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Actualités - REPORTAGE

Avec le retrait israélien de Gaza, les Palestiniens des camps estiment que leur présence au Liban se prolongera

Le dossier des réfugiés, un problème désormais incontournable sur la scène libanaise Dans les camps palestiniens du Liban, la tension est désormais grande. Depuis la visite à Beyrouth du ministre d’État chargé du dossier des réfugiés, Abbas Zaki, le débat sur les armes et sur l’ensemble de leur situation au Liban est ouvert. Certes, les discussions sont encore discrètes, mais les Palestiniens du Liban ont désormais le sentiment d’être pointés du doigt. Accusés d’abord de protéger les hors-la-loi et les pires criminels du pays, les voilà maintenant sur la sellette à cause de l’un des articles de la 1559, qui réclame le désarmement des camps. De plus, la situation politique quelque peu confuse du pays est loin de les rassurer. S’ils ne craignent pas vraiment une nouvelle confrontation avec les Libanais, ils ont peur d’être entraînés dans un tourbillon dont ils ne contrôlent pas l’issue. L’espoir, pour eux, c’est le congrès libano-palestinien que prépare Mme Bahia Hariri avec la collaboration du Premier ministre Fouad Siniora. De prime abord, on pourrait dire que les années qui passent n’apportent aucun changement dans les camps palestiniens de Beyrouth (sauf, bien sûr, celui de Sabra, qui, bon gré mal gré, s’est plus ou moins reconstitué, mais qui porte encore les terribles stigmates de la guerre). C’est toujours le même spectacle de misère, de désespoir et d’une sorte de désœuvrement dramatique. Comme tous les enfants du monde, et peut-être plus que les autres à cause de cette atmosphère de précarité qui les entoure, les enfants palestiniens jouent dans les ruelles avec des ballons sales, des pierres ou des tuyaux qui auraient sans doute dû servir à transporter l’eau dans les maisons. Un quotidien immuable depuis des années. Tout comme la pauvreté, le chômage et l’avenir bloqué. Mais ces derniers jours, il y a quelque chose de plus dans l’air pollué des camps, comme une électricité latente, une tension ou une attente. Au cours des dernières années, le sort des réfugiés palestiniens semblait mis entre guillemets, et nul n’évoquait leur situation, sinon pour parler de rixes internes ou de criminels recherchés par la justice libanaise. Mais aujourd’hui, sans même savoir pourquoi ni comment, les réfugiés des camps ont l’impression diffuse que quelque chose est en train de bouger. Les mêmes plaintes « Les Libanais nous accusent toujours de vouloir rester chez eux, lance Fatmé. Mais nous souhaitons beaucoup plus qu’eux rentrer chez nous. Pourquoi toutes ces pressions et ces campagnes dès que la communauté internationale leur fait signe ? » À plus de 70 ans, Fatmé n’a plus rien à perdre. Habitant dans un taudis à Chatila, elle dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas sans avoir le courage de le dire. Les jeunes Palestiniens surtout, qui se sentent constamment visés par les autorités libanaises. « Je suis un plombier, raconte Khaled qui habite aussi à Chatila. Mais nul ne veut me faire travailler parce que je suis palestinien. Les Libanais se méfient de nous, comme si nous étions des voleurs ou des assassins. Les discours politiques de solidarité ne correspondent pas du tout à la réalité sur le terrain. Mais que pouvons-nous faire ? La solution n’est pas entre nos mains. » Aujourd’hui, l’angoisse de l’avenir semble avoir décuplé chez les Palestiniens des camps. Comme si la visite du ministre chargé du dossier des réfugiés à Beyrouth avait réveillé de vieux démons ou de vieilles peurs. Selon les rumeurs récoltées çà et là dans les camps, les Palestiniens ont été frappés par le fait que cette visite, malgré les déclarations multiples qui l’ont entourée, n’a donné aucune indication concrète sur leur situation, mettant, au contraire, l’accent sur l’existence de profondes divergences entre les Libanais et les Palestiniens, mais aussi entre les Libanais eux-mêmes sur le dossier. Selon Hamed, c’est le retrait israélien de Gaza qui a bouleversé toutes les données. « Les Palestiniens des camps hésitent entre la joie que procure cet événement historique et la crainte que leur sort n’en devienne que plus aléatoire. » Et c’est surtout la déclaration