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Actualités - REPORTAGE

SANTÉ - Une responsabilité partagée, mais les ministères concernés se renvoient la balle Le scandale des intoxications alimentaires dans les lieux publics(photos)

Les cas d’intoxication alimentaire ne se comptent plus. Les urgences des hôpitaux regorgent de malades pris soudainement de vomissements, de diarrhées, de coliques intestinales et de fièvre, après un repas au restaurant. Le dernier cas d’intoxication est collectif et remonte à une semaine, touchant sévèrement quarante convives qui participaient à un dîner de fiançailles dans un hôtel de montagne pourtant réputé. Résultat, une dizaine de personnes ont été hospitalisées, et trente autres ont dû s’aliter pendant une bonne semaine, terrassées par la fièvre, la diarrhée, les vomissements et les coliques. «Le problème des gastro-entérites bactériennes resurgit de manière saisonnière, chaque été au Liban, et prend des proportions énormes », observe un gastro-entérologue d’un grand centre hospitalier de la capitale, qui désire garder l’anonymat. Il touche principalement les touristes, d’où son appellation de « tourista », mais aussi les autochtones qui multiplient les sorties dans les restaurants durant la belle saison. Certes, aucun chiffre n’est disponible sur le nombre de cas d’intoxication alimentaire, vu le manque d’études sur la question, mais il est de notoriété publique que ces chiffres sont très importants en période estivale. Quant à la gravité des cas, elle varie en fonction de chaque malade. L’atteinte peut être banale et se traduire par une simple diarrhée, accompagnée de douleurs abdominales, mais elle peut aussi prendre des proportions plus sérieuses et se caractériser par une forte diarrhée, accompagnée de sang, de glaires et de fièvre. « Dans les cas les plus graves, l’atteinte peut aller jusqu’à provoquer une septicémie », observe encore le gastro-entérologue. Rupture de la chaîne du froid Sans aucun doute, les restaurants et hôtels (même les plus réputés) sont parfois directement responsables de ces intoxications, car la manipulation des aliments ne s’y fait pas toujours selon les normes requises. Mesures d’hygiène inexistantes, rupture de la chaîne du froid, contamination des aliments, conservation à une température inadéquate, péremption de la date de validité des aliments… ne sont que quelques-unes des causes permettant la prolifération des bactéries. « C’est par dizaines que l’on observe les erreurs de manipulation lorsqu’on entre dans un restaurant » : le médecin multiplie les exemples évoquant « les viandes ou les volailles marinées que l’on garde trop longtemps hors du réfrigérateur en période de grande chaleur, ou encore les trop nombreuses pannes d’électricité qui entravent le processus de réfrigération, ou même les légumes et les fruits mal lavés ». Mais restaurants et hôtels ne sont certes pas les seuls fautifs. L’éleveur, l’importateur, le grossiste ou le revendeur peuvent être eux-mêmes responsables d’une viande, d’un poisson, d’un poulet ou de laitages avariés. « Il est difficile d’être sûr qu’un animal abattu n’est pas porteur d’une maladie comme la brucellose », indique le médecin. Par ailleurs, certains produits peuvent être avariés, ou même porteurs de bactéries avant leur livraison aux restaurants, la chaîne du froid n’ayant pas été respectée à la source, ou à un certain maillon de la chaîne. Alors que dans le cas des fruits et légumes, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui sont directement responsables de nombreux cas d’intoxication alimentaire. Sous prétexte de protéger leurs produits, ils ne se privent pas d’abuser d’insecticides toxiques, sans avoir été soumis au moindre contrôle. Face à cette vague de gastro-entérites plus ou moins graves, les différents ministères concernés au même titre que les municipalités se renvoient la balle, dans l’attente de l’étude et de la mise en place de la loi sur la sécurité alimentaire qui chargerait un seul organisme des problèmes relatifs à l’alimentation. En fait, pas moins de quatre organismes publics se partagent actuellement la responsabilité de la sécurité alimentaire du