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Actualités - ANALYSE

analyse - Come-back politique réussi pour le chef des FL Samir Geagea replace la dynamique FL dans le contexte de Taëf

«Tout ce qui ne te tue pas te renforce », disait Nietzsche. Onze ans de réclusion arbitraire dans l’isolement le plus total n’ont (heureusement) pas tué Samir Geagea. Laisser s’éteindre lentement, et dans un oubli progressif, le chef des Forces libanaises était pourtant, à n’en point douter, l’objectif recherché par ses tortionnaires. Pari totalement perdu, puisque Samir Geagea est, tout au contraire, sorti fortifié, hier, de son univers carcéral. Les Libanais en ont d’ailleurs été témoins, que ce soit indirectement, par l’intermédiaire des écrans de télévision, ou directement, sur le sol même de l’AIB. Certes, le « hakim », comme l’appellent ses inconditionnels, est apparu comme physiquement éprouvé par son expérience souterraine, ce qui ne sort pas vraiment de l’ordinaire lorsqu’on sait dans quelles conditions inhumaines et dégradantes il a été maintenu en détention, onze ans durant. La maigreur du corps, la silhouette frêle, les yeux très cernés et le visage fatigué frappent d’entrée, mais, passé le stade de l’étonnement, ils ne choquent pas vraiment. En fait, force est de constater que l’homme a plutôt bien tenu le coup, et qu’il a positivement étonné ceux qui avaient un peu présumé de sa solidité. Sur le plan affectif, Samir Geagea ressort également quelque peu ébranlé par son éprouvante expérience, ce qui est aussi tout à fait normal, compte tenu du degré de solitude à laquelle il a été confronté durant sa réclusion. L’homme a ainsi manifesté plusieurs signes de nervosité, notamment face au bruit des téléphones mobiles, au brouhaha général, à la foule. L’opinion publique a peut-être un peu tendance à l’oublier, en mettant en avant ses facultés exceptionnelles de chef sur le plan de l’endurance et du mental, mais le « hakim » reste avant tout un être humain. Et, comme tout ex-détenu, il aura probablement besoin d’un temps de « réinsertion sociale », pour se recomposer, se refaire lui-même, redéfinir ses repères, avec l’aide de ses proches, dont son épouse Sethrida. D’aucuns parmi ses proches relèvent cependant sa force de caractère et son inébranlable foi dans certaines valeurs, qui frôle même un mysticisme des plus exacerbés, soulignant que l’homme a toujours eu un penchant pour la méditation. Sans aucun doute, ces éléments ont été déterminants pour permettre à Samir Geagea de préserver son soi en prison, et ils faciliteront probablement sa convalescence. Un come-back réussi Cependant, même ces séquelles héritées de la prison n’ont pas entamé la vivacité d’esprit du leader FL, qui a d’ailleurs réussi hier un véritable tour de force : celui de montrer qu’il est encore égal à lui-même. Qu’il possède toujours la même mémoire phénoménale, la même intelligence aiguë, la même finesse dans l’approche humaine, dans le tact politique. Samir Geagea a donné de lui, hier, l’image d’un battant. L’homme est loin de faire l’unanimité politique auprès de l’opinion publique libanaise en général et chrétienne en particulier, mais il a réussi son come-back médiatique et politique, ce qui est déjà un acquis important. Mieux encore, sa prestation à l’AIB annonce, très clairement, qu’il faudra désormais compter avec lui sur la scène politique, et que son rôle, sur l’échiquier, sera des plus dynamiques. À cet égard, Samir Geagea a fait, hier, un retour à la Michel Aoun, le raz-de-marée populaire en moins, en attendant qu’il rentre d’Europe. La symbolique politique de ce come-back s’inscrit dans une optique spatio-temporelle, d’ailleurs développée par Samir Geagea lui-même dans son discours. Le leader FL a ainsi abordé le passé, placé sous le signe d’une confrontation entre un instinct de vie, la dynamique souverainiste libaniste, et un instinct de mort : l’occupation, la répression, l’incarcération, abordée dans toute sa dimension étouffante, sinistre. Mais s’il conçoit que cette période est aujourd’hui quasiment révolue, Samir Geagea n’oublie toutefois pas, au détour de quelques phrases assassines, de déterminer certaines responsabilités. « Je vivais mes propres convictions, même dans une superficie de six mètres carrés, plutôt que de vivre les conditions d’autrui à l’air libre », a-t-il ainsi lancé, mettant plus d’un ex-« collaborateur », dont certains se sont aujourd’hui repentis, face à sa conscience. D’autant que si Samir Geagea a effectivement du sang sur les mains comme chef de guerre, il est loin d’être le seul dans ce cas. Et il est pourtant bien le seul d’entre les chefs de guerre à avoir été jugé et incarcéré, alors que les autres coulaient des jours heureux au pouvoir. Un nécessaire rééquilibrage Le discours aborde ensuite le présent avec réalisme. Il