du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, faite au cours d’une visite aux Émirats, qui leur met la puce à l’oreille. « N’a-t-il pas invité les pays arabes à naturaliser les Palestiniens résidant sur leur sol ? poursuit Hamed. Le retrait israélien de Gaza sonne donc le glas de nos espoirs de retour. Que va faire le Liban ? Va-t-il nous maintenir dans cette situation inhumaine ? » C’est la question qui est sur toutes les lèvres, mais que l’on ne formule pas encore tout haut. Les réfugiés de Gaza ont la priorité Souhail Natour, un des responsables du FDLP, installé au Liban depuis plus de 30 ans, fait une analyse plus poussée. Selon lui, à Gaza 70 % des Palestiniens vivent dans des camps de réfugiés. Ils viennent de Cisjordanie ou des territoires de 48 ; ils ont offert des martyrs au cours de l’intifada et ne peuvent donc renoncer facilement à leur droit au retour. Aujourd’hui, le retrait israélien de Gaza donne un nouvel élan à leurs revendications. De plus, en raison de leur proximité et de leurs sacrifices, ils ont la priorité sur les autres réfugiés. Ils se préparent donc déjà à s’installer dans les colonies de peuplement évacuées. Toujours selon Souhail Natour, cet événement, aussi heureux soit-il pour les réfugiés de Gaza, a pour principale conséquence de reporter à une échéance indéfinie le retour de réfugiés. Chaque pays ayant des réfugiés palestiniens sur son territoire va devoir prendre des arrangements particuliers en vue d’organiser une situation qui risque donc de se prolonger. Selon M. Natour, la Jordanie a ouvertement réclamé des compensations financières pour garder chez elle les Palestiniens. En fait, la présence des réfugiés ne pose pas un grand problème à ce pays, dont la population est déjà en grande majorité palestinienne. Il est toutefois probable que, dans quelque temps, des interrogations vont se poser sur la nature de l’État qui va gérer cette population et la manière dont les Palestiniens vont participer au pouvoir. Mais pour l’instant, l’opération d’absorption des Palestiniens se fera probablement en douceur. M. Natour affirme aussi que la Syrie n’a pas non plus de problème à garder chez elle les réfugiés palestiniens présents sur son territoire. Ceux-ci bénéficient déjà de droits politiques et économiques, tout en conservant leur identité palestinienne. En fait, entre la Syrie et les Palestiniens, le conflit n’avait pas de racines profondes. Il était surtout causé par les divergences d’intérêts entre le régime syrien et l’OLP. Il s’agissait surtout de définir l’influence syrienne dans la prise de décision palestinienne. Depuis le rapprochement effectué entre l’Autorité palestinienne et le régime syrien, ce problème ne se pose plus vraiment, et c’est plutôt une ère de coordination qui s’est ouverte. Le rapprochement syro-palestinien cimente l’unité des camps Seul le Liban a donc un problème avec le maintien des réfugiés palestiniens sur son sol. Si, pendant longtemps, les réfugiés ont été une carte que se disputaient la Syrie et l’OLP, aujourd’hui le problème existe en lui-même sur fond de pressions internationales pour accélérer le processus d’implantation des réfugiés au Liban. Selon M. Natour, les Américains sont les plus pressants, alors que les Français seraient plus nuancés, privilégiant une intégration par étapes et insistant sur la nécessité d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens, quitte à offrir une compensation financière en guise de dédommagement aux Libanais. Les Européens auraient même posé des conditions pour l’octroi de l’aide à Gaza, en exigeant par exemple qu’une partie aille aux réfugiés libanais si le gouvernement prend les mesures nécessaires. Le cadre palestinien ajoute que les pays du Golfe ont déjà réglé le problème en choisissant d’accorder la nationalité aux Palestiniens présents sur leurs territoires respectifs. Et le président de l’Autorité palestinienne leur a assuré la couverture politique nécessaire pour cette décision. Reste que cet élément peut constituer une pression supplémentaire sur le Liban dans le genre : « Les autres pays arabes l’ont fait. Pourquoi pas vous ? » C’est dire combien la situation est compliquée. D’autant que d’après les témoignages recueillis, les Palestiniens sont choqués de voir qu’au Liban, on ne parle d’eux que sous l’angle