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Actualités - interview

Rencontre - Catalyseur du dialogue interreligieux, le ministre de la Culture agit désormais au sein du gouvernement Tarek Mitri : Je suis un homme indépendant. Pourquoi est-ce si incroyable ? (photo)

Homme de dialogue et d’ouverture, Tarek Mitri se plaît à croire que c’est pour ces qualités qu’il a été nommé ministre. « Pendant des années, je me suis employé à favoriser le dialogue interreligieux, dans le cadre de mon action au sein du Conseil mondial des Églises. De plus, vivant à Genève depuis 15 ans, j’avais même réuni, en 2001, 24 personnalités libanaises de tous bords et de toutes appartenances politiques pour entamer un dialogue sur les grandes questions, et cette rencontre est devenue “ la plate-forme libanaise du dialogue ” qui se réunit régulièrement et publie des communiqués. C’est donc peut-être pour favoriser un climat de dialogue au sein du Conseil des ministres qu’on m’a nommé », explique-t-il dans un sourire. Mais pour l’instant, n’est-ce pas plutôt un dialogue de sourds qui est instauré ? Le ministre de la Culture a l’élégance d’en rire et reconnaît avec franchise que, c’est vrai, dans le monde politique libanais, il n’y a pas vraiment une culture du débat. « Chacun dit avec plus ou moins de clarté, et souvent avec le moins de clarté possible, ce qu’il pense. Mais le fait de vouloir convaincre et éventuellement se laisser convaincre n’est pas le fort de notre monde politique. Toutefois, on apprend à se comprendre. Il arrive même que certains changent d’opinion à la suite de la discussion. C’est vrai que celle-ci consiste souvent en une série de monologues, mais il y a parfois de petites fenêtres vers lesquelles nous nous précipitons. » Tarek Mitri explique ainsi qu’au cours de la séance gouvernementale de jeudi, le dossier des nominations a occupé une heure et demie de débat. « La discussion était très bonne, ajoute-t-il, et sur certaines questions de détails, certains ministres ont changé d’opinion. Mais à la fin, il y a toujours quelqu’un qui vous rappelle que vous rêvez, que vous êtes naïf ou romantique, ou que vous ne tenez pas un discours politique. À ceux-là, je réponds que la politique c’est aussi la vision de l’intérêt public. Car en fait, je crains que leur rappel ne soit destiné à alimenter la primauté des loyautés plutôt que de laisser la place aux compétences. Pour moi, au sein de la Fonction publique, la compétence et l’honnêteté doivent primer sur les autres considérations. » Mais au sein du gouvernement, chaque ministre a une allégeance claire, sauf lui. Comment expliquer cela ? « Je suis un homme indépendant. Est-ce si difficile à croire ? » Au Liban, actuellement, un peu… « Eh bien, c’est vrai. Je vivais à Genève depuis 15 ans. Et tout en m’intéressant à la politique libanaise de très près – je venais régulièrement donner des cours au Liban –, je n’étais pas impliqué dans la quotidienneté de cette politique. Au sein du Conseil mondial des Églises, j’étais chargé d’organiser le dialogue entre les différentes communautés religieuses, en Russie, au Soudan, au Nigeria et ailleurs. Je ne vois pas pourquoi je ne mettrais pas mon expérience dans ce domaine au service de mon pays. J’ai écrit d’ailleurs des livres sur mon expérience dans ces pays et sur le dialogue interreligieux, et ceux qui s’intéressent à ces questions me connaissent. Je suis un grec-orthodoxe très actif, et un des conseillers du patriarche Hazim. Si on veut donc choisir un grec-orthodoxe, je figure sur la liste. De plus, je suis un ami personnel de Nagib Mikati et de Fouad Siniora. Ce dernier était, comme moi, membre du Club culturel arabe. Voilà donc mon histoire. » « Je me sens parfois mal à l’aise au gouvernement » Mais ne se sent-il pas un peu orphelin au sein du Conseil des ministres où tous les autres membres ont une affiliation politique connue ? « Je ne peux pas vous dire que je ne me sens pas parfois mal à l’aise. Mais j’espère pouvoir jouer le rôle de catalyseur du dialogue. Bien que le gouvernement ne soit pas un espace de dialogue. C’est un organisme de décision. En général, les ministres n’ont ni beaucoup de temps ni beaucoup de patience. Mais je reste convaincu qu’une bonne décision nécessite au minimum une demi-heure de dialogue préalable. J’essaie de le faire, mais le fait d’être le plus indépendant me rend parfois peu efficace. » Le ministre de la Culture affirme que nul ne lui a jamais dit : « Vous êtes notre homme. » Selon lui, le hasard a voulu qu’il soit choisi et, pour une fois en tout cas, il a bien fait les choses. Ne pense-t-il pas, comme le disent certains, que ce gouvernement est déjà paralysé ? « Je ne le crois pas, répond M. Mitri. Au contraire, il me semble qu’il existe au sein du Conseil des ministres une certaine dynamique consensuelle. C’est en tout cas ce