Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Réponse à Karim Pakradouni

Aucun homme politique, aussi désintéressé soit-il, et aussi noble que puisse être la cause au nom de laquelle il s’investit dans le débat civique, n’est à l’abri d’une tentation, fort compréhensible, de la reconnaissance sociale, celle qui apporte la gloire comme elle peut aussi susciter la jalousie. Un homme politique est par définition opportuniste. Il n’aurait, sinon, pas fait de la politique. Il est inutile de nier une telle évidence surtout qu’il s’agit d’une entreprise légitime relevant de la nature humaine, jusqu’à en faire, dans une acception hégélienne, le moteur de l’histoire. Plus que tout, c’est la liberté ou la capacité en politique de changer ses orientations qui a ses limites. La politique a ses rouages, ses modes et ses règles que tout le monde connaît, même si l’on ne peut toujours empêcher les inévitables compromissions qu’implique un engagement pour un monde meilleur. Si l’on part du principe que l’on peut des fois changer sagement d’avis, qu’il faudrait s’accommoder du fait que les hommes politiques sont nécessairement des girouettes, il reste que Karim Pakradouni, de par son tempérament versatile, est plus sensible que d’autres aux variations des vents politiques. S’il s’obstine à « demander des comptes », je ne peux que vouloir sur ce point l’aider à faire son autocritique. Encore que celle-ci soit une entreprise difficile, car par où commencer ? En considérant bien sûr que l’on ne peut, comme le voudrait M. Pakradouni, en guise d’échappatoire, « tourner la page des divisions et des dissensions, et regarder ensemble vers l’avenir ». On ne tire pas son épingle du jeu aussi facilement. On est, au contraire, rattrapé par les options prises dans le passé. Quoi qu’il en soit, on paye toujours, d’une manière ou d’une autre, ses errements politiques, bien que l’on ne puisse, aussi, les couvrir tous du même opprobre. « Déclarer l’amnistie générale pour toutes les irrégularités commises par les membres du parti Kataëb depuis 1975 » est encore un leurre. On n’amnistie personne lorsqu’on est soi-même coupable. Karim Pakradouni l’a même indirectement reconnu. En souhaitant « des élections pour désigner la nouvelle direction du parti, avant mai 2006 et selon les nouvelles donnes ». Une allusion à peine voilée aux anciennes élections du parti, organisées selon les anciennes donnes, c’est-à-dire celles en vigueur à l’ère syrienne, avec tout ce que cette période comporte d’effondrement et de malversations politiques, et avec tout ce qu’implique la collaboration depuis 1990 de la direction de Saïfi avec un régime liberticide, reniant ainsi sa propre base et trahissant tous les idéaux sur lesquels reposait les Phalanges. Cet esprit de 1936, qui amena Pierre Gemayel et Charles Helou à se positionner ouvertement en faveur de l’indépendance du Liban, même si cet État devait sa naissance aux accords de Sykes-Picot en 1916 et de San Remo au printemps 1920. Cela, en dépit de tous les découpages administratifs contre nature que comportaient ces accords, et avec, comme point culminant de la realpolitik britannique, la déclaration de lord Balfour en 1917, promettant un foyer national juif, ce qui devait, trente ans plus tard, engager le Liban sur l’interminable voie de l’instabilité. L’histoire des Phalanges est certes tumultueuse. Elle accompagne en cela l’histoire du Liban contemporain, dans ses soubresauts et ses vicissitudes. Souvent, le parti Kataëb a pris des positions en dehors de l’avis de ses assises populaires. Comme en 1943, alors que la rue chrétienne s’affichait naturellement favorable au maintien du Mandat. Mais jamais ce parti, depuis l’époque de la direction collégiale, avec entre autres Georges Naccache, jusqu’au leadership et la « chefferie suprême » de Pierre Gemayel, n’a renié les principes mêmes sur lesquels il avait été édifié et qui ont structuré l’identité qui est la sienne : le rejet de tout projet politique en dehors ou en deçà de l’entité libanaise. Des principes qui ont forgé, somme toute, la récente doctrine libaniste, avec son pari, à la limite de l’impossible, qui fait que même si le Liban avait été un État récent – et loin de toute référence absurde au « phénicienne » – , cela ne devrait pas servir de prétexte à ce qu’il n’ait pas la chance d’exister. Et que, même en ne s’alignant pas sur le modèle occidental de l’État-nation, et en ne jouissant pas d’une mémoire collective et d’un unique sentiment d’appartenance des citoyens à une nation, l’État libanais a quand même le mérite d’exister, en se prévalant, avant tout, d’une seule mais combien profonde raison d’être : le pluralisme. Le parti des Phalanges, inscrit officiellement sous le titre de Parti social démocrate libanais, a été finalement plus un concepteur et un faiseur d’opinions qu’un simple meneur de foules. C’est là toute la différence d’une structure qui inscrit chaque action dans le droit fil d’un projet à long terme, en ne s’engageant jamais sur la voie glissante du dogmatisme et des idéologies sclérosées, en favorisant chez les intellectuels et les hommes d’action, par leurs activités et leurs écrits enrichissants, la réflexion d’un mouvement qui s’est créé de façon permanente. Depuis le soutien aux premiers gouvernements de Abdel Hamid Karamé et des gouvernements issus de l’indépendance, jusqu’à la collaboration avec le régime chéhabiste et ses réformes, puis son désaveu et sa conversion au Helf de 1968, pour corriger les excès de pouvoir à l’époque du IIe Bureau, en passant par la Troisième Force au cours de la