consommateur. La Direction de la protection du consommateur du ministère de l’Économie surveille la date de validité des aliments. Le ministère du Tourisme vérifie l’hygiène des lieux touristiques, notamment la propreté des restaurants, leurs salles, leurs cuisines, leurs fourneaux, leurs réfrigérateurs, etc. Quant au ministère de la Santé publique, il est responsable des produits à la source, autrement dit des conditions d’abattage, de stockage et d’emballage chez les éleveurs et les importateurs. Les municipalités, elles, vérifient, avant de délivrer un permis d’exploitation, que les restaurants ou hôtels sont bien conformes aux normes requises. Ce partage des responsabilités est d’ailleurs la cause de nombreux malentendus et peut-être même d’une certaine apathie des instances officielles. Difficile alors de mener une enquête et de trancher en cas d’intoxication collective. Difficile surtout pour les victimes d’avoir un recours solide et responsable. Même si au niveau du ministère du Tourisme, la directrice du ministère, Nada Sardouk, vante la bonne tenue des institutions touristiques libanaises et assure que le ministère multiplie les contrôles dans les établissements touristiques. « Nous n’hésitons pas à fermer un établissement où les mesures d’hygiène laissent à désirer », assure-t-elle d’ailleurs. Cesser de jouer avec la santé des citoyens Soucieuses de porter assistance au consommateur, des associations prennent aujourd’hui la relève et dénoncent l’immobilisme de l’État, notamment l’Association de protection du consommateur, Consumer Lebanon, dirigée par le docteur Zouhair Berro, médecin généraliste. « Le problème des intoxications alimentaires a fait de nombreuses victimes cet été. Nous estimons que les gastro-entérites ont représenté 80 % des consultations d’urgence dans les hôpitaux », déplore-t-il. Un chiffre jugé exagéré par le gastro-entérologue que nous avons interrogé. Mais le docteur Berro persiste et signe : « Nous savons pertinemment que de nombreux restaurants et hôtels, même les meilleurs, ne prennent pas les mesures nécessaires pour protéger la santé du consommateur. Nous n’arrêtons pas de recevoir des plaintes des consommateurs à propos de nouveaux cas quotidiens d’intoxication. » M. Berro évoque, à titre d’exemple, les nombreux cas « de viandes, de volailles ou de poissons avariés que les restaurateurs trempent dans des marinades à base de vinaigre pour en faire disparaître les mauvaises odeurs », il déplore aussi « l’emploi par les agriculteurs d’insecticides dangereux sur les fruits et légumes ». Il observe par ailleurs « une rupture de la chaîne du froid, constatée à plusieurs étapes dans la congélation des aliments ». « Les exemples pullulent », poursuit-il, parlant « des bouchers qui laissent la viande dehors, à la portée des mouches, malgré la chaleur, ou les glaciers qui servent la glace sans porter de gants dans des réfrigérateurs à la merci des pannes de courant ». « Il faut arrêter de jouer avec la santé des consommateurs », demande-t-il. « Le pire est qu’il n’y a aucun contrôle officiel. Quant à la solution, outre la sensibilisation des consommateurs, elle réside principalement dans la création d’un seul organisme chargé de gérer la sécurité alimentaire à tous les niveaux. » La prudence est de mise. Le consommateur n’a aujourd’hui d’autre choix que d’éviter certains aliments dits à risque dans les restaurants et les endroits publics, comme les crèmes, les aliments à base d’œufs crus, les viandes crues ainsi que les marinades. Boycotter les lieux qui ont été la cause directe de nombreux cas d’intoxication alimentaire est aussi une éventualité, conseille le docteur Zouhair Berro. D’autant plus que les bruits courent et qu’il est difficile de se défaire d’une mauvaise réputation. Anne-Marie EL-HAGE

Les cas d’intoxication alimentaire ne se comptent plus. Les urgences des hôpitaux regorgent de malades pris soudainement de vomissements, de diarrhées, de coliques intestinales et de fièvre, après un repas au restaurant. Le dernier cas d’intoxication est collectif et remonte à une semaine, touchant sévèrement quarante convives qui participaient à un dîner de fiançailles dans un...