Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

perspectives Les critiques sur les réticences de Siniora à tirer profit de la nouvelle majorité sont déconnectées des réalités objectives internes Plaidoyer pour un vaste débat politique « à l’irakienne »

La mise en place du pouvoir politique transitoire qui a vu le jour en Irak après la chute de Saddam Hussein a été qualifiée par certains observateurs avertis d’entreprise de « libanisation », dans le sens constructif du terme, du fait que la répartition des principaux postes-clés de ce pouvoir de transition s’est faite en tenant compte des réalités communautaires du pays : la présidence de la République a été confiée à la minorité kurde, la présidence de la Chambre aux sunnites et le poste de chef du gouvernement à la majorité chiite. À la lumière des discussions fiévreuses qui se poursuivent à Bagdad autour du projet de nouvelle Constitution, peut-on espérer aujourd’hui le chemin inverse, c’est-à-dire une « irakisation » du débat sur la scène libanaise, concernant la nature du système politique dont devrait être doté le Liban ? Certes, l’élaboration de la Constitution en Irak s’opère de façon particulièrement laborieuse et l’aboutissement final de ce processus reste flou et demeure, en tout cas, tributaire du référendum prévu le 15 octobre prochain. Il reste que les nouveaux leaders et responsables des diverses composantes du tissu social irakien ont eu l’immense mérite de jouer cartes sur table, d’afficher publiquement, sans détour ni complexe, leurs attentes, leurs aspirations et leurs appréhensions. Tous les courants contribuent ouvertement dans ce cadre au brassage des idées, même les partisans d’une réhabilitation du parti Baas. La recherche du consensus n’en est, à l’évidence, que plus difficile et force est de reconnaître que l’apport du très entreprenant ambassadeur des États-Unis à Bagdad, Zalmay Khalilzad, est loin d’être négligeable à cet égard. Mais quelle que soit l’issue de cette genèse constitutionnelle, une constatation capitale s’impose : pour la première fois dans l’histoire contemporaine du monde arabe, un vaste débat public est en cours pour définir les fondements d’un système politique qui soit non pas le fruit de la volonté ex cathedra d’un leader autocratique ou d’un parti unique, mais plutôt le reflet véritable des réalités socioculturelles et communautaires sur le terrain. Il s’agit là d’un défi en tout point historique, et si cette entreprise fait chou blanc et dérape, c’est que sans doute, entre autres, la recherche du consensus n’aura pas été convenablement menée à son terme. C’est dans cette optique que la genèse irakienne revêt un intérêt certain pour les Libanais. Car les pratiques politiques et l’édifice constitutionnel au Liban ont constamment été marqués par un « mensonge mutuel » entre les fractions libanaises, par une attitude de déni, par ce refus irrationnel de reconnaître comme tel le pluralisme socio-communautaire qui a toujours caractérisé l’entité libanaise au fil des siècles. La Loi fondamentale au Liban n’a que très timidement – et en des termes très édulcorés – reconnu et géré ce pluralisme. Dans une certaine mesure, cette dichotomie explique au stade actuel le dilemme dans lequel se trouve aujourd’hui le cabinet Siniora. L’axe Courant du futur-Joumblatt-Kornet Chehwane dispose en effet d’une majorité confortable au Parlement et au sein du gouvernement. Sur le papier, et en s’en tenant strictement à la Constitution et à la législation en vigueur, cette nouvelle majorité parlementaire (et gouvernementale) est en droit, légalement, de prendre toute décision importante qu’elle juge bon d’adopter en Conseil des ministres. Mais ne risquerait-elle pas de provoquer une grave crise nationale si elle s’aventurait à trancher des dossiers cruciaux internes sans s’assurer au préalable de l’aval du tandem Amal-Hezbollah qui ne bénéficie pourtant pas de la minorité de blocage ? Cette même majorité gouvernementale pourrait-elle, de la même façon, décider de la loi électorale ou d’éventuels amendements constitutionnels, à titre d’exemple, sans tenir compte de la position de la fraction qui représente non moins de 70 pour cent de l’électorat chrétien, en l’occurrence le Courant patriotique libre, qui n’est pas représenté au sein du gouvernement ? Avant l’approbation de l’accord de Taëf, l’ancienne Constitution accordait au président de la République le pouvoir absolu de nommer les ministres et le chef du gouvernement. Mais dans la pratique, le chef de l’État n’a jamais usé de ses prérogatives sur ce plan – à de très rares exceptions près – et formait toujours le gouvernement en accord avec le Premier ministre, contrairement aux dispositions de la Loi fondamentale. Cette constante contradiction entre les termes de la Constitution, d’une part, et les pratiques du pouvoir, tenant compte des impératifs du nécessaire équilibre intercommunautaire, d’autre part, est l’expression flagrante de ce refus persistant de reconnaître sans équivoque la nature pluraliste de la société libanaise et de refléter réellement toutes les dimensions de ce pluralisme dans les structures du système politique en place. Il en résulte un dysfonctionnement fréquent de ce système, source d’instabilité récurrente. À la lumière de ces considérations, la polémique actuelle sur les hésitations de Fouad Siniora à tirer profit de la nette majorité dont il bénéficie au Parlement et au sein de son équipe ministérielle est non seulement artificielle, mais aussi totalement déconnectée des réalités nationales. Le Liban est aujourd’hui en pleine phase de transition. Une « irakisation » du débat politique interne, qui se ferait ainsi sans faux-fuyants et sans complaisance, serait à cette occasion quelque peu salutaire. Elle pourrait en tout cas avoir un certain effet… thérapeutique dans l’espoir que la Constitution puisse être un jour, enfin, et une fois pour toutes, en phase avec les pratiques du pouvoir et les données objectives sur le terrain. Michel TOUMA
La mise en place du pouvoir politique transitoire qui a vu le jour en Irak après la chute de Saddam Hussein a été qualifiée par certains observateurs avertis d’entreprise de « libanisation », dans le sens constructif du terme, du fait que la répartition des principaux postes-clés de ce pouvoir de transition s’est faite en tenant compte des réalités communautaires du pays : la...