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Actualités - REPORTAGE

Ressources hydrauliques - L’eau, nouvel enjeu géopolitique «Opération Litani» ou la guerre pour l’or bleu (photos)

Le n°4 de la revue « Études géopolitiques » éditée par l’Observatoire français d’études géopolitiques (OEG) vient de paraître. Publié sous la direction de Charles Saint-Prot et Zeina el-Tibi, ce numéro soulève la question de l’eau, de son enjeu économique et commercial dans les principales régions du monde (Proche-Orient, Asie, Amérique, Afrique). L’« or bleu » fait l’objet de plusieurs analyses signées Jeremy Allouch (Institut universitaire des hautes études internationales à Genève), Chanel Boucher (vice-président de la Banque africaine de développement), Alexandre Brun (professeur à l’université de Caen), Adil Bushnak (Arabie saoudite), Fadi Comair (directeur des Ressources hydrauliques au Liban), Frédéric Lasserre et Jean Mercier (professeurs à l’université Laval du Québec), Gilles Munier (journaliste), Ricardo Petrella (Université catholique de Louvain), Charles Saint-Prot (géopoliticien, directeur de l’OEG) et Zeina el-Tibi (journaliste, directeur de la revue « Études géopolitiques »), mais aussi Christian Chesnot, journaliste spécialiste des questions hydrauliques et auteur de plusieurs publications dont « La bataille de l’eau au Proche-Orient », paru aux éditions L’Harmattan. Le numéro lui consacre une étude sur la question de l’eau dans le conflit israélo-arabe dont nous publions ci-dessous quelques extraits. Au Proche-Orient plus qu’ailleurs, l’eau promet d’être un enjeu majeur du XXIe siècle. L’occupation de la Cisjordanie se traduit par une réalité lourde de conséquences pour les Palestiniens : Israël contrôle tous les flux, en provenance ou à destination des Territoires autonomes. Hommes ou marchandises, électricité ou Internet, tout doit passer par l’État hébreu à un moment ou à un autre. Et l’approvisionnement en eau ne doit pas faire exception à la règle. Les autorités israéliennes peuvent en effet à tout instant « couper le robinet » puisqu’elles gèrent l’ensemble du système d’infrastructures hydrauliques, des stations de pompage jusqu’au réseau de canalisations (…) L’État hébreu dispose de la capacité technique de limiter ou de perturber ses livraisons d’eau en fonction de la conjoncture politique. Une véritable épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de la tête de la population palestinienne, qui, depuis des années, souffre d’un approvisionnement parcimonieux, et largement insuffisant. Car en Palestine, comme ailleurs au Proche-Orient, le spectre de la pénurie d’eau menace. Outre la dimension politique (l’eau est une source de pouvoir pour celui qui la possède), la problématique du partage des ressources hydriques est devenue un enjeu majeur pour tous les pays de la région. Régulièrement, le roi Abdallah II de Jordanie parle dans ses discours de « priorité nationale » absolue pour son royaume. Car le Proche-Orient commence à connaître des situations de « stress hydrique », selon la terminologie employée par les experts hydrauliques. Nombreux sont les États qui se situent désormais sous le seuil de pénurie, estimé à 1 000 m3 d’eau par habitant et par an. À 500 m3, la situation devient critique et à moins de 100 m3, il faut faire appel à des sources d’eau « non conventionnelles » comme le dessalement ou la réutilisation des eaux usées. Le Koweït, le Qatar et Bahreïn disposent de 90 à 120 m3 par habitant et par an ; l’Arabie saoudite de 160 m3 ; Israël de 400 m3 et la Jordanie de 260 m3. Ces deux derniers pays accusent un déficit d’environ 300 millions de m3/an qu’ils comblent en surexploitant les nappes phréatiques, dont certaines ne sont pas renouvelables. Aujourd’hui, l’équilibre entre les besoins de l’homme (agriculture, tourisme, industrie et approvisionnement des villes) et la qualité d’eau disponible dans de nombreuses parties du Proche-Orient est rompu ou en passe de l’être. Face à une croissance démographique rapide combinée à un développement économique et social qui dévore les ressources hydrauliques, le fossé se creuse inexorablement. Tout au long de la dernière décennie, la crise de l’eau a atteint une ampleur inquiétante. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, a été l’une des premières personnalités internationales à tirer la sonnette d’alarme : « Le prochain conflit dans la région du Proche-Orient portera sur la question de l’eau (…) L’eau deviendra une ressource plus précieuse que le pétrole », assurait-il dès 1992. Israël assoiffe pour régner Plusieurs « guerres de l’eau » ont déjà eu lieu dans un passé récent. Ainsi la troisième guerre israélo-arabe de 1967, dite des Six-Jours, fut à bien des égards un conflit pour le contrôle des sources du Jourdain. Une grande partie de la tension qui a provoqué le déclenchement des hostilités trouve son origine dans les efforts d’Israël et des pays arabes visant à détourner et à exploiter à leur profit exclusif le cours du fleuve biblique. La décision d’Israël, en septembre 1953, d’assécher le lac Houleh pour capter la totalité du débit du Jourdain suscita une levée de boucliers dans le monde arabe. Afin d’apaiser les tensions naissantes, les États-Unis dépêchèrent d’urgence dans la région un envoyé spécial, Eric Johnston. Celui-ci proposa le fameux plan de partage des eaux du Jourdain qui porte son nom et qui restera pendant des décennies la référence pour toute solution négociée. Signalons que ce plan prévoyait l’octroi de quotas pour les pays riverains du bassin du Jourdain : un tiers du débit pour Israël et les deux autres tiers pour les pays arabes (Liban, Syrie, Jordanie). Mais le plan Johnston ne fut jamais appliqué