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Actualités - ANALYSE

Perspectives - Les réactions épidermiques aux propos de Aoun soulignent les failles de la culture démocratique des Libanais De la possibilité d’un dialogue avec le Hezbollah sur ses choix stratégiques

«Le Liban était jusqu’à présent le pays non pas de la coexistence, mais du mensonge mutuel. » Cette petite phrase lancée par Béchir Gemayel au début de la guerre à un groupe de journalistes n’est pas une simple boutade. Elle reflète dans une certaine mesure une partie de la réalité locale. Un psychologue dirait plutôt que le Liban est le pays des « non- dits ». Ce qui renforce dans leur conviction nombre d’analystes qui estiment que les Libanais se doivent de pallier les failles de leur culture démocratique pour réapprendre à vivre et à pratiquer leur démocratie, aussi particulière (et originale) soit-elle. Le dernier débat de confiance à la Chambre illustre une telle nécessité impérieuse. Dans son intervention, très remarquée, le général Michel Aoun a soulevé plusieurs dossiers sensibles, dont notamment le sort des Libanais réfugiés en Israël et la gestion, ces dernières années, de la Caisse des déplacés, sans compter évidemment l’affaire des détenus en Syrie. Des dossiers fondamentaux, sans doute un peu trop sensibles (aux yeux de certains), à en juger par les réactions provoquées par les propos du chef de file de l’opposition parlementaire. Au lieu que les idées émises à cet égard – qui posent de véritables problèmes de fond, ayant une indéniable portée nationale – ne stimulent un débat responsable et rationnel, le général Aoun a été plutôt rapidement diabolisé par nombre de députés du bloc joumblattiste. Quant aux responsables du Hezbollah, leur réaction a été, pour le moins qu’on puisse dire, épidermique, voire vindicative. Dans le sillage de son discours au Parlement, le général Aoun a par ailleurs évoqué dans sa dernière interview à L’Orient-Le Jour (notre édition du samedi 6 août) un autre problème tout aussi fondamental : quelles sont les conditions objectives du maintien par le Hezbollah de son arsenal militaire ? Une interrogation soulevée de façon encore plus crue par le député Farid Élias el-Khazen qui a invité sans détour le parti de Dieu à lever l’équivoque sur ses objectifs en termes de lutte armée. Puisque la présence de députés du courant aouniste et des Forces libanaises au Parlement devrait contribuer à faire tomber tous les tabous, cette question des orientations du parti intégriste chiite devrait être enfin débattue, désormais, cartes sur table, loin de tout terrorisme intellectuel. Est-il en effet acceptable – non pas d’un point de vue de la morale, mais par souci des équilibres internes et de la cohésion nationale – que le Hezbollah prenne tout le pays en otage et qu’il le place devant le fait accompli en l’entraînant, dans des choix stratégiques et des options guerrières qui ne satisfont, en définitive, que ses propres calculs et ceux de ses alliés régionaux ? Dans le Liban de l’ère postsyrienne, et maintenant que les Libanais ont repris leur destin en main et ont recouvré, dans une large mesure, leur autonomie de décision, cette interrogation se pose aujourd’hui avec acuité. Plus particulièrement à la lumière de la visite de sayyed Hassan Nasrallah, la semaine dernière, à Téhéran. Et, surtout, de la visite, hier, du président syrien, Bachar el-Assad, à la capitale iranienne. Le bilan de ces deux visites devra être scruté avec la plus grande attention dans les prochains jours, du fait de la délicate conjoncture présente marquée, entre autres, par la vive tension entre l’Union européenne et la République islamique au sujet du nucléaire. Dans un tel contexte, l’Iran a-t-il toujours pour objectif stratégique de maintenir une forte présence au Liban, à la frontière avec Israël, par le biais du Hezbollah et de son infrastructure militaire ? Auquel cas, dans quelle mesure y aurait-t-il convergence d’intérêts avec la Syrie pour ce qui a trait au dossier libanais ? Le torpillage de la 1559 serait-il le détonateur, l’abcès de fixation, permettant aussi bien à l’Iran qu’à la Syrie de regagner du terrain au Liban, au détriment de l’axe américano-franco-saoudien ? Si les velléités de déstabilisation syro-iranienne se confirment réellement, par Hezbollah interposé, le pays risquera de se retrouver dans une situation quelque peu semblable à celle des années 1983-1985, lorsque la Force multinationale avait été contrainte de se retirer du Liban sous l’effet des coups de boutoir des radicaux chiites et suite à la contre-offensive syro-iranienne qui s’était appuyée à l’époque sur le levier militaire palestino-joumblattiste. Certes, le rapport de force actuel sur l’échiquier international n’est aucunement comparable à celui qui prévalait dans les années 80. La grande question est donc de savoir si Damas et Téhéran ont réellement aujourd’hui les moyens objectifs, au plan libanais, de contrer de façon sérieuse et durable la détermination américano-franco-européano-onusienne d’appliquer dans son intégralité la résolution 1559. De la réponse à cette question dépendront les possibilités de dialogue avec le Hezbollah sur ses choix et ses objectifs nationaux ou régionaux. Et de la réponse à cette question dépendra aussi, par ricochet, la possibilité pour les Libanais d’en finir avec le terrorisme intellectuel pour réapprendre ce qu’est un véritable débat démocratique. Loin de toute diabolisation de l’interlocuteur d’en face… Et pour que le Liban ne soit plus ce qu’il était jadis, le pays des « non-dits »… Michel TOUMA

«Le Liban était jusqu’à présent le pays non pas de la coexistence, mais du mensonge mutuel. » Cette petite phrase lancée par Béchir Gemayel au début de la guerre à un groupe de journalistes n’est pas une simple boutade. Elle reflète dans une certaine mesure une partie de la réalité locale. Un psychologue dirait plutôt que le Liban est le pays des « non- dits ». Ce qui...