confessionnel, qui représente pour certaines parties libanaises un enjeu interne, ou sous celui de la sécurité. Comme s’il n’y avait pas d’autres considérations en jeu. Des habitants des camps s’insurgent d’ailleurs contre les mesures prises par les autorités libanaises autour du camp de Aïn el-Héloué, encerclé comme une forteresse. « Dès qu’un responsable américain pointe à l’horizon, les mesures deviennent encore plus draconiennes. Comme pour faire plaisir aux visiteurs. Les Palestiniens des camps se sentent comme l’alibi, le prétexte et la carte à tout faire des autorités libanaises », confie Hamad. « C’est vrai qu’il y a de tout à Aïn el-Héloué, ajoute-t-il, des agents de tout bord, des prostituées, des voleurs, mais c’est la même situation un peu partout. Pourquoi ce camp est-il toujours montré du doigt ? Les autorités libanaises veulent garder un foyer incontrôlable pour l’utiliser comme carte, selon les exigences de l’heure. » Un espoir, le congrès libano-palestinien en préparation Selon Souhail Natour, c’est d’ailleurs sur ce point qu’ont buté les derniers pourparlers libano-palestiniens. Les autorités libanaises souhaitaient évoquer le problème des armes et de la sécurité, alors que la partie palestinienne a exigé que l’ensemble du dossier de la présence palestinienne soit débattu. Finalement, c’est Bahia Hariri, députée de Saïda, qui a saisi l’importance de la question et a lancé, avec la collaboration du Premier ministre Fouad Siniora, l’idée d’un congrès général libano-palestinien, qui examinerait toutes les questions en suspens. « Cette initiative est très bien perçue par les Palestiniens, affirme M. Natour. Elle montre en fait que l’entourage des camps (Saïda étant très influencée par la situation à Aïn el-Héloué) souhaite une solution, et non pas seulement les Palestiniens eux-mêmes. » Le cadre palestinien estime aussi que la visite de M. Zaki est aussi un message fort aux autorités libanaises. Elle signifie que l’Autorité palestinienne ne s’occupe pas seulement des Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie, mais aussi de ceux présents dans les pays d’accueil. Et M. Zaki a commencé par s’attaquer au dossier le plus épineux dans ce domaine, celui des réfugiés palestiniens au Liban. C’est donc le début d’un dialogue en profondeur. D’autant qu’au Liban, comme ailleurs, les différentes organisations palestiniennes se sont ralliées à l’Autorité d’une façon ou d’une autre. Souhail Natour est formel à ce sujet. « Au Liban, en tout cas, les Palestiniens n’ont pas un projet qui les divise, mais au contraire sont aujourd’hui unis. » « Nous avons une liste commune de revendications, ajoute M.Natour, et nous en avons présenté une copie à M. Zaki. Elle comporte une série de revendications : le droit au travail, à la sécurité sociale, à la propriété, à l’éducation, à la santé, à la planification civile, à avoir nos propres institutions de la société civile et, bien entendu, à bénéficier de l’amnistie générale. » Les Palestiniens réclament aussi la réouverture du bureau de l’OLP à Beyrouth, fermé de facto avec l’invasion israélienne de 1982, alors que le Liban avait reconnu l’organisation en 1964. La question a d’ailleurs été évoquée par Zaki au cours de ses entretiens avec les responsables libanais. Mais il n’a pas obtenu de réponse. Les Palestiniens ont le sentiment que les Libanais ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent faire d’eux. Et soulever la question des armes sans évoquer l’ensemble du problème est, pour eux, une injustice de plus à leur égard. Pourtant, avec tous les changements qui se produisent actuellement, il est temps, selon eux, d’examiner sérieusement ce dossier, sans se cacher derrière des principes dépassés par la réalité. C’est pourquoi ils attendent beaucoup du congrès en préparation. Mais les deux parties auront-elles le courage de parler en toute franchise de leurs inquiétudes respectives ? Scarlett HADDAD
Le dossier des réfugiés, un problème désormais incontournable sur la scène libanaise

Dans les camps palestiniens du Liban, la tension est désormais grande. Depuis la visite à Beyrouth du ministre d’État chargé du dossier des réfugiés, Abbas Zaki, le débat sur les armes et sur l’ensemble de leur situation au Liban est ouvert. Certes, les discussions sont encore discrètes, mais...