qui se dégage des quatre ou cinq réunions que nous avons déjà tenues. Il ne faut pas oublier que ce gouvernement n’a obtenu la confiance qu’il y a 18 jours. » Mais le dossier des nominations traîne en longueur. « Je pense qu’il est important d’aller très vite, mais les nominations judiciaires et sécuritaires doivent être décidées dans le calme et la transparence. Nous avons longuement discuté du mécanisme, jeudi, et nous avons préparé un projet de loi qui définit les critères de ce mécanisme basé sur les qualifications et l’intégrité des candidats dont les dossiers seront discutés par un comité de six membres. » « Deux logiques inacceptables : le compromis et le communautarisme » Que fera-t-il si ce mécanisme n’est pas appliqué ? « Je serais très fâché. Mais je ne fais pas partie de ceux qui brandissent la menace de la démission. J’ai simplement des convictions très fortes sur le sujet. Pour moi, il existe deux logiques inacceptables : celle du deal entre les forces politiques et celle du communautarisme poussé à l’extrême. Certes, je suis conscient que l’équilibre entre les communautés est difficile à gérer et qu’il existe des frustrations légitimes. Mais il ne faut pas devenir prisonnier de ces frustrations. L’accord de Taëf est d’ailleurs très clair sur ce sujet. Il évoque trois critères pour le choix des fonctionnaires : la compétence et le professionnalisme, la parité entre chrétiens et musulmans et le fait de ne pas consacrer une fonction à une communauté. Je me battrai pour le respect de cette triple condition. Maintenant, si les deux premières sont respectées et qu’en plus le candidat appartient à la communauté qui occupait déjà cette fonction, soit. En fait, tout dépend de l’argumentation. » A-t-il le sentiment que ce gouvernement va s’en aller bientôt ? « Je ne suis pas un intuitif. Je ne peux pas faire de pronostics. Mais je ne peux pas non plus travailler comme si le gouvernement allait démissionner bientôt. » Selon le ministre de la Culture, le système politique libanais est en pleine mutation, à cause de l’accord de Taëf en lui-même, mais aussi à cause de sa mauvaise application. Aujourd’hui, il considère qu’on commence à apprendre à l’appliquer et on découvre ainsi l’ambiguïté de certains textes. « Il y a une tension dans l’accord lui-même. Elle peut être créative, ou paralysante. En ce moment, la tentation est de laisser faire, et la tension devient paralysante. On devrait pourtant pouvoir dépasser l’équation qui veut que la majorité décide et la minorité s’oppose au sein du gouvernement. Cette logique-là joue au Parlement. Mais le gouvernement devrait fonctionner comme une équipe de travail. Il ne doit pas être le reflet du Parlement. Si on veut y gérer les affaires dans l’esprit de la majorité et de la minorité, on va droit à l’échec. » Selon M. Mitri, ce serait aussi la conviction du président du Conseil, Fouad Siniora. Le ministre de la Culture refuse de commenter les informations qui filtrent dans la presse au sujet du rapport Mehlis. Il affirme ne pas croire que toutes les grandes décisions au sein du gouvernement attendent la publication de ce rapport. « Un gouvernement sérieux ne peut pas se permettre d’attendre la publication de ce rapport pour prendre ses décisions, souligne-t-il. À mon avis, il serait plus utile de travailler, et lorsque le rapport paraîtra, il sera toujours temps de prendre les décisions qui s’imposeront. Aujourd’hui, la presse déborde de détails sur ce rapport, mais il y a toujours une zone grise entre les informations et les analyses. Alors que dans la presse anglo-saxonne, ce genre de confusion n’existe pas. En lisant la presse, on a l’impression que Mehlis passe son temps à laisser filtrer des fuites à la presse. Alors que je doute que ce juge allemand, connu pour sa discrétion, soit brusquement devenu aussi bavard. À mon avis, il fait son travail. Laissons-le agir. Ensuite, il sera toujours temps de commenter. » Mais ne pense-t-il pas que cette enquête se politise de plus en plus ? « Je suis un rationnel et je ne crois que les faits. La théorie du complot a causé beaucoup de dégâts au Liban. Des guerres ont été menées sous ce prétexte. Il est donc temps de renoncer à cette logique. Se lancer dans des pronostics me paraît être une activité improductive. C’est une question de culture. M. Mehlis est un juge avant de faire de la politique. Jusqu’à preuve du contraire, il fait son travail. Nous aurions intérêt à faire le nôtre. » Scarlett HADDAD
Homme de dialogue et d’ouverture, Tarek Mitri se plaît à croire que c’est pour ces qualités qu’il a été nommé ministre. « Pendant des années, je me suis employé à favoriser le dialogue interreligieux, dans le cadre de mon action au sein du Conseil mondial des Églises. De plus, vivant à Genève depuis 15 ans, j’avais même réuni, en 2001, 24 personnalités libanaises de tous...