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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Dé-chaîner la justice

Impressionnant : on ne trouve pas d’autre mot pour décrire le Samir Geagea tout juste rendu à la liberté et que les Libanais, rivés hier à leur petit écran, ont pu revoir après un long hiatus. Impressionnant certes, et pas seulement parce que onze années passées dans un cachot souterrain de deux mètres sur trois, éclairé nuit et jour à l’ampoule électrique, dans un isolement total, sans journaux ni télé, cela marque forcément un homme : la fine silhouette s’est encore amaigrie, le poil a pris du gris, le visage est émacié et deux méchantes rides sont venues barrer les joues creuses. Mais il est resté ce regard qui vous vrille, cette volonté d’acier qui transparaît avec force sous l’enveloppe érodée, fragilisée, fatiguée. C’est bien cette irréductible force intérieure qui, dans la personne de Geagea, en impose le plus. C’est elle qui, à la veille de son arrestation déjà, lui avait fait préférer, sans l’ombre d’une hésitation, la certitude d’une séquestration diaboliquement goupillée à des arrangements plus cléments, qui eurent pris la forme d’un discret départ pour l’exil. C’est toujours cette force qui du reclus de Yarzé, longtemps coupé de l’actualité, a fait un homme étonnamment adapté à l’air du temps. C’est avec une nouvelle donne, avec un Liban nouveau, commandant un langage également nouveau, que vient de reprendre physiquement et psychologiquement le Hakim : un Liban vierge désormais de toute présence militaire syrienne (apparente, du moins) et où le slogan d’indépendance n’est plus l’apanage de personne, mais la propriété de tous. Et c’est un extraordinaire message de paix, de solidarité, d’ouverture et d’espoir que le redoutable guerrier, rompu à toutes les violences, a lancé à la foule de personnalités venues le saluer à l’aéroport avant son envol pour la France. Rideau sur le passé : c’est l’avenir, a tenu à (r)assurer Geagea, qu’éclaire la lumière du jour enfin retrouvée. En fait, la spectaculaire réinsertion dans l’arène politique de l’illustre détenu politique qu’est le chef des Forces libanaises ne pourra que peser sur la suite des événements. Particulièrement intéressantes à observer, par-delà les alliances et rivalités électorales, seront les relations qu’il établira avec ces deux autres fortes têtes que sont Walid Joumblatt et Michel Aoun : deux hommes à qui l’ont opposé de féroces affrontements durant la guerre ; deux hommes auxquels il a néanmoins rendu un hommage des plus appuyés hier, pour le rôle qu’ils ont joué dans le processus de libération du pays. Vraiment chassé, exorcisé, le sombre passé ? Reste à l’espérer avec la même conviction qu’a voulu y mettre le leader des FL dans sa première adresse publique. Il est un domaine, pourtant, où il faut résolument fouiller les aberrations d’hier pour offrir aux citoyens des lendemains meilleurs. Et ce domaine, c’est précisément celui d’une justice qui n’a jamais paru davantage à la botte de l’autorité politique que dans le cadre de l’affaire qui a trouvé son épilogue hier : emmanchée sous le signe de la politique, celle-ci s’achève, loin des juges, en apothéose politique. Car sans évidemment présumer de l’authenticité des crimes de guerre pour lesquels il a été condamné, on ne saurait oublier que c’est sur une sanglante imposture – une bombe dans une église, dont il s’est plus tard, et bien trop tard, avéré innocent – qu’a été initiée la procédure visant à éliminer celui qui contestait bruyamment l’hégémonie syrienne. Une fois le chef des Forces libanaises à l’ombre, une chape noire est tombée aussi sur l’attentat de Zouk-Mikaël, commodément oublié comme l’affaire des quatre juges abattus en plein tribunal de Saïda. C’est dire qu’aucun changement, aucune réforme démocratique, aucune normalisation de la vie politique (ou de la vie de tout un chacun) n’est possible si n’est pas garantie l’indépendance du troisième pouvoir. Seule une justice à l’abri des pressions peut redonner aux Libanais confiance dans l’État ; de même, seule la primauté de la loi peut attirer durablement les capitaux étrangers. Justice doit enfin être faite. Et pour cela, il faut commencer par refaire la justice.

Impressionnant : on ne trouve pas d’autre mot pour décrire le Samir Geagea tout juste rendu à la liberté et que les Libanais, rivés hier à leur petit écran, ont pu revoir après un long hiatus.
Impressionnant certes, et pas seulement parce que onze années passées dans un cachot souterrain de deux mètres sur trois, éclairé nuit et jour à l’ampoule électrique, dans un isolement...