crise de 1958, prônée par Georges Naccache et suivie à merveille par Pierre Gemayel, avant que celui-ci ne décide la nécessaire contre-révolution, pour effacer cette couleur de vainqueur qu’annonçait Rachid Karamé, et avec lui le courant nassérien et les figures tutélaires de la désobéissance civile, et pour rétablir l’équilibre communautaire. Karim Pakradouni ne devrait pas se faire trop d’illusions. Son énième appel aux membres de son parti, « actuels et anciens », à un congrès autour du thème de « la renaissance du parti Kataëb » ne sera, tout simplement, et pour la énième fois aussi, pas entendu. M. Pakradouni afffirme qu’il a pris en 2002 « le commandement d’un parti paralysé et en lambeaux, qui souffrait d’un conflit de pouvoir », mais il oublie tout de même, avec une commodité qui n’étonne plus personne, qu’il a été pour beaucoup dans ce conflit de pouvoir et qu’il a paralysé encore plus ce parti, par une politique de suivisme aveugle au régime de tutelle. Sans être adhérent au parti des Phalanges, je peux me permettre d’affirmer, en citoyen qui observe les affaires de la cité, que les membres du parti Kataëb n’ont jamais confondu « fidélité et muette adhésion à la hiérarchie ». Une attitude obstinée qui les a conduits à l’objection de conscience, c’est-à-dire un acte de refus, autant qu’une insoumission. Un acte sincèrement négatif qui ne contenait en effet aucune affirmation constructive. En confrontant les impératifs de la conscience individuelle à la soi-disant légalité du parti après les années 1990, ces mêmes partisans ont rompu le contrat tacite qui prévoit à la fois droits, devoirs et obligations au sein d’une structure politique. Ils se sont placés à l’écart de la communauté politique des Kataëb parce qu’ils n’acceptaient pas de voir régner un politbureau en marge de toute légitimité. Le problème actuel des Kataëb est essentiellement non un « conflit de pouvoir » comme s’efforce de le décrire M. Pakradouni, mais une crise de légitimité et une transgression de toute morale politique, qui ont fait que les consciences individuelles des membres n’ont plus suivi le commandement et ont préféré, en baïonnettes intelligentes qu’elles sont, prendre leurs distances à l’égard d’un scandale qui n’a que trop duré. M. Pakradouni devrait savoir, lui qui a survécu à tous les régimes, que les membres auxquels il s’adresse ne répondront à un quelconque appel que si cette crise de légitimité à l’intérieur des Phalanges cesse. Même une opposition au sein des Kataëb n’est pas envisageable. En cela, l’objection de conscience des membres du parti est différente d’une opposition, pourtant nécessaire, même au sein d’un parti politique. Il y a en effet objection de conscience lorsqu’un groupe ou un individu refuse délibérément de reconnaître un système, partisan ou autre, et d’accepter les normes morales qu’impose ce système. Il y a aujourd’hui chez les membres des Kataëb une exigence éthique supérieure à ce que M. Pakradouni leur propose. Les orientations choisies par l’actuel bureau politique des Kataëb et le retrait des adhérents que de tels choix ont impliqué ont rendu la base des Kataëb diffuse dans sa répartition géographique sur le territoire libanais et ambiguë dans sa force de mobilisation. Comme si tout était à refaire. En cela, la logique qui est la mienne converge avec celle de M. Pakradouni, bien qu’elle ne soit pas mue par les mêmes motivations, sur la nécessité d’une « renaissance des Kataëb ». Ceux-là devront en effet, en tant que dernier parti chrétien désirant retrouver son naturel politique, entamer une nouvelle ère dans leur histoire. La question qui se pose en filigrane est la reconnaissance des scrupules de conscience et les entorses au règlement intérieur du parti par ses membres qui ont préféré abandonner le militantisme plutôt que de se porter garants d’une pratique politique, pour le moins qu’on puisse dire, intolérable dans ses concessions à l’occupation et au régime dont il en a découlé. Ces membres ont rejoint passivement, dans leur revendication au libre arbitre individuel, ceux qui ont décidé, comme les étudiants – parmi lesquels nombreux sont ceux qui étaient issus des rangs des Kataëb – de prendre part activement à la résistance pacifique à l’oppression, pour s’opposer à toutes les ressources de l’arbitraire, exercer une dissuasion sur l’agresseur et dénoncer l’absence d’un choix véritable entre des politiques décentes. La seule voie à l’unification du parti de Pierre Gemayel et à sa réconciliation avec le nouveau contexte passe par un départ obligé de M. Pakradouni. Il est vain de vouloir assainir les rapports entre des membres exigeants et un establishment de parti jugé abusif et qui n’a pas fini d’étouffer leur interpellation humaniste. Cependant, une objection de conscience parvenue à ses fins est celle qui, dans son incarnation et son originalité, appelle un dépassement. Un dépassement d’elle-même pour enfin devenir constructive. C’est à partir de cette tension entre l’exigence de vérité et la volonté de la consacrer que devra se formuler les nouveaux projets des Phalanges. À condition aussi que les anciens membres se présentent en un front uni pour réaliser ces projets. Amine ASSOUAD
Aucun homme politique, aussi désintéressé soit-il, et aussi noble que puisse être la cause au nom de laquelle il s’investit dans le débat civique, n’est à l’abri d’une tentation, fort compréhensible, de la reconnaissance sociale, celle qui apporte la gloire comme elle peut aussi susciter la jalousie. Un homme politique est par définition opportuniste. Il n’aurait, sinon, pas...