Rechercher
Rechercher

Actualités

Le silence du loup

Une humiliation de plus. Comme une paire de gifles qui claque dans le noir alors que la terreur s’empare de celui qui a les pieds et les poings liés, et qui tente encore de se libérer. C’était prévu. Quand la masse se soulève en chœur, quand elle risque de trop près d’atteindre ses objectifs, quand la victime consentante se redresse et fulmine alors que son profond sommeil était acquis, le tribut à payer est forcément lourd. Et grave. Lourd comme le silence, comme l’ignorance, comme l’indifférence. Grave parce qu’un peuple entier se sent menacé. Dites-moi, Monsieur Tout-le-monde, qui dort tranquille ? Qui ne contrôle plus son emploi de temps ? Qui continue à vivre normalement, à aller au bureau aux heures de pointe, à faire son shopping dans les malls – shopping, dites-vous ? –, à aller à l’hypermarché du coin ou à emmener ses enfants au dernier birthday branché ? Qui donc ne scrute pas la rue avant de se garer ou maîtrise un tressaillement à la vue d’un sac en plastique négligemment jeté au bord du trottoir ? Psychose ? Panique, terreur, horreur ? Les mots sont en deçà de la réalité. On les cherche peut-être, mais on ne les trouve plus. Les sentiments diffus sont inqualifiables. Innommables. Humilié, en colère, ce pauvre Monsieur Tout-le-monde reste scotché à sa télé. Témoin involontaire de toute une kyrielle de drames incontrôlables, il s’engage corps et âme avec chaque nouvelle victime. Il sait à l’avance que son tour viendra peut-être demain. Et si l’on méditait ? pense-t-il en regardant encore et encore ces films d’horreur retransmis en boucle par les médias ? Quelle faute gravissime a commise l’homme de la rue pour se voir infliger inlassablement ces punitions? N’est-ce pas lui la plus grande victime ? Cet homme, qui vient à peine de se relever des séquelles de la guerre, qui ne cherche qu’à assurer son pain quotidien, qui gère son commerce à la sueur de son front, qui rêve d’un avenir meilleur pour ses enfants, d’une retraite digne pour son foyer, d’un lendemain libre pour son pays, est devenu monnaie d’échange sur le grand échiquier des nations. Et revoilà le cortège de feu et de flammes qui, tel un couperet fatal, vient réduire en fumée le gain de toute une vie de sacrifices. Seul le silence est grand. Et grande et muette est la douleur. La douleur dans la dignité. Comme j’admire ce peuple qui ne plie jamais. Tant de grandeur pour autant d’indifférence. Tant de solidarité pour autant de laxisme. Tant de dignité pour autant de calculs. Ce peuple traqué, menacé, emprisonné, qui se bat tout seul, ce peuple qui n’a plus d’assises, plus de références, plus de gouvernants, plus de services publics. Ce peuple qui s’organise bravement, vaillamment, pour assurer son autodéfense. Ces jeunes qui squattent leur ville pour traquer le loup. Qui gèrent, avec les moyens du bord, leur propre sécurité : barrages et rondes de nuit, stickers sur les voitures, fouilles systématiques. Ce peuple en colère, que la colère ne détruit pas. Ce peuple en révolte qui ne cesse de payer. Ce peuple traqué qui ne se laisse abattre. Ce peuple aux plaies béantes qui tentent de se cicatriser. Ce peuple auquel Alfred de Vigny aurait voulu dédier ces vers : « Gémir, pleurer, prier est également lâche Fais énergiquement ta lourde et longue tâche Dans la voie où le sort a voulu t’appeler Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. » Nous souffrons certes, mais nous ne mourrons pas sans avoir parlé. Pardon, M. de Vigny, mais nous sommes indomptables, nous Libanais. Même dans le malheur. Le loup rugit chez nous, en nous, au-delà des silences. May SALHA
Une humiliation de plus. Comme une paire de gifles qui claque dans le noir alors que la terreur s’empare de celui qui a les pieds et les poings liés, et qui tente encore de se libérer.
C’était prévu. Quand la masse se soulève en chœur, quand elle risque de trop près d’atteindre ses objectifs, quand la victime consentante se redresse et fulmine alors que son profond sommeil était...