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Actualités - REPORTAGE

DRAME - Histoire d’un abandon qui va trop loin L’indésirable retour de Jean-François, le mort vivant(photos)

Jean-François a longtemps espéré retrouver ses parents libanais qui l’ont abandonné cinq jours après sa naissance. Malade, handicapé d’une main et d’une jambe, il avait été remis, nourrisson, à la crèche Saint-Vincent-de-Paul, à Achrafieh, où il a été pris en charge durant dix mois par les sœurs de la Charité, avant d’être adopté par un couple français. Depuis quelques jours, Jean-François, jeune Français de 32 ans, a retrouvé ses parents biologiques. Mais ces retrouvailles ont un goût amer. Car le jeune homme estime s’être imposé à une famille qui le considérait comme mort. Une bien triste histoire que celle de ce Français aux yeux couleur d’Orient et dont nous avions publié les photos, lorsqu’il était bébé puis adulte, en août 2004, dans notre dossier sur «les adoptés du Liban à la recherche de leurs origines». Il espérait alors, par cet appel à témoin, que quelqu’un le reconnaîtrait. Il attendait un coup de fil de ceux qui l’avaient abandonné. Il rêvait d’un geste de remords qui pousserait ses géniteurs à chercher à le revoir et à se faire pardonner. Il voulait tellement comprendre pourquoi il avait été abandonné, tout en sachant au plus profond de lui que son handicap en était la cause. Mais rien…si ce n’était le hasard. Ce n’est en effet que par le fruit de ce hasard que Jean-François a eu la possibilité de retrouver ses parents. Ceux qu’il nomme, avec un brin d’hésitation, lorsqu’il parle d’eux, « le père », « la mère », « les sœurs ». En vacances au Liban durant le mois de juin, il est invité par les religieuses de la crèche Saint-Vincent-de-Paul, à qui il rend visite, à consulter son dossier. Et là, il tombe sur un carton portant le nom de ses parents biologiques, leur région d’origine, un village druzo-chrétien bien connu dans la montagne libanaise, ainsi que le numéro de leur registre d’état civil. Il apprend que le couple géniteur était marié et que lui, Jean-François, a été abandonné à l’hôpital où il est né à cause de son handicap. C’était pourtant l’aîné, et un garçon par surcroît, mais sa main droite n’avait que trois doigts et sa jambe droite était déformée au niveau du fémur. Impensable pour une famille « bien ». Ces informations étaient une aubaine pour Jean-François, dont les premières recherches, l’année passée, n’avaient pas abouti. Tout semblait si simple à présent, d’autant plus qu’une connaissance, qui lui avait promis de l’aider dans ses recherches, lui avait annoncé qu’elle avait retrouvé ses parents. Mais au moment d’organiser les retrouvailles entre Jean-François et ses géniteurs, la connaissance en question s’est rétractée. Des retrouvailles difficiles Aussi désemparé que déçu, le jeune homme, qui ne parle pas un traître mot d’arabe, décide donc de se rendre au village d’origine de sa famille pour mener sa propre enquête auprès du moukhtar. Ce dernier lui apprend que ses parents, appartenant à une famille chrétienne bien connue, sont toujours en vie et qu’il a trois sœurs. Il lui apprend surtout qu’il a été déclaré mort par son père à l’âge de trois ans, certificat de décès à l’appui. Trois ans, c’est aussi l’âge qu’avait Jean-François lorsque son adoption par un couple français a été officialisée, en France. Le coup est fort. Jean-François ne s’attendait pas à cela. Il se rend, en compagnie du moukhtar, au cimetière du village pour tenter de trouver sa « propre » tombe. Mais en vain. Il décide quand même d’entreprendre les démarches pour entrer en contact avec « sa » famille. Il veut absolument comprendre pourquoi il a été abandonné, mais surtout pourquoi il a été déclaré mort. Il ne pourra joindre qu’une de ses sœurs dont le moukhtar