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Actualités - OPINION

L’unité nationale à l’épreuve de la féodalité

«Le Liban est un pays féodalo-confessionnel incompatible avec la notion même d’État ». Ainsi s’exprimait un éminent homme politique français. De fait, au carrefour entre l’Orient et l’Occident, le Liban rassemble 18 communautés, chacune basée sur un courant, voire un sous-courant religieux. Plus encore, au religieux s’ajoute le communautaire, chaque Libanais prêtant une allégeance plus ou moins tacite à un leader traditionnel, investi d’un pouvoir absolu sur une partie de la population. En conséquence, sans être une spécificité du système politique libanais, le clientélisme n’en est pas moins, depuis toujours, un des traits distinctifs de la vie électorale de ce pays, et là où l’on parle, ailleurs, d’homme politique, il s’agit, au Liban, d’un « patron », au sens romain, qui entretient avec ses « clients » une relation apparemment profitable aux deux parties. En effet, celui qui appartient à un groupe peut demander au leader politique de suppléer à toutes les carences de l’État en termes de santé, pour lui et ses proches, d’éducation pour ses enfants, mais aussi et surtout – et c’est là la demande la plus fréquemment faite – de droit au travail, l’embauche étant la préoccupation majeure de tout jeune (ou moins jeune) diplômé et se faisant presqu’exclusivement sur la base du « piston ». Le leader peut aussi aider à contourner la loi, mais également à la faire simplement respecter. En retour, le client tend à soutenir son patron lors des élections, et ce d’autant plus que, le leader politique représentant une communauté et non un programme, c’est toute cette communauté qui se sent au pouvoir quand son représentant est élu. C’est d’ailleurs ce qui explique que les mêmes personnes, qu’elles appartiennent à la majorité ou à l’opposition, soient sûres, à chaque élection législative, de faire partie du Parlement. Or ce rapport de double dépendance, loin de s’affaiblir avec le temps, s’est vu encore renforcé depuis la guerre et connaît même une accélération à mesure que la crise économique prend de l’ampleur. Il gangrène toute la société, de l’éducation à l’emploi en passant par tous les services administratifs et judiciaires, au point qu’il est pratiquement impossible de réussir, ou même de faire simplement respecter ses droits si l’on ne fait pas partie d’un réseau. L’une des conséquences les plus graves de cet état de fait est la fuite de cerveaux, qui amène nombre de jeunes diplômés brillants à apporter leurs compétences à l’étranger, privant le Liban de ses forces vives et hypothéquant, par là même, son avenir. Après l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri, on a pu croire quelque temps qu’une véritable unité nationale était enfin apparue, au-delà des clivages de toute sorte. N’a-t-on pas vu, en effet, la majorité du peuple libanais s’unir pour réclamer et obtenir la chute du gouvernement Karamé ? N’a-t-on pas vu également la majorité du peuple libanais, par la force de sa détermination commune, s’unir pour obliger l’armée syrienne à quitter le pays ? On s’est alors pris à rêver que cette situation allait se pérenniser. Et on aurait pu le croire, au lendemain d’élections législatives marquées par l’entrée au Parlement de 73 députés alliés au groupe Hariri, un groupe qui, précisément, avait fait campagne sur le thème de l’unité nationale retrouvée et dont les militants arboraient sur leur tee-shirt la Croix et le Croissant. Au lendemain seulement, car deux jours seuls ont suffi pour que les premières failles apparaissent. Rattrapés par leurs vieux démons, les députés fraîchement élus se sont en effet regroupés par communauté lors de l’élection du président de l’Assemblée : si M. Berri a bénéficié du soutien total du bloc Hariri, les Forces libanaises et Kornet Chehwane, alliés indéfectibles quelques jours à peine auparavant, ont, en revanche, manifesté leur opposition par un vote blanc. En outre, les premières dissensions étaient apparues dès l’élection, les électeurs chrétiens du Mont-Liban, en manque d’un leader vraiment représentatif de leur communauté, ayant apporté un soutien massif au général Aoun tout juste rentré de France. Il est donc plus que visible à quel point l’organisation clanique qui prévaut actuellement au Liban étouffe dans l’œuf toute tentative de cohésion nationale. Cette organisation « féodalo-confessionnelle» engendre donc une véritable sclérose de la vie tant sociale que politique, au point qu’il est vain d’envisager des réformes, de quelque nature que ce soit, sans la modifier. Pour cela, il suffirait d’appliquer le pacte de Taëf, lequel prévoit l’élection d’un Parlement non confessionnel, doublé par un Sénat confessionnel de 100 membres, 50 musulmans et 50 chrétiens. En effet, la situation ne peut s’améliorer sans que les hommes politiques travaillent pour tous. Cependant, dans une société où un leader politique est élu en fonction de critères communautaires et non d’un programme, on ne lui demande rien d’autre que de continuer à fournir des services individuels. Et en aucune façon on n’envisage même de le juger en fonction de résultats concrets profitables à toute la société. Au contraire, dans nombre de pays dits démocratiques, en dehors du niveau local, on ne vote pas pour un homme ou une femme, mais bien pour un parti politique et, surtout, pour un programme. Au point que, parfois, on ne connaît même pas réellement le candidat que l’on élit, celui-ci devenant donc une sorte de fonctionnaire, chargé d’appliquer un programme et, comme tel, comptable des résultats obtenus. Et bien sûr on attend de lui qu’il travaille pour le bien de tous, y compris des personnes qui ne lui ont pas apporté leurs suffrages. Dès lors, il est clair que le bon fonctionnement du système démocratique repose sur l’existence de partis politiques exclusivement basés sur un programme d’action, en dehors de toute considération communautariste, quelle qu’elle soit. Néanmoins, les partis libanais se sont, eux, pour avoir participé à la guerre, totalement déconsidérés aux yeux des électeurs. Il importe donc que se fasse un renouveau de la vie démocratique basé sur une triple orientation : d’une part, la création de partis politiques entièrement nouveaux et neutres. En outre, le renforcement du rôle de l’État. Enfin, ce dernier objectif une fois réalisé, et seulement alors, une réforme radicale du système politique, afin d’éradiquer le confessionnalisme de la vie libanaise. Seulement alors, car cette prééminence du communautarisme sur la vie sociale et politique est elle-même le fruit d’un système au sein duquel, l’État ne prenant pas ses responsabilités, les citoyens se voient contraints de mendier ce dont ils ont besoin. Et il convient de remarquer que ce que les « clients » demandent actuellement à leur « patron » et qu’ils considèrent, de façon erronée, comme des faveurs dont ils se sentent redevables, représente, en fait, des droits purs et simples qui devraient être accessibles à tous. Il va sans dire que cela présuppose une administration forte et intègre, appliquant honnêtement de grands programmes de réforme. Il faut que le président Hariri ne soit pas mort pour rien. Que l’immense espoir suscité en son nom conduise à abandonner un système où le « chacun pour soi » tourne souvent au « sauve-qui-peut » pour bâtir une vie politique entièrement nouvelle, où le programme prime sur la personne, un Liban uni garant des droits de chacun au-delà de tous les clivages. Mustapha ADIB Directeur du Centre d’études stratégiques pour le Moyen-Orient
«Le Liban est un pays féodalo-confessionnel incompatible avec la notion même d’État ». Ainsi s’exprimait un éminent homme politique français.
De fait, au carrefour entre l’Orient et l’Occident, le Liban rassemble 18 communautés, chacune basée sur un courant, voire un sous-courant religieux.
Plus encore, au religieux s’ajoute le communautaire, chaque Libanais prêtant une...