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Actualités - OPINION

Le XXIe siècle entre modernisme et fondamentalisme religieux

Par Joseph YACOUB* Comment expliquer cette montée du religieux fondamentaliste dans le monde ? L’émergence du fondamentalisme a commencé dans les années 70 du siècle dernier (avec des antécédents certes) et a embrassé toutes les traditions religieuses partout dans le monde (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme…), suivies de manifestations parfois intolérantes, voire choquantes. C’est une réaction à certaines valeurs véhiculées par la société moderne, et la culture scientifique et séculière. Aussi, il s’agit de comprendre comment les choses ont changé. L’explication est avant tout d’ordre intellectuel. Tout commence avec la sortie du Moyen Âge. En effet, à partir du XVIe siècle, l’Europe de la Renaissance et des Lumières, renouant avec la civilisation gréco-latine, met au monde un nouvel homme et développe un nouveau type de société basée sur la science et la technique, concomitante à une révolution intellectuelle qui a progressivement évacué Dieu du champ de la pensée et rétréci sa présence dans l’espace public, avec des implications importantes sur le religieux. Quels sont alors les éléments de la culture moderne en rapport avec le religieux ? Il s’agit pour l’essentiel de la sécularisation de la pensée accompagnée du rejet des explications théologico-métaphysiques des événements, de la séparation de la religion et de l’État, et des sphères publique et privée (laïcité), la religion devenant une affaire privée (cf. John Locke et Ernest Renan) et le caractère matériel l’emportant sur la spiritualité (Karl Marx). On a assisté aussi à l’autonomisation du droit par rapport au politique et au religieux, qui revêt désormais un caractère laïque, à la désacralisation du pouvoir, considéré comme une institution humaine, coupée de toute origine divine, et à la séparation des pouvoirs politiques (législatif, exécutif et judiciaire). Cette séparation suppose la démocratie comme pouvoir du peuple (Dèmos/Kratos) et un jeu politique permanent, celui du gouvernement de la majorité en respectant les droits de la minorité. Tout cela accompagné d’une démarche explicative de l’histoire (depuis Thucydide) et des faits sociaux (à partir d’Auguste Comte), et rationnelle (Hegel) opposée à la méthode théologique, métaphysique et éthique, perçue comme mythique, ne produisant pas d’effets de connaissance. Quant à l’individu, désormais autonome (Kant), il devient le pivot de la société et seul sujet de droits, et la société une association d’individus liés par le contrat social sans transcendance, l’individu primant sur le groupe ; d’où la méfiance à l’égard des groupements communautaires et le rejet du communautarisme. À cette méthode s’ajoute une fonctionnalité de type pragmatique sans forcément une quête de sens. Mais la modernité se veut également adhésion aux notions de progrès, de positivisme et d’optimisme, et foi dans l’homme, ainsi qu’à l’égalité (isonomie) et au pouvoir de la loi (isocratie) depuis l’Athénien Périclès, sans oublier les prodigieuses découvertes de la biologie et de la physique qui ont révolutionné notre perception des origines de la vie, du cosmos et de l’évolution des espèces, non sans conséquences d’ailleurs sur l’interprétation religieuse de la création et de l’univers. Cela ne veut pas dire que les autres cultures (arabe, musulmane, chrétienne orientale, asiatique, africaine) sont réfractaires aux idées de la modernité. Des traits de la modernité sont incrustés dans ces cultures. Néanmoins, la question est loin d’être tranchée. La modernité reste perçue d’une manière ambiguë, à la fois libératrice et agressive. Tantôt elle séduit, tantôt elle choque. Le débat actuel parmi les intellectuels irakiens en est un. Il y a « malaise dans la civilisation », dirait Freud. Et face à cette notion de modernité qu’on croyait universelle, prometteuse qu’elle était de progrès, on a assisté à des évaluations multiples, des plus souples aux plus rigides, le fondamentalisme oscillant de la critique à l’éjection. Par ailleurs, d’aucuns, non des moins durs, ont assimilé la modernité à l’Occident qui chercherait à imposer, dit-on, son modèle au reste du monde. Est-ce le retour de ce qu’on a appelé « l’impérialisme d’Athènes » ? Mais comment l’Occident a-t-il réagi face à ces critiques ? D’abord avec surprise, car il pensait que la modernité était une tendance irréversible, valable partout, d’où sa difficulté à comprendre et son malaise. L’assurance d’autrefois cède la place au doute. C’est d’autant plus inconfortable pour lui, car ça le renvoie à tout ce qu’il a lui-même rejeté. Le fondamentalisme, c’est l’envers de la construction moderniste. Cela dit, toutes les religions peuvent y succomber. Sont-elles un facteur de modernité ou de tradition ? Guerrières, clémentes, iréniques ou démoniaques, les religions ? Cela dépend d’abord du type de lecture qu’on fait des textes sacrés : littéral, exégétique, historique, symbolique. Ayons à l’esprit que c’est toujours un homme qui lit, donc qui interprète, et ce en fonction du temps, du moment et du lieu. On peut débattre longuement de ce sujet tant les réponses sont multiples. Dans leur essence, les messages sont une chose (paix, amour et compassion envers autrui), et dans leur historicité ils en sont une autre. Et c’est valable pour toutes les religions variant sans cesse du texte au contexte, de l’ouverture au repliement. À ce propos, aucune religion n’a de leçon à donner aux autres, car des moments de joie et de souffrance ont rythmé l’histoire de tous les messages en tout temps et en tout lieu. Elles ont toutes péché, si je puis dire. Laissons donc le débat intellectuel et théologique aux spécialistes et évitons de le mettre sur la place publique. Ce qui importe, c’est comment, dans des sociétés de plus en plus polyculturelles et multirécidivistes, faire coexister des personnes appartenant désormais à une grande diversité de traditions civilisationnelles, de manière à ce qu’elles puissent vivre ensemble, dans l’unité et l’harmonie. Pour ce faire, des réformes en matière d’enseignement de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, de l’histoire des idées et d’orientalisme s’imposent. En philosophie et en histoire des idées, il faudrait tenter d’élargir le débat aux pensées non européennes. C’est fondamental pour apaiser et rassurer les membres des communautés allochtones. Quant à l’orientalisme, il est ici utilisé dans un sens générique. Il s’agit de l’étude du monde non européen, des pays d’Asie, du monde arabo-musulman, du judaïsme et de l’Afrique. * Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon. Institut des droits de l’homme. Auteur de : Les guerres de religion d’aujourd’hui et de demain, JC Lattès, Paris, février 2002, et Les droits de l’homme sont-ils exportables ? Géopolitique d’un universalisme, Ellipses, Paris, 15 décembre 2004.

Par Joseph YACOUB*

Comment expliquer cette montée du religieux fondamentaliste dans le monde ?
L’émergence du fondamentalisme a commencé dans les années 70 du siècle dernier (avec des antécédents certes) et a embrassé toutes les traditions religieuses partout dans le monde (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme…), suivies de manifestations parfois...