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Actualités - REPORTAGE

Portrait Du combat de la Gauche universelle à l’autocritique et l’ouverture (photos)

Il avait perçu, beaucoup plus tôt que bien de ses anciens compagnons d’armes, la nécessité de prendre les chemins de l’autocritique, de remettre en question une expérience de quinze années d’une guerre destructrice. Après 1990, au moment où les seigneurs de la guerre de tous bords cherchaient un petit coin de paradis sous l’ombrelle syrienne, il avait progressivement pris ses distances et s’était investi d’une mission sacrée : promouvoir le dialogue interne et la réconciliation nationale, par-delà les petites combines des petits chefs et les grands desseins des grandes puissances, loin des sentiers sinueux de la politicaillerie ultracommunautaire. Loin de ceux qui exploitent les communautés au nom de petites victoires personnelles. N’usait-il pas de cette métaphore pour illustrer le problème libanais ? : « Il faut ouvrir deux comptes en banque : l’un national, l’autre communautaire. Le compte national est actuellement déficitaire, alors que celui des communautés est florissant. Il faudra retirer chaque année équitablement 5 % du compte des communautés pour les transférer au compte de la patrie. Dans 20 ans, les comptes seront égaux : on sera d’abord libanais. » Georges Haoui a rejoint hier la très longue cohorte des martyrs de la Gauche libanaise, au nombre desquels figurent bon nombre de compagnons de route, assassinés les uns après les autres : Kamal Joumblatt, Hussein Mroué, Souhail Tawilé, Khalil Naouss, Labib Abdel Samad, Michel Waked, Nour Toukan ou encore Hassan Hamdane, alias Mehdi Amel. C’était durant la guerre. Les cadres politiques et les intellectuels du Parti communiste libanais étaient dans la ligne de mire des milices de quartiers et des grands décideurs de la région. Les tueurs à gage avaient redoublé d’intensité durant l’année 1986-1987, éliminant surtout les militants chiites du Parti communiste libanais. Quinze ans d’accalmie sous tutelle, la libération du Sud de l’occupant israélien et une intifada de l’indépendance antisyrienne, plus tard, semblent n’y avoir rien changé. Le spectre des attentats continue à rôder autour de la Gauche libanaise. Georges Haoui pouvait-il en avoir la prémonition, le 2 juin, lorsque périssait Samir Kassir, enfant terrible de cette Gauche, héritier fougueux et moderne de toute une génération de militants formés par le tandem Kamal Joumblatt-Haoui et les rêves fous du Mouvement national ? L’ironie aura voulu que les deux derniers « martyrs de l’indépendance 2005 » se retrouvent le 30 juin 2004 à la librairie al-Borj. Samir Kassir y signait ses deux recueils d’éditoriaux en arabe, dont les titres résumaient les deux principaux combats de l’écrivain militant : « La démocratie syrienne et l’indépendance du Liban, à la recherche du printemps de Beyrouth », et « Soldats contre qui ? ; Liban, la République perdue ». Georges Haoui était venu se mettre en rang, comme d’autres cadres de Gauche, pour congratuler Samir Kassir. L’enfant terrible de la Gauche des années 60-70 venait saluer l’un de ses héritiers. L’ironie du sort aura voulu que d’autres choses encore, plus terribles, lient le destin des deux hommes. Une précocité exceptionnelle Lorsque Georges Haoui naît à Bteghrine (Metn), en 1938, le PCL est l’un des rares partis organisés qui existent déjà au Liban. Issu d’une famille modeste, rapidement familier des œuvres marxistes-léninistes, c’est tout naturellement qu’il choisit, en 1955, de s’engager dans le combat social et politique universel de la gauche, en adhérant au PCL, dont l’une des figures de proue est Artine Madayan, son futur beau-père. Georges Haoui passe les plus belles années de sa jeunesse au service du communisme militant, même s’il flirte un moment, comme bon nombre d’étudiants de gauche, avec les mouvements nationalistes arabes. C’est en tant que leader estudiantin qu’il commence d’ailleurs à s’illustrer, en prenant part activement, et pas simplement en suiveur, aux manifestations de masses et aux mouvements de grèves qui marquent la fin des années 50 et la décennie 60. Georges Haoui est tout à fait fils de son temps : il fait la révolution permanente, rencontre l’idole de « sa » génération, Ernesto Che Guevara, développe des relations avec les futurs bureaucrates de l’URSS, découvre les étendues merveilleuses (et diverses) de l’Empire soviétique, qui continueront à le fasciner longtemps après la chute du communisme. En bon militant de gauche, il s’engage également dans le mouvement syndicaliste et fait de la prison à plusieurs reprises : en 1964, lors de la grève de la Régie, avec certains de ses compagnons, dont Georges el-Batal ; puis à nouveau lors de la fameuse manifestation du 23 avril 1969, organisée en signe de soutien à la cause palestinienne. Georges Haoui a déjà dans la peau le virus de la gauche, sinon de la Gauche arabe : il s’engage sur tous les fronts, est mobilisé par la décennie idéologique qui traverse le Liban et ses campus, et accorde la priorité à la