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Actualités - OPINION

Démocratie tranquille

Pour la première fois depuis de longues années, voire des décennies, la démocratie dans ce pays a émis cette semaine d’heureux premiers balbutiements. L’événement est trop rare pour ne pas s’en réjouir. Au sortir du long tunnel noir dans lequel le Liban s’était engouffré depuis qu’on lui a imposé un syrianisme soviétique (ou un soviétisme à la syrienne, c’est égal), le gouvernement a, coup sur coup, pris deux mesures qui renouent enfin avec une vision plus humaine, plus tranquille, plus respectueuse, plus ouverte, en un mot plus libre, de l’État et de la société. Il a d’abord remisé – à tout jamais, on l’espère – l’un des instruments les plus caractéristiques de la dictature hideuse, celui qui consiste à placer les associations et partis politiques sous la coupe directe du ministère de l’Intérieur, donc des services de sécurité. Le cabinet a aussi formé une commission ad hoc pour mettre au point la future loi électorale. Cette décision n’est certes pas significative en soi. Sauf qu’en observant bien la composition de cette commission, à commencer par son président, on constate combien le souci d’équité et de professionnalisme, la volonté d’écarter les hommes liges ont animé les ministres. Élaborer une loi électorale est, dans les démocraties consacrées, un exercice presque banal, ayant bien sûr d’importantes implications dans la vie politique, mais ne mettant pas nécessairement en cause des facteurs existentiels. Au Liban, c’est tout le contraire. D’où l’importance vitale que revêt le choix des hommes appelés à une telle tâche. Le chantier sur lequel s’attelleront les douze membres de la commission est particulièrement rude. Car à eux reviendra l’insigne honneur de modeler pour des générations à venir la démocratie libanaise renaissante. Des dizaines d’options se présentent devant la commission Boutros. Des formules les plus restrictives aux conceptions les plus fantaisistes, les projets pullulent. Au final, ce sera forcément un compromis qui devra s’imposer. Non pas tant parce que la perfection n’est pas de ce monde, mais plutôt parce que le compromis est, dans un pays plural comme le Liban, le point le plus équidistant de tous. Pour autant, il faudra bien que la commission s’arme de quelques lignes directrices, si ce n’est d’une philosophie qui soit justement conforme à l’idée que l’on doit se faire du Liban en tant qu’entité politique. Il est possible de trouver des compromis entre un découpage électoral et un autre, pas entre une philosophie et une autre. Rien, par exemple, ne pourra jamais concilier l’idée d’un Liban « message », ouvert, tolérant, acceptant et assumant parfaitement sa pluralité, et celle d’un Liban guerrier, unidimensionnel ou perpétuellement déchiré entre diverses monochromies, chrétienne, sunnite et chiite. Naturellement, ce n’est pas à la commission Boutros qu’il revient de décider de suivre l’une ou l’autre voie. C’est à la classe politique et à la société tout entière de le faire. Mais le travail de la commission ne sera pas le même dans l’un et l’autre cas. D’où l’obstacle majeur qui se dressera inévitablement face à elle si le pays n’opère pas son choix. L’option « guerrière » impose d’emblée une posture idéologique qui se traduirait par un rejet de la réalité communautaire, non pas au profit de la démocratie laïque – rêve utopique dans une société arabe –, mais au bénéfice de la guerre perpétuelle entre les communautés, jusqu’à ce que l’une d’elles prenne le dessus et domine tout le monde. Sous couvert d’anticonfessionnalisme, on aboutirait ainsi à l’exacerbation des sentiments minoritaires. L’expérience des pays arabes voisins est, en ce domaine, édifiante. Le choix de l’ouverture commande au contraire de se débarrasser de tout a priori idéologique et de s’efforcer de saisir la réalité comme elle est. L’objectif n’est pas d’institutionnaliser le confessionnalisme par amour du confessionnalisme, mais de tenter, sans complexe, de maîtriser le phénomène communautaire, d’en tirer le meilleur et d’en neutraliser le pire. À un moment où l’histoire se prend à nouveau à jouer de vilains tours à l’humanité, où la cassure s’amplifie entre monde chrétien et monde musulman, où la guerre confessionnelle s’amorce à l’échelle planétaire, le Liban peut encore, ne serait-ce que d’une petite voix, rappeler que diversité fait beauté. Si c’est trop tard, s’il n’est plus en mesure d’apporter sa contribution, au moins pourra-t-il se mettre lui-même à l’abri de l’ouragan de folie qui commence à souffler sur le monde. Après tout, il a déjà beaucoup donné ! Élie FAYAD
Pour la première fois depuis de longues années, voire des décennies, la démocratie dans ce pays a émis cette semaine d’heureux premiers balbutiements. L’événement est trop rare pour ne pas s’en réjouir.
Au sortir du long tunnel noir dans lequel le Liban s’était engouffré depuis qu’on lui a imposé un syrianisme soviétique (ou un soviétisme à la syrienne, c’est égal), le...