Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Social- Pratiques illicites, pollution, absence de l’État : un métier qui va à vau-l’eau Cette mer devenue hostile aux pêcheurs (Photo)

Contre vents et marées (littéralement), les pêcheurs libanais continuent de sortir leurs petites barques chaque jour dans une mer de moins en moins prodigue. Dans le port de pêche de Tripoli comme ailleurs, les pêcheurs luttent contre toutes sortes d’obstacles : la précarité de leur situation, le manque de couverture sociale, l’absence de solutions radicales à leurs problèmes, le non-respect des lois, quand ce ne sont pas les éléments qui se déchaînent. Entre pratiques illicites (la pêche à la dynamite, par exemple, n’a pas disparu) et indifférence des officiels, ce métier, qui fait vivre des centaines de familles et pourvoit le marché en poisson local, se meurt. Les barques colorées du port de Tripoli, si belles, sont la seule source de subsistance des familles de pêcheurs, mais, hormis le moteur, elles sont pareilles à celles de leurs aïeuls. Des hommes s’affairent en cette chaude journée d’été, certains repeignant leurs barques, d’autres arrangeant leurs filets, d’autres encore bavardant entre eux. Leurs conversations tournent le plus souvent autour des problèmes économiques communs, des difficultés qui ne font que s’amplifier, de tel confrère « protégé » qui massacre sans vergogne les créatures de la mer, de tel autre, « le pauvre ! », dont la barque a heurté un rocher et qui n’a pas les moyens de la faire réparer… Les problèmes du secteur, Samir Dabbagh, membre du conseil exécutif du syndicat des pêcheurs du Liban-Nord, les connaît tous. Ce fils du port de Tripoli est lui-même issu d’une famille de pêcheurs et travaille actuellement avec ses deux fils. « J’ai peur pour l’avenir », dit-il. Ce qui le préoccupe le plus, c’est l’absence de protection du milieu marin, le poisson qui se fait de plus en plus rare sous nos latitudes. « Aucune étude sérieuse pour la protection de la mer n’a été effectuée, remarque M. Dabbagh. Il faut qu’un calendrier de la pêche soit imposé et que les infractions soient punies. La dynamite est toujours employée régulièrement, ce qui contribue à appauvrir le milieu marin. Tous les autres moyens illicites sont pratiqués, notamment en ce qui concerne la taille des mailles du filet (quand celles-ci sont trop réduites, les jeunes poissons tombent fréquemment dans les filets des pêcheurs, bien avant d’avoir atteint la taille adulte ou d’avoir eu le temps de se reproduire). Il y a même des filets avec des doublures, qui captent tout sans aucune distinction. » Le pêcheur raconte qu’en 1992, le gouvernement avait proposé d’organiser le secteur de la pêche et de protéger les ressources maritimes. « À cette époque, nous sortions à peine de la guerre, et il nous était impossible d’appliquer ces mesures tout de suite, explique-t-il. Nous avons demandé à l’État de nous accorder un délai de trois ans pour une application progressive de ces mesures et de nous aider à franchir cette étape difficile. Les responsables ont refusé cette proposition et ont décidé d’empêcher sur-le-champ toute importation de filets illégaux. » Cette décision, comme tant d’autres, a été contournée, et le marché noir des filets non conformes aux normes requises est devenu florissant, permettant aux commerçants qui le pratiquaient de générer des gains importants (les officiels, selon M. Dabbagh, ont été prévenus sans pour autant réagir), et mettant les pêcheurs dans une situation où, pour quelques gains faciles, ils détruisaient leur principale source de revenus. Il assure que la plupart d’entre eux en sont conscients aujourd’hui. Comment ne le seraient-ils pas alors que la comparaison avec les années 70 ne peut que démontrer l’ampleur du problème ? En effet, il y a seulement trente ans, en une sortie, un bateau de pêche revenait avec 40 ou 50 kgs de poissons au minimum, certaines prises atteignant même 100 kgs. Aujourd’hui, selon M. Dabbagh, les pêcheurs, munis d’équipements bien plus fournis qu’à l’époque, récoltent de moins en moins les fruits de la