reconnaît la difficulté de la reconstruction, mais refuse tout retour en arrière, tout compromis (à commencer par le recul devant la violence des attentats) sur l’évolution, qui passe par le nécessaire « rééquilibrage », sous entendu politico-communautaire, sur le plan national. Samir Geagea aborde donc une problématique chrétienne dans une perspective nationale, et, dans ce sens, replace le discours FL dans le contexte de l’accord de Taëf. Il y gagne ainsi en légitimation nationale, laissant entendre d’une manière tacite que les FL ont jadis été, avec le patriarche maronite, la couverture chrétienne de l’accord de Taëf, et que c’est dans cette optique qu’elles recouvrent aujourd’hui leur rôle à l’échelle nationale. Un avenir plein d’espoir Partant, l’ouverture de Samir Geagea vers l’avenir, qui constitue la dernière partie du discours, s’inscrit dans la continuité de l’accord de Taëf, c’est-à-dire dans le contexte de la fin de la guerre et de la réconciliation nationale. Cette ouverture amorce deux dynamiques, déjà mises en évidence à maintes reprises par le député Georges Adwan. La première dynamique a une dimension nationale. Elle vise, apparemment, à replacer définitivement les FL dans un discours et une pratique nationales, toujours dans l’optique de Taëf et des alliances électorales conclues avec le PSP et le Courant du futur lors des dernières législatives. Mais Samir Geagea et ses compagnons devront nécessairement repenser le discours et la stratégie FL dans une perspective différente, en gommer les contours qui restent encore flou, et revoir l’image de marque exclusivement communautaire, « partitionniste » que la milice possédait autrefois, et qui n’est plus de mise ces jours-ci. Le chef des FL en a d’ailleurs paru très conscient hier, affirmant que « si nous désirons édifier un avenir meilleur pour les générations montantes, il nous faut collaborer tous ensemble dans un esprit différent de celui qui a marqué les années de guerre ». Et d’ajouter : « Afin de pouvoir collaborer tous ensemble, nous ne devons pas percevoir les autres en nous basant sur les préjugés que nous avons eus d’eux durant les années de guerre. La guerre avait sa propre logique qui n’est plus valable aujourd’hui. » Des mots porteurs d’espoir, et qui tendent à montrer, en principe, que quelque chose a effectivement mué dans la logique de la direction des FL ces onze dernières années. Un message positif La deuxième dynamique concerne une nécessaire réconciliation interchrétienne entre Samir Geagea et Michel Aoun, pour « verrouiller » politiquement la communauté chrétienne en fonction du même processus réalisé par chacune des autres communautés libanaises. Dans ce cadre, la mention faite aux jeunes aounistes et au général Aoun dans le discours du chef FL est loin d’être fortuite. Elle transmet un message positif de coordination entre les deux forces politiques pour l’étape à venir, message que Samir Geagea a d’ailleurs fait parvenir au général Aoun par le biais du député Ibrahim Kanaan. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Le dialogue nécessite des actes concrets des deux côtés, d’autant qu’entre Michel Aoun et Samir Geagea, le sang a jadis coulé, que beaucoup de partisans des deux camps n’ont toujours pas pu faire leur deuil de ces événements. Que l’incertitude génère la méfiance, et la méfiance, parfois, la haine. Et qu’il faudra bientôt un très long tête-à-tête, des plus urgents, entre Aoun et Geagea, sans intermédiaires, et surtout sans arrière-pensées et coups de Jarnac, pour clore définitivement ce chapitre sanglant de la guerre. La (non) mémoire de la guerre a été, quinze ans durant, une arme redoutable aux mains de Damas pour diviser les Libanais, que ce soit à l’échelle communautaire ou intercommunautaire. Cette division a, entre autres, conduit à l’exil de Michel Aoun et à l’incarcération de Samir Geagea, puis à des années de répression, clôturées par une série d’attentats générateurs d’une révolte libératrice. Durant des années, la recomposition du tissu sociopolitique libanais et le dialogue même ont été impossibles tant que la division l’emportait sur la réconciliation. Quinze ans après, le système a corrigé ses dysfonctionnements, et tous les acteurs ont repris leur rôle naturel. Voici venue leur occasion, probablement ultime, de purifier définitivement, et sur des intentions vraiment saines, cette insaisissable mémoire de la guerre. Michel HAJJI GEORGIOU

«Tout ce qui ne te tue pas te renforce », disait Nietzsche. Onze ans de réclusion arbitraire dans l’isolement le plus total n’ont (heureusement) pas tué Samir Geagea. Laisser s’éteindre lentement, et dans un oubli progressif, le chef des Forces libanaises était pourtant, à n’en point douter, l’objectif recherché par ses tortionnaires. Pari totalement perdu, puisque Samir...