question palestinienne, au nom de l’arabité et de la lutte contre le bloc occidental et ses dérivés. Entre-temps, de 1964 à 1966, le jeune Haoui, d’une précocité étonnante, a déjà gravi tous les échelons du parti, même s’il connaît un moment la disgrâce, lorsqu’il est accusé par le politburo d’espionner pour le compte de « l’impérialisme américain », puis innocenté. Ainsi, en 1964, il est le plus jeune cadre à accéder au comité central du parti, puis au bureau politique et au secrétariat du PCL, en 1966. Secrétaire général du PCL pour toujours… La décennie 70 apporte à Georges Haoui d’autres occasions de s’illustrer par sa polyvalence, de manifester tour à tour ses talents d’orateur, d’intellectuel et d’homme de terrain. Dès 1976, il apparaît comme l’une des figures de proue du Mouvement national, à côté de Kamal Joumblatt, qui prône le réformisme social et politique et se dote en 1976 du célèbre Programme de réforme de la gauche. Il n’est pourtant encore que secrétaire général adjoint du PCL. Il faudra attendre encore trois années supplémentaires, marquées entre-temps par l’assassinat de son père spirituel et politique, Kamal Joumblatt, pour que Georges Haoui accède au secrétariat général du parti, poste qu’il occupera durant près de quinze ans (jusqu’en 1993). Mais un poste qui lui colle tellement à la peau que, pour beaucoup, il est resté et restera éternellement « le » secrétaire général du Parti communiste. Durant les années 70 et 80, Georges Haoui participe activement à la guerre, résiste à l’occupation israélienne du Sud et de Beyrouth au sein du Front national de la résistance libanaise (1982), tente souvent de jouer au conciliateur et réconciliateur au sein des milices dites « nationales », malgré les affrontements meurtriers, intifadas et contre-intifadas, avant d’être littéralement écarté, avec le PCL, de la scène de la résistance à partir de 1985-1986, sous l’influence de plus en plus incontournable de Damas. Les lendemains ne chantent plus vraiment pour la Gauche libanaise, contrainte de céder la place, sur le terrain, à des forces de plus en plus communautaires, au Sud comme à Beyrouth. Avec la fin de la guerre, Georges Haoui refuse d’entrer dans le partage du gâteau entre les milices proches de la Syrie et préfère prendre de plus en plus de recul. Il se lance dans une approche autocritique de l’ensemble de son expérience, ouvre le dialogue avec ses anciens adversaires, comme Samir Geagea avant son incarcération, et n’hésite pas à faire son « mea culpa » sur les plateaux de télévision. Bien peu de chefs politiques le suivront dans son initiative. Puis, durant la décennie 2000, il tentera de ramener la gauche au centre de la bataille pour la préservation de la démocratie et la défense des libertés publiques, participant notamment à l’organisation de l’opposition (lors du déjeuner de Bteghrine au début de la décennie) et au retour de la gauche au Metn contre les symboles du pouvoir syrien (en livrant bataille pour Gabriel Murr et la MTV contre Michel Murr lors de la partielle de 2002). Avec sa truculence toute particulière et son franc-parler, Georges Haoui n’aura de cesse de critiquer vertement les excès du régime sécuritaire dont il connaît les allégeances syriennes. Ainsi, le 31 août 2001, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour, en évoquant l’appareil sécuritaire : « Cette force stupide défie les jeunes qui ne veulent pas émigrer et le marxisme nous apprend que lorsqu’il y a un mûrissement des conditions objectives d’un développement social quelconque, ce développement crée les instruments et les moyens de son existence. Notre travail vise à donner à ce mouvement l’expérience qui pourra l’aider à vaincre. » Et de poursuivre, confiant : « Je crois en la force du changement, en les jeunes. Ils sont prisonniers d’un cocon, pour l’instant, mais la répression aidant, ils vont briser ce cocon et descendre dans la rue. À ce moment-là, ce sont les bourreaux en civil qui devront se protéger des étudiants en colère. » Visionnaire, Georges Haoui ? Sa prophétie révolutionnaire s’est accomplie quatre ans plus tard. Et, en ce sens, il aura été, par son courage et ses formidables coups de gueule anti- répression, l’un des parrains du 14 mars populaire et national dont il a toujours rêvé. Malgré la violence perfide avec laquelle on a fait taire Georges Haoui, hier, une phrase assassine lancée par Kamal Joumblatt, que l’ancien secrétaire général du PCL aimait particulièrement et répétait souvent, subsiste, par-delà l’homme et sa finitude : « Les peuples se vengeront des régimes progressistes qui ont construit des armées bonnes à défendre leurs trônes et pas à libérer le territoire arabe. » Michel HAJJI GEORGIOU

Il avait perçu, beaucoup plus tôt que bien de ses anciens compagnons d’armes, la nécessité de prendre les chemins de l’autocritique, de remettre en question une expérience de quinze années d’une guerre destructrice. Après 1990, au moment où les seigneurs de la guerre de tous bords cherchaient un petit coin de paradis sous l’ombrelle syrienne, il avait progressivement pris ses...