mer. « Certaines espèces de poissons sont devenues très rares, sinon inexistantes, poursuit-il. La récolte de l’éponge, par exemple, n’est plus pratiquée parce que, au danger qu’elle représente pour le pêcheur, s’ajoute désormais la difficulté d’en trouver. » Un marché fantôme Il n’y a pas que les problèmes inhérents à la pêche. La pollution de la mer, qui ne fait l’objet d’aucune initiative sérieuse, contribue à l’appauvrissement du milieu marin. « Auparavant, nous souffrions du dépotoir de Tripoli, situé sur la plage, explique le marin. Les sacs en plastique se retrouvaient au fond de l’eau, étouffant les herbes marines qui sont à l’origine de la chaîne d’alimentation des poissons. Ce dépotoir n’est plus très utilisé, mais la situation reste critique à Abdeh (port de pêche au Akkar). » Et que dire de la pollution non visible à l’œil nu ? Pourquoi, puisqu’ils sont conscients de ces problèmes, les pêcheurs ne s’organisent-ils pas pour tenter d’atténuer au moins l’impact des activités illicites pratiquées par certains des leurs ? « Nous avons déjà tenté de mettre nous-mêmes en application des règles à suivre, raconte M. Dabbagh. Mais il y avait toujours des contrevenants parmi nous. Non seulement les autorités officielles n’interviennent pas pour organiser le secteur, mais ces contrevenants, surtout ceux qui emploient la dynamite, jouissent de protections politiques. Nous demandons que ces protections soient abolies, et nous espérons un changement de politique à l’horizon. » Il faut ajouter qu’à l’instar des agriculteurs, les pêcheurs n’ont aucune couverture sociale ou médicale. Pour continuer à subvenir aux besoins de leurs familles, ils doivent vendre leur prise le plus vite possible. Heureusement, souligne le membre du syndicat, les pêcheurs locaux continuent d’écouler leurs poissons directement sur le marché sans intermédiaires qui auraient encore davantage rogné leurs bénéfices. Il y a évidemment la concurrence du poisson importé, mais elle aurait été un moindre problème si elle avait été loyale. « Certains vendent ce poisson importé comme étant pêché localement, ce qui est préjudiciable pour nous, dit-il. Nous aspirons à un marché où la provenance de la marchandise serait clairement précisée. » Toutefois, le syndicat des pêcheurs du Liban-Nord, qui regroupe quelque 5 000 à 6 000 membres, ne compte pas baisser les bras. Il y a quelques années déjà, le projet de construction d’un nouveau marché dont profiteraient tous les pêcheurs du Nord était en gestation. Le syndicat lui-même s’est mis de la partie, investissant 27 millions de livres de son budget pour une étude. « La première localisation qui nous avait été proposée, tout près du port, nous a été ultérieurement refusée, raconte M. Dabbagh. Nous avons dû investir de nouveaux plusieurs millions pour effectuer une seconde étude sur une nouvelle localisation, mais ce second projet a de nouveau été gelé. » Interrogé sur les raisons de ces refus successifs, il évoque un possible agrandissement de la route côtière par endroits et, plus grave encore, des plaintes provenant de certaines personnes influentes (il ne les a pas nommées) qui refuseraient de voir s’établir un marché de poissons non loin de leurs luxueuses demeures… Quoi qu’il en soit, les quelque 200 millions de livres d’économies du syndicat sont largement entamées, et le projet n’a toujours pas vu le jour. Comme pour l’agriculture, les problèmes de la pêche durent depuis longtemps, et les solutions sont connues. Le renouveau politique que connaît le pays se traduira-t-il par des mesures strictes et efficaces dans des secteurs tels que celui-ci ? Dans les milieux des pêcheurs, le fatalisme continue de régner jusqu’à nouvel ordre. Suzanne BAAKLINI
Contre vents et marées (littéralement), les pêcheurs libanais continuent de sortir leurs petites barques chaque jour dans une mer de moins en moins prodigue. Dans le port de pêche de Tripoli comme ailleurs, les pêcheurs luttent contre toutes sortes d’obstacles : la précarité de leur situation, le manque de couverture sociale, l’absence de solutions radicales à leurs problèmes, le...