de fonctionnement courants. Ne disposant que de 0,06 % du budget national, comment fait le ministre Tarek Mitri pour brasser une tâche écrasante et multiforme ? «Rien ne devrait me décourager.» C’est ce que se répète tous les matins Tarek Mitri, ministre de la Culture. Or, tout concourt à le démoraliser. Un ministère sans structure et sans organigramme; un grand nombre de fonctionnaires parachutés pour des considérations politiques, sans prérogatives définies et sans compétence en la matière, et le reste à l’avenant. Que va pouvoir faire l’actuel ministre de la Culture pour placer les gens qu’il faut à la place qu’il faut ? « Un projet de loi portant sur la réorganisation du ministère a été approuvé par la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice. Si la loi est votée par l’Assemblée nationale, j’aurai les moyens juridiques et financiers de rationaliser le travail, de recruter des gens compétents et de donner une autonomie à plusieurs institutions, comme la Bibliothèque nationale et les musées qui n’auront plus à subir la pesanteur et la lourdeur de la bureaucratie libanaise», affirme Tarek Mitri. Quant à l’organisation de la Fédération des artistes (publicité, art graphique, art plastique, théâtre, musique, cinéma, artisanat, etc.), le ministre indique qu’un projet de loi en ce sens sera prochainement finalisé. Il entend en outre définir les critères et les modalités d’appartenance à ces corps de métier, et établir leurs droits à créer des associations, c’est-à-dire des syndicats, pour défendre leurs intérêts professionnels. Dans ce cadre, une mutuelle sera instituée, grâce à laquelle les membres du groupe, moyennant le paiement d’une cotisation, s’assureront réciproquement une protection sociale et certaines prestations. Cette mutuelle, qui sera placée sous l’égide du ministère de la Culture et dont le conseil d’administration regroupera les chefs de syndicat, pourra être alimentée par les dons de mécènes, ainsi que par 2 % de la valeur des billets d’entrée à toutes les activités culturelles et artistiques, que le ministère des Finances devrait prélever au profit de la mutuelle. Le ministre révèle en outre que les chanteurs insistent pour qu’une taxe de 10 % soit prélevée sur le cachet des artistes étrangers, toujours pour financer la mutuelle. Ils ont expliqué à Tarek Mitri que c’est exactement ce qui leur arrive lors de leurs tournées à l’extérieur du Liban. En ce qui concerne les subventions, le ministre Mitri se déclare « contre toute politique d’assistanat arbitraire. Cela témoigne du peu de respect qu’on a à l’égard de l’artiste et que certains artistes ont à l’égard d’eux-mêmes». Sans trop vouloir généraliser, il considère que les responsables politiques ont tendance à favoriser leur communauté et leur région, «ce qui est inacceptable moralement. Je refuse de jouer ce jeu. Il y aura un comité qui décidera, suivant des critères définis à l’avance, où iront ces aides. Personnellement, j’aimerais soutenir et encourager des projets qui ont une dimension de développement culturel, c’est-à-dire qui ont un intérêt pour la communauté, le village, la région ». Pour ce faire, «il faut créer des mécanismes. Je n’aime pas dire contrôle mais l’accompagnement de ce programme est nécessaire car je veux savoir comment ces subventions seront utilisées. Et si cela se faisait à mauvais escient, je ne donnerais plus le deuxième versement. C’est un mécanisme que j’avais créé au ministère de l’Environnement et que j’appliquerai ici». La Bibliothèque nationale D’autre part, pour garantir un meilleur accès de tous à la lecture, le ministre organise le 8 novembre prochain un colloque qui regroupera les 17 bibliothèques publiques, les 22 bibliothèques partenaires du ministère, les éditeurs, les associations de libraires et des bibliothécaires. Les questions porteront sur le catalogage des volumes, leurs échanges, la politique du prêt et la diffusion du livre. Le colloque doit aussi définir les termes d’une campagne nationale pour encourager la lecture, discuter des problèmes des droits d’auteur et la participation aux foires internationales du livre. Last but not least, le ministre annonce que grâce aux subsides alloués à son ministère, il allait contribuer à la production littéraire du pays. Entre-temps, l’Économie et la Culture travaillent de concert pour assurer la protection des droits d’auteur. En collaboration étroite avec l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI), un groupe de juristes élabore un projet de loi sur la protection des biens culturels. Abordant ensuite la question du dépôt légal et du ISBN (stock de numérotage qui entre dans les registres commerciaux et permet d’identifier l’ouvrage, le pays où il a été édité, la date de sa publication, etc.), le ministère appelle les éditeurs et les auteurs qui publient à leurs frais à s’inscrire pour obtenir un numéro ISBN. Il a insisté sur l’importance du dépôt légal (qui permet la protection juridique des ouvrages) et sur celle de remettre aux agents de l’État des exemplaires de toute production littéraire ou artistique destinés aux