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Actualités - CHRONOLOGIE

Témoignage - Une survivante de l’attentat du 14 février fait le récit de ses épreuves Maria Sader, la miraculée du « Saint-Georges » : «Je ne serai plus jamais la même» (Photo)

Alors que la commission d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri poursuit son travail sur le terrain, les survivants de l’attentat pansent encore leurs plaies. Un travail au quotidien, car ces plaies, qu’elles soient réelles, psychologiques ou émotionnelles, sont incalculables. La convalescence, qui sera longue, est entamée. Pour Maria Farhat Sader – qui était au «Saint-Georges» ce jour fatal, et qui fut gravement atteinte – en parler, c’est commencer à faire son deuil. Quatre mois plus tard… Quatre mois pour essayer d’effacer les moindres détails de cette interminable matinée qui dure encore. Pour guérir, reprendre enfin une vie normale. Pourtant, tout est encore là. Les odeurs, les bruits, la brusque obscurité, une vie qui se fige en un instant. Et puis, plus rien qui ne sera comme avant. Ils étaient plus de cent, ces « oubliés », qui ont vu leur existence basculer dans l’horreur, en quelques secondes. Nous avons retrouvé une de ces victimes. Quatre mois plus tard, Maria va mieux. Après trois opérations, dont deux pour tenter de récupérer la vue de l’œil gauche, les cicatrices semblent s’estomper peu à peu. Et cette belle femme de 36 ans, mère de deux enfants de 6 et 3 ans, tente de retrouver son image dans un miroir un peu moins cruel. Des cicatrices, elle en a beaucoup. Et plus de deux cents points de suture au visage, à la bouche (elle a perdu plusieurs dents), et autant aux bras et aux mains, qui commencent à s’estomper. Mais celles qu’elle garde en elle sont indélébiles. Maria a envie de parler, sans jouer les victimes. Pourtant elle en est une. Exorciser sa peine et cette peur qui ressurgit au moindre bruit. Récit d’une journée catastrophe « Je ne devais pas être au Saint-Georges ce jour-là. » Maria Sader, membre du conseil d’administration de la Byblos Insurance, était également, depuis 1997, à la direction générale du Saint-Georges. Mais ce jour-là, ce lundi 14 février, une soirée spéciale était prévue pour la Saint-Valentin. Il lui fallait vérifier la mise en place des tables. Elle décide de s’y rendre à 16 heures. « J’avais un engagement pour 14 heures. Mais il a été reporté en dernière minute. On ne peut pas changer son destin », ajoute-t-elle. 12 heures 20, « j’ai tout vérifié et suis retournée à mon bureau qui se trouve au premier étage de l’immeuble en face de l’entrée du complexe balnéaire». Quelques minutes plus tard, « je parlais au téléphone lorsque j’ai vu une poussière blanche monter, puis les vitres se briser et les éclats se diriger vers moi. C’était très rapide». Elle reçoit également un coup sur la tête, des blocs de pierre provenant des murs. « Mes dents se sont envolées et je n’ai plus rien vu. » Maria, encore assise à son bureau, est, sans le savoir, touchée aux yeux et au front. Elle sent « quelque chose de chaud » couler sur ses joues. « Puis j’ai entendu une première explosion, suivie d’une seconde. J’ai senti une odeur de brûlé, j’ai essayé de me lever, mes jambes étaient intactes, pensant pouvoir me diriger de mémoire », mais elle trébuche et tombe. « J’ai appelé mes collègues, un à un, nous étions huit. Aucun ne répondait. » Cinq d’entre eux succomberont des suites de l’explosion. Beaucoup de chance Sirènes de voitures devenues folles, tirs divers et bruits non identifiés, Maria, qui commence à perdre beaucoup de sang, se met à prier. C’est alors qu’elle entend une voix familière, et qu’elle sent quelqu’un la secouer. « C’était mon frère Bachir. Il ne m’avait pas reconnue. Je lui dois ma vie. Personne n’est venu voir s’il y avait des victimes sous les décombres du bâtiment où nous nous trouvions. Zahi Abou Rejeili a été retrouvé mort le lendemain. Il est mort par négligence. » Transportée à l’hôpital grec-orthodoxe, elle donne toutes les consignes, consciente jusqu’au bout. Et subit une première opération qui va durer plus de huit heures. « À mon arrivée aux urgences, j’avais perdu 3 litres 20 de sang. » Sept minutes de plus, lui dira le médecin, elle serait morte. Les jours, les mois qui suivront ont été insupportables. « Lorsque mon mari est allé, le lendemain, récupérer mes affaires, de l’argent et des objets personnels avaient été volés de mon sac. » Il n’y a pas de répit pour les braves… Un long mois d’hôpital, pas un signe d’amitié ou de réconfort d’un quelconque « responsable » politique, sinon la visite des FSI, le soir même, pour interroger la victime encore dans un coma postopératoire. Une hospitalisation aux frais du ministère de la Santé prévue en troisième classe, « mais les médecins avaient exigé que je sois isolée pour protéger le deuxième œil d’une quelconque infection. Nous avons donc pris une chambre en première et payé nous-mêmes la différence. » Et enfin un retour pénible à la maison et à la vie. Avec des enfants traumatisés et une mère très atteinte. « Au début, je me suis demandé pourquoi moi ? Puis, je me suis demandé pourquoi moi et pas les autres ? Pourquoi est-ce que je m’en suis sortie alors que mes cinq collègues, Joseph Aoun, Rawad Haidar, Abdo Farah, Zahi Abou Rejeily et le gardien Khodr sont morts. » Maria va également subir deux autres opérations à l’œil, « je n’ai plus d’iris ni de cristallin », et, petit à petit, se refaire une santé physique et morale. « Je ne peux rien oublier, ce que j’ai vécu avec ma famille est indescriptible. Mes enfants me donnent tous les jours la force de dépasser tout ça. Je ne remercierai jamais assez mon mari, ma mère, mes amis et les médecins qui étaient là, pendant toute cette période. » Aujourd’hui, quatre mois plus tard, et parce qu’elle va mieux, Maria Sader a accepté de parler en son nom et au nom de toutes les victimes. Elle ne voit toujours pas d’un œil, ne peut pas se pencher, faire du sport, conduire. Mais elle est en vie et c’est l’essentiel. Elle a même accepté de se rendre au Saint-Georges, où une prière a été organisée pour ses collègues, victimes de l’attentat. «Je suis restée quelques minutes à pleurer et je suis repartie. » Courageuse et déterminée, elle a timidement réemprunté le chemin du travail. « J’essaie de reprendre goût à la vie. Il le faut, car après tout, la vie continue», conclut-elle enfin avec un sourire qui n’a rien oublié. Carla HENOUD
Alors que la commission d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri poursuit son travail sur le terrain, les survivants de l’attentat pansent encore leurs plaies. Un travail au quotidien, car ces plaies, qu’elles soient réelles, psychologiques ou émotionnelles, sont incalculables. La convalescence, qui sera longue, est entamée. Pour Maria Farhat Sader – qui était au...