Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La Croix et le Croissant, au nom de l’amour

«Liberté, égalité, fraternité … » Qui peut affirmer que cette devise, héritage du siècle des Lumières, soit aujourd’hui respectée ? Jamais la France (ou la communauté intellectuelle française) n’aura été aussi sectaire, conservatrice dans sa pensée, ses codes et ses traditions, et surtout aussi poltronne quand il s’agit d’affronter par le dialogue un « ennemi idéologique » qu’elle s’est déclaré sans même le connaître : l’islam. Certaines forces obscures sont à l’origine de cette mauvaise réputation que tout musulman traîne désormais derrière lui, menaçant l’équilibre, le pluralisme, la tolérance et la paix sociale. Soit l’on décide sciemment de renier sa religion et d’être ainsi un musulman ou arabe « collabeur » (fusion risible mais ô combien éloquente entre « collaborateur » et « beur » que l’on doit au très acide M.E Nabe), soit l’on est médiatiquement crucifié parce qu’on refuse la caricature de l’islam et qu’on tente de prouver que l’on peut très bien être à la fois musulman et s’accorder avec les lois laïques de la République. Lorsque vous insultez un homme, vous ne créez pas les conditions propres à l’échange positif, vous l’agressez, vous fermez les portes de la conscience et de la connaissance. L’émotion l’emporte sur le raisonnement. Et la violence succède à la passion. Ce n’est certainement pas démocratique que d’agir ainsi et cela ne mènera jamais à un changement profond des mentalités. C’est une faute grave de la part d’intellectuels que d’affirmer tout et n’importe quoi sans mesurer la portée de leurs paroles. Le désir de provocation pourrit les médias et quelques esprits torves en profitent hélas pour faire parler d’eux. Si l’on exclut certains du débat islamo-européen, vers quels interlocuteurs l’Europe se tournera-t-elle ? Vers des imams ultraconservateurs et bornés ? des intégristes ? des poseurs de bombes ? Il serait temps que l’Europe comprenne que l’islam est une composante incontournable de son système social et qu’il faut composer avec les communautés musulmanes autant qu’avec toute autre communauté confessionnelle. On parle de « musulmans européens », mais pourquoi ? Y aurait-il un aspect sociologique qui séparerait l’européen du musulman ? Une différence de statut quelconque ? Ajouter la confession à la nationalité, est-ce là une nouvelle manière de définir (ou distinguer) un citoyen ? On occulte sournoisement cet islam d’un autre temps, cet « islam des Lumières » qui favorisa les sciences, les arts et les lettres. On oublie qu’il fut à l’origine de l’émergence de grands esprits, savants et philosophes tels que Ibn Khaldun, Averroès ou Haroun al-Rachid. Leur pensée inspira nombre de penseurs helléniques et servit de support à la constitution des valeurs qui font l’Europe d’aujourd’hui. Pourquoi s’obstine-t-on à ne pas voir dans le malheur arabo-musulman le reflet violent d’un profond malaise politique et identitaire ? Ce que les Arabes et les musulmans ont connu en Palestine, en Irak, au Liban, en Tchétchénie et en Bosnie (pour ne citer que ces pays) ne vaut-il pas, en terme de souffrances et privations, le malheur juif et l’intérêt que les médias lui accordent immodérément ? Pourquoi ne doit-on présenter l’Arabe musulman que comme un agresseur et non comme une victime ? Pourquoi n’associer l’islam qu’à ces actions désespérées, cruelles et atroces qui portent le sceau du terrorisme ? J’ai 23 ans, je suis le fruit d’une mixité religieuse réussie, un cas relativement peu fréquent à notre époque pleine d’intolérance et de conflits interreligieux et politiques. Je suis d’origine libanaise. Fils d’un père musulman chiite et d’une mère chrétienne maronite. Je n’ignore pas que ce genre de mariage ne soit pas monnaie courante au Liban où les communautés vivent relativement cloisonnées. Il est, à ce propos, regrettable que le Liban ne se montre réellement uni et soudé et que ses différentes souches ne s’expriment d’une même voix que dans les périodes de grandes revendications nationalistes. L’histoire a montré qu’il leur faut être confrontées à un ennemi commun pour que des factions opposées se serrent les coudes, oubliant les conflits internes au profit d’une lutte contre des forces oppressantes. (C’est ce qui s’est récemment passé au Liban, mobilisé contre l’occupation syrienne). Mais la marche vers la démocratie, la liberté et l’unité aidera, je l’espère, le Liban à dépasser certains archaïsmes. Je suis conscient que cette mixité religieuse qui est en moi, et dont je suis particulièrement fier, reste quasiment inconcevable dans de nombreux pays arabes islamiques. En dépit de cette double appartenance identitaire que l’on dit parfois « difficile à gérer », j’ai eu la chance de grandir en m’épargnant tout tiraillement ou déchirure grâce à l’amour de mes parents et à l’éducation tolérante dont j’ai bénéficié. Je sais par ailleurs qu’une telle mixité est souvent la source d’une grande instabilité et de malheurs auxquels d’autres jeunes sont hélas confrontés au quotidien. Mes parents dans leur jeunesse durent lutter contre les interdits imposés par leurs milieux respectifs pour faire valoir la grandeur de leurs sentiments, leur droit de s’aimer tout simplement. Cette histoire d’amour ressemblait à une sorte de « Roméo et Juliette à la sauce islamo-chrétienne » qui aurait pu tout aussi bien avoir pour décor l’actuel contexte intégratif européen dans lequel il est de plus en plus difficile pour un musulman d’exister avec ses particularités. Ainsi, j’ai naturellement hérité de cette volonté farouche, de cette force merveilleuse qui leur avait jadis permis de braver tous les obstacles et les préjugés intercommunautaires : l’amour. Celui-ci m’a ouvert à la tolérance et m’a permis de déjouer les pièges des amalgames et de l’intolérance. Si l’on ne devait résumer l’amour qu’à un seul mot, ce serait « sacrifice » car l’amour n’existe et ne se révèle que dans l’épreuve. Il n’y a rien de plus facile et naturel que d’aimer quelqu’un qui nous aime, qui nous ressemble, et ce dans un environnement favorable. Mais il est plus difficile d’aimer en dépassant les différences, les pressions et les forces destructrices qui s’acharnent sur l’amour. Quand vous aimez une personne, rejetez-vous les divergences qui vous séparent ou apprenez-vous à les accepter, les associer et, mieux encore, à les aimer ? Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles Dieu nous a fait tous différents. Et les sociétés, prises au piège des amalgames, contrarient la nature et son ordre en tendant vers l’uniformisation des pensées et des croyances. La preuve d’amour suprême, c’est aimer et tolérer un musulman même si l’on ne comprend pas, ou l’on n’accepte pas, tout de ses croyances, et l’inverse est aussi valable. Adolescent, je lisais la Bible et le Coran avec beaucoup d’intérêt. Pas tant par vocation religieuse ou théologique que pour comprendre, faire la part des choses, séparer le dogme religieux des interprétations hasardeuses et des manifestations contemporaines violentes auxquelles on l’associe désormais. Les deux Livres se complètent et se rejoignent en s’enrichissant l’un de l’autre. D’ailleurs pour bien comprendre l’islam, ne faut-il pas se référer davantage aux histoires bibliques dont l’évocation est présente jusque dans les versets coraniques ? Comment se dire musulman tout en reniant le judaïsme et le christianisme ? Un tel réflexe de rejet est totalement absurde ! L’histoire divine et la foi se conjuguent au pluriel, dans la diversité, la complémentarité et la continuité. Aujourd’hui, je dispose de quelques modestes « armes intellectuelles » qui me permettent de combattre par des arguments objectifs, et sans prosélytisme, toutes les déformations que j’ai souvent le regret d’entendre, ou encore les attaques gratuites contre les religions (en l’occurrence « anti-islam ») auxquelles j’assiste. J’ai eu la liberté toute ma vie de choisir ma voie. Mes parents, dans leur grande sagesse, ne m’ont contraint à rien. Certes, j’avoue avoir gagné en tolérance et en ouverture d’esprit ce que j’ai perdu en « autodétermination religieuse ». J’ai choisi (bien que cela soit plutôt involontaire) la voie du non-alignement. « J’ai choisi de ne pas choisir », pourrait-on dire à mon propos. Mais que je sois qualifié « de ceci ou de cela », la terminologie n’a guère d’importance à mes yeux. Je n’appartiens à aucun parti politique, à aucune idéologie, à aucune communauté. J’appartiens au monde, à l’humanité, aux valeurs divines du bien qui me semblent universelles et légitimes. Cela n’engage que moi, et je n’ai jamais tenté de convaincre quiconque de suivre cet exemple en le présentant comme le meilleur choix possible. Bien entendu, je suis Libanais, mi-musulman, mi-chrétien, né au Sénégal et francophone mais ai-je besoin de renier un aspect de mon identité pour un autre ? Je suis tout à la fois. Je suis universaliste et humaniste. Ma patrie et ma religion sont l’amour, le respect de l’autre, la croyance en un Dieu unique malgré tous les doutes qui peuvent parfois ébranler nos certitudes en ces temps troubles et menaçants. Si Dieu m’offre la chance un jour d’être père, je dirais à mes enfants ceci : « Tant que l’amour et le respect vous lient à l’être aimé, et tant que ses valeurs n’entrent pas en contradiction avec les vôtres jusqu’au conflit, nul être humain ne pourra vous interdire de vous aimer. » L’amour doit justement être le liant des différences et enrichir nos âmes. Il n’y a rien qui puisse opposer la foi à la reconnaissance citoyenne. L’accomplissement du devoir civique est tout à fait conciliable avec les valeurs individuelles, fussent-elles musulmanes. L’Europe serait-elle aujourd’hui ce « modèle démocratique de référence » si elle n’avait été au préalable le carrefour d’une diversité d’idées, d’influences et de cultures (en s’inspirant notamment de la pensée de grands savants et philosophes musulmans cités plus haut) ? Ceux qui ignorent son histoire ne peuvent hélas voir en l’islam qu’un ennemi juré et cela est plus que déplorable ! Aujourd’hui l’obscurantisme nous menace tous, il est autant du côté des calomniateurs intolérants que de celui des intégristes violents. Et il ne doit pas gagner ! Chady HAGE ALI
«Liberté, égalité, fraternité … » Qui peut affirmer que cette devise, héritage du siècle des Lumières, soit aujourd’hui respectée ?
Jamais la France (ou la communauté intellectuelle française) n’aura été aussi sectaire, conservatrice dans sa pensée, ses codes et ses traditions, et surtout aussi poltronne quand il s’agit d’affronter par le dialogue un « ennemi...