collections nationales. « Ceci n’a plus été fait depuis les premières années de la guerre. Or, une bibliothèque nationale qui n’a pas un exemplaire de tous les livres publiés au Liban n’en n’est pas une. Une loi devrait obliger les éditeurs à déposer un exemplaire ou deux, voire même trois, à la Bibliothèque nationale», a indiqué le ministre, ajoutant que cette institution dispose actuellement de 110000 volumes, alors que dans les années 1930, elle en comptait 30000. «En 75 ans, elle a quadruplé, alors qu’elle aurait dû deux fois centupler. Pour combler les lacunes, il faudrait exiger rétroactivement le dépôt légal. Même si les éditeurs n’ont plus dans leur stock des exemplaires de leurs publications, il faudrait qu’ils aillent les chercher auprès des particuliers», a dit le ministre. Tarek Mitri négociera également l’accès aux quelque 10000 volumes appartenant à la bibliothèque et qui seraient, dit-on, aux Archives nationales, «institution qui regroupe normalement les documents administratifs, les décrets de lois, les PV des Conseils des ministres, etc.», a tenu à rappeler le ministre, ajoutant qu’il était impératif de «définir le rôle des deux institutions» ou alors de demander la fusion des archives et de la bibliothèque. «Il serait tout à fait normal que les archives soient un département de la bibliothèque», a-t-il précisé. Rappelons que le projet de la Bibliothèque nationale a été finalisé sous le ministère de Ghassan Salamé: statut juridique, siège (faculté de droit, Sanayeh) et un million 100000 euros ont été obtenus auprès de l’Union européenne pour la restauration des documents et leur catalogage, dont la fin des travaux est prévue en juillet 2006. Entre-temps, le ministre espère voir la faculté de droit de l’UL déménager à Hadeth. «Une fois le local libéré, on trouvera le financement nécessaire auprès des pays amis et des organisations mondiales pour sa réhabilitation et son extension», a-t-il dit, expliquant qu’à court terme, le CDR entreprendra des travaux pour permettre d’entreposer les ouvrages. Péril en la demeure ? Et si l’on veut aller jusqu’au bout dans cette même logique, il faudra aussi dépoussiérer une législation qui date de 1933 et appliquer une loi moderne portant sur la sauvegarde des sites archéologiques et des bâtiments à cachet historique, que les destructions de la guerre, la frénésie de la (re)construction et la spéculation foncière ont vandalisés à vue d’œil. Quelles sont les démarches entreprises par le nouveau ministre pour planifier le tout et mettre fin à cette érosion, sachant que plusieurs projets de lois en ce sens s’étaient perdus dans les dédales de l’Administration ? « L’étude élaborée en 2003 a été légèrement remaniée. Le texte doit être entériné par la Direction générale de l’urbanisme (DGU), ainsi que par les ministères des Finances et de la Justice avant d’être soumis à la commission parlementaire.» En attendant, Mitri fait face à des tracasseries quotidiennes. «J’avoue que le dossier est épineux et la pression immense. Je reçois tous les jours des lettres de particuliers qui demandent que leur bâtiment, tombant en décrépitude, soit déclassé. Je leur demande de patienter, je leur ai dit qu’on prépare un projet de loi qui sera juste, qui respectera les droits des uns et des autres... Mais je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à tenir longtemps ce langage. Je suis en plein dilemme. Les propriétaires présentent des arguments convaincants ; les sauveurs du patrimoine aussi. La décision est difficile à prendre. En somme, il y a la mémoire et l’émotion d’un côté et, en face, le souci de vivre. Pour certains cas, il faudrait penser à la possibilité de déclasser.» En ce qui concerne la Direction générale des antiquités, fonction publique confrontée à de gros problèmes en raison de l’absence de ressources humaines et des crédits nécessaires, le ministre annonce que la DGA a tout récemment obtenu de recruter de nouveaux experts. «Ils auront un peu plus de moyens humains, mais les moyens financiers restent limités.» Le ministre ne cache pas toutefois qu’il aimerait «créer et développer une synergie entre la DGA et les universités du Liban et de l’étranger afin d’entreprendre de nouvelles fouilles archéologiques. Nous avons actuellement six chantiers alors qu’en Syrie, il y en a 940. Il serait dommage de ne pas profiter de la richesse que recèle notre sous-sol. On trouvera toujours les moyens de préserver les sites contre les actes de vandalisme et de vol». Au sujet du programme, financé par la Banque mondiale, la France et l’Italie, qui vise à développer les principaux sites touristiques du Liban, le ministre a assuré qu’il était bien mis sur les rails. Propos recueillis par May MAKAREM

Son champ d’action est large et diversifié. Le ministère de la Culture a pour mission de favoriser l’expression et la démocratie de la culture, de soutenir la production littéraire et le développement artistique dans toutes leurs dimensions, et de contribuer à leur rayonnement au Liban et à l’étranger. Son rôle est central dans la protection des biens culturels, dans la...