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Actualités - ANALYSE

Eclairage - La classe politique est-elle suffisamment préparée ? Le choix du Liban face au rapport Mehlis : affronter les conséquences ou… privilégier le silence

Le Liban se prépare-t-il véritablement à amortir les ondes de choc de la « bombe Mehlis », pour utiliser les termes de Johnny Abdo ? Face à une valse de spéculations, d’informations et de désinformations, la « recherche de la vérité » que les Libanais ont érigée en devise sacrée se trouve aujourd’hui confrontée à plusieurs obstacles politiques et sociopsychologiques tant il est vrai que la lumière sur la mort de Rafic Hariri risque d’en aveugler plus d’un, toujours selon l’ancien chef des renseignements. Encore faut-il savoir si l’opinion publique est véritablement prête à accueillir le rapport dont la date est sans cesse reculée, et à en affronter les conséquences sur le plan local aussi bien que régional. Cela suppose évidemment que les responsables se soient préparés à l’avance aux quelques éventualités qui sont posées et aux « réactions » escomptées sur le plan officiel, mais aussi, au niveau de la base, dans toute sa mosaïque politico-religieuse. Certes, les positions divergent concernant la nécessité de « privilégier le silence » – qui porte des significations politiques bien particulières – ou au contraire d’attaquer de front les révélations à venir, quels que soient les auteurs du ou des crimes. Une position qui permettra aux Libanais de faire leur véritable deuil et de se tourner – non sans difficulté – vers un avenir qui ne sera jamais plus le même. L’attitude consistant « à accepter la vérité et en payer le prix » est celle qu’a privilégiée l’ancien chef des services de renseignements il y a quelques jours en estimant qu’elle permettra de mettre fin à la spirale de violence qui a ponctué la scène politique depuis le meurtre de l’ancien Premier ministre. En tenant de tels propos, M. Abdo insinuait que les commanditaires des différents attentats seraient les mêmes. Sans préjuger de l’identité de ces derniers, M. Abdo a toutefois soulevé un point important, à savoir qui serait, en définitive, le dépositaire de cette vérité : les proches du défunt ou l’ensemble de la famille libanaise ? Une question pertinente lorsque l’on sait que depuis le 14 mars dernier, la mort de Rafic Hariri est désormais l’affaire de la nation entière. Toutefois, cette nation, bien désunie depuis, devrait être à même d’harmoniser – a priori – ses répliques et unifier son attitude avant même que les résultats de l’enquête ne soient publiés, une manière sage de conjurer une cause supplémentaire de division parmi les Libanais. La liste des suspects se réduit En attendant, les scénarios sur les auteurs et commanditaires se multiplient. D’Israël – le perpétuel ennemi – en passant par la Syrie – adversaire toujours à craindre pour les uns, éventuel partenaire d’avenir pour les autres –, pour finir dans la banlieue sud de Beyrouth vers laquelle les yeux se sont rivés dès que Mehlis a demandé les cartes récentes des routes menant à ce secteur. Bien qu’elle ne soit pas tout à fait nouvelle, la rumeur sur une éventuelle implication du Hezbollah ne tient pas la route, affirment certains observateurs, ce dernier ayant été épargné des fameuses « interviews » effectuées par le juge allemand. Il aurait même été sollicité par le procureur allemand pour contribuer à l’enquête par son expertise dans le domaine des explosifs. On sait également que le parti de Dieu, dont le credo a toujours été de combattre l’ennemi incarné par Israël et non les adversaires politiques ou idéologiques de l’intérieur, n’est pas près de changer ses objectifs et principes, ce qui risquerait de le décrédibiliser sur la scène locale et lui attirer les foudres d’une communauté internationale qui l’a à l’œil, ajoutent ces sources. Quant à la théorie consistant à pointer un doigt accusateur vers Israël, elle ne semble avoir eu d’écho que parmi ceux qui ne veulent rien entendre d’autre. Reste enfin la piste islamiste dont les acteurs auraient ou non été téléguidés par Damas, et qui semble être la thèse favorite d’un certain nombre de personnes qui ont approché ce dossier, dont le chef de l’État, Émile Lahoud, qui avait montré du doigt ce groupe d’activistes, et le même Johnny Abdo, dans une interview à al-Hayat, lorsqu’il avait affirmé que des fondamentalistes avaient été chargés d’observer les déplacements de l’ancien Premier ministre. Cependant, la question qui reste en suspens est de savoir si la Syrie – que ce soit