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Législatives Le vote chrétien et la question de confiance

À travers les élections législatives, nous avons vu, en milieu chrétien, deux formes différentes de la conscience communautaire s’affronter. L’une est celle d’une élite, en l’occurrence celle des personnalités les plus crédibles du Rassemblement du Bristol, l’autre celle de la population, de la majorité numérique, telle qu’elle s’est exprimée dans les raz-de-marée orange. Toutes deux se présentent comme formules de salut pour la communauté chrétienne, c’est-à-dire comme fondamentales pour la survie, à long terme, des chrétiens dans un environnement culturel et politique hétérogène, qui leur est défavorable sous le rapport du nombre. De ces deux formes de concience, laquelle faut-il écouter ? Laquelle fera le Liban ? La première approche est égalitaire. Les chrétiens s’y proposent comme égaux aux musulmans, pour travailler avec eux en confiance, aussi bien sur le plan individuel que collectif. Elle semble en harmonie avec les orientations de l’Exhortation apostolique et les conseils du Saint-Siège. L’autre approche aussi se présente comme égalitaire, mais elle le fait dans des termes ambigus, en réalité inégalitaires. Elle se propose aux communautés musulmanes comme égale à elles, hypothétiquement, sur le plan de la force, sinon du nombre. Elle est fondamentalement communautariste. Mais elle peut nourrir, secrètement, des aspirations hégémoniques, sinon séparatistes. Sur le plan de la démocratie pure, il ne fait pas de doute que ce sont les aspirations de la société chrétienne – valeurs identitaires étroites, mais vives, basées non sur la confiance, mais sur un rapport de force – qui devraient pouvoir s’incarner, politiquement. Toutefois, pour deux raisons, elles ne le peuvent. La première, c’est que dans les circonscriptions où elles ont pu se concrétiser, c’est le général Michel Aoun qui en est le dépositaire, alors que sur le plan personnel, elles semblent en totale contradiction avec ses propres convictions. La seconde, c’est que ses aspirations, qui se sont exprimées de façon très nette, par exemple, au Liban-Nord, ont été annulées par les effets du découpage des circonscriptions électorales, qui a fait prédominer le discours communautariste musulman. Alors ? Où va le Liban ? Pour un certain temps, nous sommes condamnés à continuer d’avancer dans le brouillard. En bonne démocratie, toutes ces aspirations contradictoires devraient pouvoir s’exprimer librement et s’influencer les unes les autres. Mais il faut aussi tenir compte de la réalité. Or celle-ci ne se propose jamais telle qu’elle est, mais telle qu’elle veut paraître. Le « projet sunnite » incarné par Saad Hariri, qui se présente comme égalitaire, l’est-il vraiment ? N’est-ce pas un projet hégémonique qui ne se dit pas ? L’usage illimité du pouvoir de l’argent ou du discours communautariste est peut-être un facteur de gain politique, mais il génère aussi la méfiance. Ce projet est apparemment en contradiction avec les aspirations de la majorité numérique chrétienne, encore que l’appui que lui apportent la France et les États-Unis fait un peu contrepoids. L’autre projet proposé aux chrétiens, ou que leur inconscient leur propose, c’est celui de l’alliance de minorités. C’est, en termes crus, un tribalisme de communautés, qui n’exclut ni l’égalité ni le progrès, mais qui est basé sur un rapport de force et non sur la confiance. C’est l’équivalent politique de l’équilibre de la terreur, où la dissuasion crée la paix et la maintient. Une paix qui est absence de guerre plutôt que construction commune. Ce projet ne semble pas jouir d’un appui international. Il ne va pas dans le sens de la démocratie. Son modèle se trouve surtout dans les pays où une minorité gouverne une majorité, paradoxalement au nom de la démocratie, mais où l’alternance n’existe pas. À la base, il y a toujours l’existence d’une communauté dominante, souvent minoritaire, dont il est tabou de parler. Pourtant, comme le montrent les élections, ces projets restent populaires, et pas seulement en milieu chrétien. Il s’agit d’aspirations fondamentalement séparatistes, il faut l’admettre. Mais ce sont des aspirations qui peuvent être canalisées, et qu’il ne faut surtout pas réprimer brutalement, sous peine de les exacerber. Il y va de l’avenir du Liban. Car c’est la position de force qui autorise la négociation. Ce sont les faucons qui signent la paix, et non les colombes. Il y a là une règle politique qu’il faut respecter. Car il faut aussi convaincre les chrétiens du Liban qu’il n’y a pas nécessairement conflit entre leurs aspirations et la construction d’une patrie avec des partenaires musulmans. Du reste, n’est-ce pas un peu la problématique de la construction européenne ? Tout se jouera, dans les semaines et les mois qui viennent, dans la manière dont les leaders musulmans sauront gagner la confiance de l’opinion chrétienne, en partageant leur leadership, en évitant les décisions autocratiques et les maladresses passées. Saad Hariri, Walid Joumblatt ont tout intérêt à mettre en valeur leurs partenaires chrétiens, à résister à leurs pulsions autoritaires et à ne pas s’imposer comme figures dominantes. Dans un effort pour corriger ses excès nordistes, Saad Hariri a dédié sa victoire électorale à Samir Geagea. Il ne faut pas minimiser l’impact psychologique de tels gestes, surtout s’il nous sera donné de voir Samir Geagea libre, dans quelques semaines. En définitive, tout ce qui peut renforcer la confiance réciproque doit être fait. En outre, dans tous les cas de figure, il faut policer le discours politique et en relever le niveau éthique chez presque tout le monde. Ça ne pourra que nous faire du bien. Fady NOUN
À travers les élections législatives, nous avons vu, en milieu chrétien, deux formes différentes de la conscience communautaire s’affronter. L’une est celle d’une élite, en l’occurrence celle des personnalités les plus crédibles du Rassemblement du Bristol, l’autre celle de la population, de la majorité numérique, telle qu’elle s’est exprimée dans les raz-de-marée...