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Actualités - OPINION

ÉCLAIRAGE - La raison d’État bafouée jusqu’au bout

«Souhaitez-moi le voyage le moins mauvais qui soit. » Entre la raison d’État et l’amitié, le ministre de la Justice a choisi. Ce sera l’amitié. Quitte à perdre le peu de crédit politique qui lui reste. Ce n’est pas très astucieux. Mais c’est compréhensible : Charles Rizk a décidé de ne pas tirer sur l’ambulance. Encore une fois, c’est tout à son honneur. Sauf que l’« ambulance » est en train, jour après jour, d’enfoncer le pays dans d’insondables marécages. Ce que Charles Rizk, l’« ami de cinquante ans », aurait dû faire, c’est convaincre, au nom du peuple, le président reconduit sur objurgations syriennes de ne pas prendre l’avion. Émile Lahoud et sa pléthorique délégation – « pas 80, 70 ! », a dit Rafic Chelala, le plus sérieusement du monde… – partiront ce matin pour New York. Peu importe la totale incompréhension populaire ; peu importe les cris et critiques légitimes de la quasi-totalité du landernau politique ; peu importe les messages off the record de Jeffrey Feltman ; peu importe les conseils avisés de Bkerké ; peu importe la certitude que doit certainement avoir faite sienne le locataire de Baabda, que les membres de la délégation libanaise seront traités comme de véritables parias. À commencer par la personne du président de la République du Liban. Fouad Chéhab, Camille Chamoun, ou Élias Sarkis doivent être en train de multiplier les triples axels dans leurs tombes. Mais peu importe : Émile Lahoud veut aller à New York. Le problème, c’est qu’en y allant, en acceptant d’être ignoré de tous, à part de ses homologues iranien, bosniaque et congolais, il ne fait pas que s’infliger une autoflagellation des plus sidérantes : il entraîne avec lui l’ensemble du pays. Pire que cela : Émile Lahoud aura sous les yeux un Saad Hariri qui sera reçu, probablement, par les plus grands de la planète. Pire encore : Émile Lahoud sait qu’au moment où il prononcera son discours, des dizaines de Libanais installés à New York protesteront contre sa présence devant le Palais de Verre. Émile Lahoud a certainement dû avoir une copie du Washington Post, le porte-voix de l’Administration Bush, qui écrivait hier matin que « les quatre personnes arrêtées au Liban sont des collaborateurs du président Lahoud, un autre faire-valoir des Syriens qui est toujours en poste, mais qui fait face de plus en plus à des pressions l’appelant à démissionner ». Que faut-il de plus ? Les sources proches de Baabda faxent depuis des jours d’interminables pages au cours desquelles elles se font fort de justifier, par tous les moyens et en utilisant les arguments les plus incongrus, la nécessité de ce voyage présidentiel. Il n’en reste pas moins qu’il est de plus en plus évident que le président de la République a fermement décidé de faire de ce voyage à NY une affaire personnelle. De boire le calice jusqu’à la lie. En d’autres termes, contre l’avis de tous, peuple et responsables, Émile Lahoud est en train de donner l’indélébile impression d’avoir pris le pays en otage – sachant, surtout, que l’accord plein de réserves sur la composition de la délégation libanaise qui irait à New York avait été pris en Conseil des ministres avant que ne soient arrêtés les quatre généraux. Libre au chef de l’État d’hypothéquer ainsi sa propre crédibilité. Incompréhensible et inadmissible est sa décision de mettre en péril, celle, encore embryonnaire, du Liban. D’autant que ce quasi-suicide politique signe, sans doute malgré lui, le début d’une campagne présidentielle anticipée : Michel Aoun vient de se mettre, certes de la façon la plus maladroite qui soit, sur les starting-blocks. Il appartient aux Libanais de choisir leur président, et celui-ci se doit de représenter l’esprit du 14 mars. Le très up to date Jeffrey Feltman a dessiné hier la première mouture, encore un peu floutée, du prochain chef de l’État. Et ce portrait-robot est à l’exact opposé de ce qu’a été, de ce qu’est et de ce que sera Émile Lahoud. Ce dernier, engoncé jusqu’au cou dans sa bulle, n’entend plus et ne voit plus. En prenant l’avion pour New York, il bafoue jusqu’au bout la raison d’État. À moins qu’il n’y ait d’autres desseins. Il y a quelques jours, le très sérieux Der Spiegel écrivait qu’au lendemain du 14 février, le président de la République du Liban « a demandé à aller s’installer en France » et que les autorités françaises « ont immédiatement opposé à cette requête une fin de non-recevoir ». Cela n’engage, évidemment, que le Der Spiegel. Le premier hebdomadaire d’Allemagne… le pays de Detlev Mehlis. Ziyad MAKHOUL
«Souhaitez-moi le voyage le moins mauvais qui soit. » Entre la raison d’État et l’amitié, le ministre de la Justice a choisi. Ce sera l’amitié. Quitte à perdre le peu de crédit politique qui lui reste. Ce n’est pas très astucieux. Mais c’est compréhensible : Charles Rizk a décidé de ne pas tirer sur l’ambulance. Encore une fois, c’est tout à son honneur. Sauf que l’«...