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Eclairage - Le document ne fait pas mention de la 1559, mais évoque pour la première fois les détenus en Syrie Une déclaration ministérielle charnière pour retrouver la République

La déclaration ministérielle du cabinet Siniora fera date. Le texte superexhaustif de trente pages, finalisé hier en commission ministérielle dans le cadre d’une réunion nocturne présidée par le chef du gouvernement, restera probablement, dans les annales de la période, comme un document charnière opérant une transition de qualité entre l’ère abyssale de la tutelle syrienne et celle de la République en voie de recouvrement. Le texte, premier à être « 100 % made in Lebanon », fera aujourd’hui l’objet de débats en Conseil des ministres à 17h (à Badaro), en vue de son adoption par l’ensemble du cabinet et de sa présentation à la Chambre pour le débat de confiance. Il sera rendu public à l’issue de la séance du Conseil des ministres. Il aura fallu cinq jours aux dix ministres représentant les différentes sensibilités au sein du cabinet pour s’entendre, en commission, sur la déclaration. Et, dans ce sens, Fouad Siniora, qui s’était fixé comme leitmotiv des résultats dans les plus brefs délais, (une véritable « course contre la montre »), a gagné son premier pari. Mais là n’est pas l’essentiel, qui réside plutôt dans le style dans lequel le document a été rédigé, sous l’impulsion notamment du ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé, qui a tenu à inscrire l’esprit du texte, et notamment son préambule, dans la lignée de l’intifada de l’indépendance et de ses acquis. Ce qui n’a pas été, dit-on, sans susciter de hauts cris, samedi soir, au sein d’une partie de l’équipe ministérielle chargée de la rédaction du document, qui s’est opposée à la version de M. Hamadé. Le ministre, connu pour sa force de caractère, aurait même quitté la réunion, marquant là sa colère et son exaspération. Finalement, la version élaborée par Marwan Hamadé, qui évoque nommément l’ère révolue de « la tutelle », a été maintenue. Et c’est là le premier forcing obtenu par les ministres du Bristol tant sur le plan du fond que de la forme. La deuxième percée concerne ce qu’il serait possible de replacer dans le cadre d’une entreprise de « désyrianisation » du Liban dans tous les domaines, sans toutefois adopter de ton désobligeant vis-à-vis de Damas. Ainsi, le communiqué met en évidence la nécessité d’établir des relations équilibrées avec la Syrie et de régler la question des frontières, qui n’a pas lieu d’être entre deux pays frères. Mais il remet aussi à sa place le Conseil supérieur libano-syrien de Nasri Khoury, qu’il faudra « dynamiser dans le cadre de Taëf », c’est-à-dire « désinstrumentaliser » et réenvisager comme une structure de coordination réelle et vraiment horizontale entre les deux pays. Mais l’acquis considérable obtenu dans ce contexte relève surtout de la mention qui est faite de la question des détenus libanais dans les prisons syriennes. C’est la première fois, en effet, qu’un cabinet a le courage de mettre le doigt sur une plaie béante et douloureuse, trop longtemps ignorée par les politiques. À ce titre, la mention est purement exceptionnelle en elle-même, puisqu’elle constitue, sur le plan symbolique, une reconnaissance officielle de l’existence de « détenus libanais en Syrie ». Il paraît loin le temps où Adnane Addoum, Grand Inquisiteur aux affaires de la justice, niait en bloc l’existence même de ces prisonniers. Le mérite pour cette formidable avancée revient à la ministre des Affaires sociales, Nayla Moawad, qui a dû, là aussi, batailler ferme et avec une grande détermination pour obtenir gain de cause. Mme Moawad aura besoin de tout le soutien possible, notamment au sein de la société civile (et des instances internationales), pour pouvoir pousser ce dossier humanitaire vers son règlement. D’autant que les relations libano-syriennes ne cessent de s’envenimer depuis la fin de la révolution du cèdre, et que Damas pourrait ne pas être dans d’excellentes dispositions vis-à-vis de Beyrouth pour coopérer. Toujours dans ce même contexte de « désyrianisation » du pays, la déclaration ministérielle entre dans les détails, évoquant par exemple la nécessité que la sécurité redevienne « un instrument pour la protection des citoyens et non pas de la tutelle ». L’incident d’Ehden et l’explosion de la rue Monnot ont d’ailleurs fait l’objet de longues discussions entre les ministres lors de la réunion de samedi. Autre exemple : la refonte du code de procédure pénale, qui donnait des prérogatives excessives au procureur général près la Cour de cassation, et la remise en question des prérogatives du tribunal militaire sont également mentionnées dans le document, qui marquera donc sans aucun doute un bond en avant sur le plan de la défense des libertés publiques et des droits de l’homme. D’autres exemples d’avancées méritent également d’être mentionnés : l’adoption de la décentralisation administrative, au terme également d’un débat âpre et important, ou encore la décision d’élaborer une nouvelle loi électorale dans les six prochains mois, après création d’une commission regroupant l’ensemble des forces politiques, le Courant patriotique libre compris. Le document évoque enfin la nécessité d’entreprendre une multitude d’autres réformes sociales et économiques. Il reste évidemment la question, épineuse, de la 1559. Tout le monde attendait la pirouette par laquelle le cabinet Siniora allait s’extirper du pétrin constitué par la position à définir au sujet de la résolution onusienne. Qu’à cela ne tienne, les dix ministres chargés de la rédaction du document ont trouvé leur solution : la résolution sera finalement l’Arlésienne de la déclaration ministérielle, grâce à un compromis par omission jugé satisfaisant pour tout le monde. Ainsi, il n’y aura aucune mention de la 1559, comme l’a indiqué le ministre de l’Information Ghazi Aridi hier soir à l’issue de la réunion, mais une triple affirmation consensuelle : la nécessité de respecter toutes les résolutions internationales, de protéger la Résistance et de régler toute question relative aux armes du Hezbollah par le biais du dialogue interne. La question de la 1559 ne sera cependant pas la seule esquive de la déclaration ministérielle : l’affaire des camps palestiniens a subi le même sort, compte tenu du nombre de problèmes qu’elle renferme. Mais, répétons-le, là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est plutôt dans la rupture exercée par ce document, potentiellement générateur de changement, comme l’affirment ceux qui ont milité activement pour créer ce changement. Sauf qu’il reste fort à faire. Et que même si le cabinet obtiendra la confiance sans l’ombre d’un doute, il aura encore à convaincre l’opposition de Michel Aoun, dont le franc-parler ne pourra pas se résoudre longtemps au silence si le cœur n’y est pas. Et, surtout, tous les Libanais, qui souhaitent réellement entrer, de plain-pied, dans la transition. Michel HAJJI GEORGIOU
La déclaration ministérielle du cabinet Siniora fera date. Le texte superexhaustif de trente pages, finalisé hier en commission ministérielle dans le cadre d’une réunion nocturne présidée par le chef du gouvernement, restera probablement, dans les annales de la période, comme un document charnière opérant une transition de qualité entre l’ère abyssale de la tutelle syrienne et...