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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Réincarnation

Les interpellations de responsables sécuritaires, anciens ou actuels, survenues hier en relation avec l’affaire Hariri, ne constituent pas à proprement parler une surprise. Pressenties, prévues, attendues sauf peut-être pour ce délirant chantre de la tutelle qu’est l’ancien député Nasser Kandil, elles ont néanmoins fait l’effet d’une bombe. Pour la première fois depuis bien longtemps en effet, on voit s’esquisser l’ébauche d’un État libanais : un État faisant preuve de diligence et de fermeté pour retrouver (excusez du peu) des assassins de présidents. Fini le temps, donc, où une chape de plomb venait invariablement s’abattre sur des liquidations aussi retentissantes, pourtant, que celles de Béchir Gemayel et René Moawad ou d’autres personnalités politiques ou spirituelles de premier plan. En même temps que ses obligations les plus élémentaires, l’État, aiguillonné il est vrai par la volonté internationale, vient de retrouver sa dignité et, par voie de conséquence, le respect des citoyens. Après tant d’années de honteux effacement, de servitude, de soumission aux diktats étrangers, cela fait forcément du bruit. Il reste que de telles bombes, pour salutaires qu’elles puissent être, peuvent aussi assommer. Effrayer, et pas seulement les assassins. Toutes les vérités sont-elles vraiment bonnes à dire, se demandent anxieusement en effet nombre de Libanais, ravivant de la sorte un débat vieux comme le monde ? Qu’arriverait-il si l’enquête sur l’attentat du 14 février devait effectivement mener là où l’on sait, là où se sont, dès le premier instant, portés les soupçons, ceux du bon peuple comme des gouvernements étrangers ? Ne serait-ce pas aller tirer le diable par la queue et ouvrir toutes grandes ainsi les portes de l’enfer ? N’est-ce pas d’ailleurs la raison pour laquelle Paris est soudain devenue le havre de diverses personnalités politiques figurant, selon toute vraisemblance, sur une sinistre liste noire ? Ne vaudrait-il pas mieux dès lors, pour avoir la paix, se contenter de demi-vérités, se satisfaire de quelques boucs émissaires sans chercher à remonter plus haut, trop haut, dans la hiérarchie du crime ? À ces questions, Fouad Siniora a répondu hier avec autant de courage, d’honnêteté et d’optimisme que de concision. C’est en responsable, en patron conscient de ses prérogatives mais aussi de ses devoirs que le Premier ministre a massivement cautionné les considérables développements d’hier. À tout le gotha sécuritaire et judiciaire réuni autour de lui dans la matinée, il a fait part de sa détermination à aller jusqu’au bout. Et à redorer, du même coup, le blason d’un appareil répressif libanais qui traînait une fort triste réputation, comme dûment consigné dans le récent rapport préliminaire de Detlev Mehlis au Conseil de sécurité. Aux enquêteurs de l’ONU, Siniora a apporté par ailleurs une solide caution, tant légale que politique et morale. Il ne s’est pas embarrassé des mêmes (et bizarres) fioritures de style que le ministère de la Justice pour décerner publiquement aux personnages interpellés la qualité de suspects. Et il a proclamé sa confiance absolue dans la commission Mehlis, objet d’une campagne de dénigrement qui est allée crescendo à mesure que progressaient ses recherches. Car de fuites contrôlées en interrogatoires, de rapports accablants en mises en garde onusiennes, le procureur allemand aura apparemment réussi à se gagner la coopération des autorités libanaises, mais aussi une promesse de coopération du régime syrien. À faire se délier les langues : à briser, il faut l’espérer, la règle du silence, l’omerta des services de l’ombre. À circonscrire ou à faire sauter plus d’un de ces fusibles censés protéger les plus hautes sphères du pouvoir : des fusibles que le président Lahoud, pourtant, continuait de défendre hier encore avec le plus grand acharnement ; la plus grande inconscience ? Pour finir, le chef du gouvernement a entrepris de rassurer ceux des Libanais qui craignent qu’à trop remuer le séisme Hariri, l’on déclenche de nouveaux et terribles cataclysmes : seuls les meurtriers doivent trembler, a-t-il affirmé. Et Siniora a bien fait. Car céder à une trompeuse prudence, à la classique raison d’État pour faire l’impasse sur le tragique passé, ce n’est pas seulement offrir absolution et impunité aux tueurs : c’est encourager tous les assassinats à venir, dans un Liban immuablement voué à toutes les interférences et manipulations extérieures.

Les interpellations de responsables sécuritaires, anciens ou actuels, survenues hier en relation avec l’affaire Hariri, ne constituent pas à proprement parler une surprise. Pressenties, prévues, attendues sauf peut-être pour ce délirant chantre de la tutelle qu’est l’ancien député Nasser Kandil, elles ont néanmoins fait l’effet d’une bombe.
Pour la première fois depuis bien...