l’État ou plutôt « un clan particulier en son sein » ou encore un free-lance opérant indépendamment des autorités syriennes – est véritablement l’instigateur de cet assassinat. L’autre interrogation plus classique est de savoir quelles seraient les raisons qui auraient poussé Damas à un acte aussi suicidaire, comme l’ont déjà fait remarquer plusieurs analystes qui doutent fort que ce pays ait pu vouloir creuser sa propre tombe. Ambiguïté de la position syrienne Toujours est-il que l’hésitation (ou le refus) des autorités de Damas de répondre favorablement à la requête du procureur allemand d’interroger certains officiels en étonne plus d’un. Le rejet de la demande de la commission de soumettre ces derniers à ce type d’exercice sous prétexte qu’il y a là « une atteinte à la souveraineté de l’État » est considéré comme une « attitude justifiée » selon certains juristes, « fatale » selon d’autres. En effet, la première école argue que quand bien même signataire de la Charte de l’ONU, Damas n’est pas obligé de se soumettre s’il estime que la « coopération » requise par la résolution 1595 est « contraire à ses intérêts », une position justifiée par ce qu’on appelle le « domaine réservé » d’un État. De plus, ajoute cette source, il faut reconnaître que la mission du juge Mehlis définie dans la résolution onusienne « est ambiguë » puisqu’elle demande aux nations membres de l’organisation internationale de « coopérer pleinement avec la commission et, en particulier, de lui communiquer toutes informations relatives à l’acte de terrorisme susmentionné en leur possession ». Cet article ne précise pas toutefois la nature technique et les conséquences juridiques de cette demande, d’où la possibilité pour Damas de se dérober à cette obligation. D’autres juristes affirment au contraire que la Syrie ne peut ignorer les clauses d’une résolution internationale qui reste supérieure aux lois internes, et doit se soumettre « si elle veut éviter de devenir un paria aux yeux de la communauté internationale, et risquer ainsi de s’isoler au sein de l’ONU ». Ainsi, la persistance de Damas dans son refus pourrait apparaître d’autant plus contradictoire aux yeux de cette école qu’il n’avait pas hésité une seconde à reconnaître et à se soumettre à la résolution 1559 qui était à l’origine du retrait de ses troupes du Liban. Mais quelles que soient les interprétations juridiques de ce cas de figure, il n’y a pas de doute qu’en éludant ainsi la confrontation avec Mehlis, la Syrie finira par aiguiser les soupçons de nombreux pays qui jetteront définitivement sur elle l’anathème. Certes, les tergiversations syriennes peuvent être mises sur le compte de la confrontation politique générale qui a lieu au Proche-Orient, et qui oppose, depuis pratiquement la guerre d’Irak, le nouveau front régional au camp occidental. Dans cette optique, et en refusant l’autorité de l’ONU, la Syrie chercherait à démontrer une résistance au fait accompli et un réajustement de sa politique par rapport aux nouveaux équilibres régionaux. Ainsi le refus syrien d’obtempérer face à l’ONU peut être expliqué par la traditionnelle politique de « la fuite en avant qui ferait gagner à Damas un peu de temps ». Si tel est le cas, comment comprendre alors la décision du président syrien Bachar el-Assad de se rendre personnellement à l’Assemblée générale de l’ONU dans quelques semaines, où il devrait annoncer l’adoption par son pays de nouvelles mesures libérales. M. Assad pourra-t-il, d’ici là, persister dans son refus d’accorder aux délégués de l’ONU l’autorisation de rencontrer ses officiers ? Autant de questions auxquelles les prochains jours devront y apporter des réponses ou peut-être d’autres interrogations. Entre-temps, le Liban – qui continue lui aussi de reporter ses échéances, dont les fameuses nominations – risque d’avoir à faire face effectivement à une « bombe » s’il ne se prépare pas à l’avance à traiter avec toutes ses éventualités et à réfléchir dès à présent à l’attitude qu’il adoptera le jour de la publication du rapport. Sans oublier qu’« il reviendra au gouvernement libanais de traduire en justice les auteurs, organisateurs et commanditaires de l’attentat ». Jeanine JALKH


Le Liban se prépare-t-il véritablement à amortir les ondes de choc de la « bombe Mehlis », pour utiliser les termes de Johnny Abdo ? Face à une valse de spéculations, d’informations et de désinformations, la « recherche de la vérité » que les Libanais ont érigée en devise sacrée se trouve aujourd’hui confrontée à plusieurs obstacles politiques et sociopsychologiques tant...