en raison du climat politique extrêmement tendu et instable de l’époque. Malgré les pressions internationales et régionales, Israël poursuivit ses travaux d’aménagement hydraulique qui devait servir à approvisionner les villes et à irriguer le désert du Néguev. De leur côté, les pays arabes décidèrent une riposte en adoptant lors du premier sommet arabe du Caire, en janvier 1964, un contre-projet de diversion des eaux du Jourdain, profitant de leurs positions privilégiées de pays en amont. Ce plan devait non seulement organiser le détournement des eaux du Jourdain vers la Syrie, le Liban et la Jordanie, mais également priver Israël des ressources du Hasbani, du Banias et du Yarmouk qui alimentent le cours du Jourdain. Israël réagit alors avec fermeté par la voix de son Premier ministre, Levi Eshkol, qui déclara le 15 janvier 1965 : « Toute tentative des Arabes visant à empêcher Israël d’utiliser la part qui lui revient des eaux du Jourdain serait considérée par nous comme une attaque contre notre territoire. J’espère donc que les États arabes n’appliqueront pas les décisions qu’ils ont prises au Caire. Si, toutefois, ils les appliquaient, une confrontation militaire serait inévitable. » Dès lors, les incidents armés se sont multipliés entre Israël et les pays arabes sur les chantiers et ouvrages hydrauliques (…) En avril 1967, l’aviation israélienne parvint à détruire un barrage syro-jordanien sur le Yarmouk. Finalement, la guerre des Six-Jours se traduisit pour l’État hébreu à la fois par des avancées territoriales et par des gains hydrauliques : l’eau du Golan et celle des nappes de Cisjordanie passèrent sous contrôle militaire israélien. Une situation qui perdure jusqu’à ce jour : un tiers de la consommation israélienne est assuré par les ressources du plateau syrien occupé et 90 % de l’eau des aquifères de Cisjordanie sont exploités pour les besoins d’Israël, notamment pour approvisionner les colonies juives. Les réservoirs du Liban-Sud L’État hébreu a toujours eu des visées hydrauliques au Liban, même s’il n’a jamais pu les réaliser. Ces ambitions remontent au projet sioniste de formation d’un État juif. En 1919, dans une lettre adressée au Premier ministre britannique de l’époque, Lloyd George, le président de l’Organisation sioniste mondiale, Chaim Weizmann, écrivait : « (...) Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,5 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon. » Mais le gouvernement français opposa son veto aux prétentions de la direction du mouvement sioniste ; et cela, afin de contrer l’influence britannique dans la région et de pérenniser son projet de « Grand Liban ». Israël n’a pas, pour autant, renoncé à son rêve d’accéder aux rives du Litani. Il y parviendra une première fois en 1978, lors de l’invasion militaire baptisée « opération Litani ». Le fleuve, qui prend sa source dans la vallée de la Békaa et forme un coude au niveau du château de Beaufort avant de se jeter dans la Méditerranée, constitue une ligne rouge en-deçà de laquelle Israël ne tolère aucune présence militaire hostile, qu’elle soit palestinienne ou syrienne. En 1982, lors de l’opération « Paix en Galilée », les troupes israéliennes iront jusqu’à assiéger Beyrouth pour chasser les forces de l’OLP du Liban, avant de se redéployer puis d’établir une zone de sécurité de 850 km2 au Liban-Sud censée protéger sa frontière nord. L’expérience de ce glacis défensif sera un échec complet, qui s’achèvera en mai 2000 par le retrait des soldats israéliens et la dislocation de l’Armée du Liban-Sud (ALS), milice auxiliaire de l’État hébreu commandée par le général libanais Antoine Lahd. Au cours de ces vingt-deux années d’occupation, beaucoup ont accusé Israël de pomper l’eau du Liban-Sud, celle du Litani et des sources du Jourdain (Wazzani, Hasbani). En ce qui concerne le fleuve Litani, une telle hypothèse paraît fort improbable. Il faut savoir qu’un chantier hydraulique ne passe pas inaperçu : il nécessite une logistique lourde tant en moyens humains que techniques. Lorsque les Israéliens ont commencé à s’approprier de la terre libanaise par camions entiers, la réaction internationale a été immédiate et les transferts de terre ont cessé aussitôt. Mais il n’est pas exclu que des pompages limités aux sources du Jourdain aient pu être mis en place. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les désormais fameuses fermes de Chebaa sur les flancs du mont Hermon (sud-est du Liban), adjacentes au Golan syrien annexé par Israël en 1981, surplombent un important réservoir d’eau. Cette zone contestée lors du retrait israélien abrite, en effet, deux sources contribuant à l’alimentation du Banias, du Dan et du Wazzani qui, eux-mêmes, se déversent dans le Jourdain. À n’en point douter, dans de futures négociations de paix avec Beyrouth, Israël ne manquera pas de revendiquer un accès aux eaux du Liban-Sud. Les Israéliens justifient leurs prétentions en expliquant qu’une grande partie de l’eau du Litani est perdue dans la mer et qu’elle pourrait servir à alimenter la Galilée du Nord. Ce à quoi les Libanais rétorquent que l’insécurité dans le Sud ne leur a jamais permis d’exploiter le potentiel du fleuve et qu’ils ont désormais besoin de toutes leurs réserves pour approvisionner Beyrouth en eau potable et développer l’irrigation dans la plaine de la Békaa.
Le n°4 de la revue « Études géopolitiques » éditée par l’Observatoire français d’études géopolitiques (OEG) vient de paraître. Publié sous la direction de Charles Saint-Prot et Zeina el-Tibi, ce numéro soulève la question de l’eau, de son enjeu économique et commercial dans les principales régions du monde (Proche-Orient, Asie, Amérique, Afrique).
L’« or bleu » fait...