lui a donné le numéro de téléphone, après avoir consulté « son » père. Pour s’entendre dire à l’autre bout du fil que son frère aîné était décédé à l’âge de trois ans, tout en refusant de le rencontrer. « Non seulement ils m’ont abandonné, dit-il, la gorge serrée, mais ils m’ont enterré alors que je n’étais pas mort. Et, par-dessus tout, ils refusent de me voir. » Mais c’était sans compter sur la détermination de Jean-François. Armé des preuves en sa possession, retrouvées dans son dossier, et par le certificat de décès remis par le moukhtar, il se met de nouveau en contact avec sa sœur, menaçant cette fois-ci d’avoir recours à la justice française, une fois de retour en France, pour dévoiler le scandale. Il parle même d’exiger un test ADN pour prouver sa filiation. « Ils ne pouvaient prendre le risque de mettre en jeu leur réputation, observe-t-il avec sarcasme. Il s’agit quand même d’une famille qui jouit d’une bonne réputation.» Jean-François rencontre finalement «le père», «la mère», ainsi que «deux des sœurs» dans un lieu public. «Mais les retrouvailles se sont mal passées», observe-t-il, même si “la mère”, dans un élan de remords, a dit, tout en regardant “le père”: Il me ressemble, il a mes yeux. C’est mon fils », avant d’enlever la bague qu’elle portait au doigt pour l’offrir à Jean-François. «Elle a pleuré et m’a fait promettre de la revoir avant de retourner en France», raconte-t-il, ajoutant qu’elle lui avait même demandé de s’installer chez elle, pour le reste de son séjour. «Mais le père me regardait à peine et détournait sans cesse le regard, poursuit Jean-François. Il a fini par me dire que c’était mieux ainsi et que si j’étais resté au Liban, les médecins m’auraient tué. Il est d’ailleurs parti très vite, prétextant que tout cela était trop dur pour son cœur. Moi je n’ai versé aucune larme. Je voulais juste comprendre pourquoi ils m’avaient déclaré mort. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas compris.» Savoir, à tout prix Les jours passent. Jean-François se remet mal de cette première rencontre. De l’attitude négative «du père» qu’il accable, lui reprochant de «l’avoir tué». Le jeune homme est conscient qu’il dérange cette famille qui n’a jamais voulu de lui. Mais il ne peut s’empêcher de trouver des excuses à celle qu’il arrive à appeler parfois «ma mère», se disant qu’elle a été forcée par son mari et la famille de ce dernier de l’abandonner, qu’elle ne savait peut-être pas qu’il était encore en vie. Même si parfois il a des doutes. «Elle m’a peut-être menti, elle aussi, mais elle regrette, je le sens», dit-il simplement, laissant parler son cœur meurtri. Il envisage d’écourter son séjour et de rentrer en France. «Tout cela est trop dur», lance-t-il. Mais il tient à revoir sa mère, à comprendre encore, à avoir des réponses aux questions qui se bousculent dans son esprit. Mais une nouvelle rencontre avec sa mère n’est pas facile à organiser. Il doit passer par ses sœurs qui tentent de le décourager, prétextant qu’il faut épargner cette épreuve à leur mère malade. Elles poussent même le jeune homme à rentrer chez lui, en France, refusant dans un premier temps de le mettre en contact avec sa mère. Elles défendent aussi leur père, ce père tant haï par le jeune homme. L’identité reconstituée L’entêtement de Jean-François finit par payer. Ses sœurs cèdent devant son insistance et organisent une nouvelle rencontre entre lui et sa mère. Une rencontre de plus de six heures, à laquelle elles participeront, sans le père. Il finit par comprendre, tant bien que mal, le mystère qui a entouré sa naissance. «Je n’ai pas arrêté de poser des questions à ma mère, raconte-t-il. J’ai appris qu’elle m’a mis au monde à 20 ans et qu’elle habitait avec mon père, chez les parents de ce dernier. Elle se trouvait donc sous l’emprise d’une belle-mère autoritaire et envahissante. On lui a raconté, à ma naissance, que l’enfant était faible et handicapé. On l’a empêchée de me voir durant trois jours. Mais devant son insistance et celle de sa mère, elle est parvenue à me voir. Mais pas pour longtemps, car sa belle-mère a décidé que je serais placé dans un centre pour enfants handicapés». Même si son père, qui, dans un premier temps, n’avait pas envisagé de l’abandonner, l’avait déjà inscrit au registre d’état civil. Jean-François a finalement été placé chez les sœurs de la Charité à Achrafieh et n’a plus jamais revu ses parents. Sa mère, ne sachant pas comment affronter le problème, abdique et s’en remet à Dieu, ravalant sa peine et sa frustration. Elle sombre dans la dépression, malgré la naissance successive de ses trois filles. «C’est au bout de trois ans, quelque temps après mon adoption par une famille française, que mon père me déclare mort à l’administration de l’état civil. Probablement pour permettre à ma mère de faire son deuil et de se rétablir», suppose-t-il. «L’idée ne venait probablement pas de lui, mais d’une religieuse proche de la famille, responsable d’un centre pour enfants handicapés», indique Jean-François. Et de préciser que cette dernière avait eu l’idée, à l’occasion d’un bombardement du centre, d’annoncer sa mort. «En guise de preuve, elle a même montré à mes parents le corps d’un enfant de trois ans couvert d’un drap, à qui il manquait quelques doigts d’une main. Au plus profond de son cœur, ma mère me savait toujours vivant, car ce n’étaient pas les mêmes doigts qui manquaient. Cet enfant mort n’était pas son fils. Mais elle n’y pouvait rien, face à une belle-mère qui ne voulait absolument pas d’un enfant “qui rampait” et un époux qui suivait aveuglément sa mère.» Au-delà de l’horreur de ce drame familial, Jean-François estime qu’il a rempli sa mission. Il a reconstitué son identité et son histoire. Il a surtout appris que le handicap qu’il porte était un hasard de la vie et non pas une maladie héréditaire, car il a vu que ses sœurs, ses parents, ses neveux et nièces sont tous en bonne santé. «Je peux à présent envisager de faire ma vie sans crainte», explique-t-il, espérant un jour avoir un enfant. Il repart à Paris plein de mauvais mais aussi de quelques bons souvenirs quand même, plein aussi de souffrances et d’émotions retenues qu’il envisage de partager avec ses parents adoptifs. Il ne peut toutefois cacher sa haine envers «le père» qui l’a déclaré mort et n’a jamais voulu reconnaître l’horreur de son acte. «Je pardonne à ma mère, car elle était une victime. Mais je ne peux lui pardonner à lui. Il m’a menti, disant qu’il me croyait mort, alors qu’il savait que j’étais en vie.» Jean-François se dit cependant prêt à pardonner à ce père si ce dernier annule le certificat de décès et reconnaît que son fils est toujours en vie. «S’il ne le fait pas, alors je le considérerais comme mort, comme il l’a si facilement fait pour moi», ajoute-t-il, déclarant ne pas envisager d’avoir recours à la justice. Quant à sa mère et à ses sœurs, dont la benjamine, avec laquelle il a des affinités, il se sent prêt à garder le contact et même à tisser des liens avec elles. Mais il reste sur la défensive, indiquant qu’il ne cherche «ni un papa, ni une maman, ni des frères et sœurs», car, dit-il pour conclure: «Mes parents et mes frères et sœurs adoptifs remplissent pleinement ce rôle.» Anne-Marie El-HAGE
Jean-François a longtemps espéré retrouver ses parents libanais qui l’ont abandonné cinq jours après sa naissance. Malade, handicapé d’une main et d’une jambe, il avait été remis, nourrisson, à la crèche Saint-Vincent-de-Paul, à Achrafieh, où il a été pris en charge durant dix mois par les sœurs de la Charité, avant d’être adopté par un couple français. Depuis quelques...