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Actualités - OPINION

Les autres kamikazes

Un martyr de plus que l’on porte en terre, un martyr de trop. Un martyr qui, pourtant, n’est peut-être pas le dernier à payer de sa vie notre indépendance nouvelle. Et c’est précisément cette sombre fatalité, c’est l’impuissance apparente du monde entier à arrêter l’infernale machine à tuer qui, par-delà l’écrasante douleur qu’il suscite, font du sacrifice de Georges Haoui un cinglant camouflet asséné à ses assassins. Car loin d’instaurer le silence des moutons – pire encore, le silence des cimetières –, ce même effroi qu’ils s’acharnent à répandre ne fait que gonfler, au contraire, la clameur de la contestation. S’il faut absolument que des hommes meurent afin que vive le pays, eh bien soit ! Instruit par la folle vague d’attentats inaugurée en octobre dernier, l’ancien secrétaire général du PCL, pourfendeur du règne des moukhabarate et ardent avocat du dialogue interlibanais, se savait menacé : il n’a pas pour autant dévié de la voie. Vraisemblablement exposés aux mêmes et sournoises menaces, les compagnons de route de Georges Haoui, réunis hier autour de sa dépouille, restent ouvertement, publiquement, inébranlablement engagés sur le chemin de croix de la liberté. Quel Libanais n’a eu le cœur étreint d’émotion à l’écoute de ces serments de fidélité prononcés lors des funérailles et où se mêlaient cris de ralliement et sanglots étouffés ? Qui n’a tressailli au spectacle de toutes ces personnalités, qui fils et qui veuves de chefs impunément assassinés, dont le regard voguait entre réminiscences du passé, affres du présent et incertitudes de l’avenir? Jusqu’à quand faudra-t-il continuer d’abreuver de rouge les couleurs libanaises ? Et la profession politique dans notre doux pays serait-elle donc devenue affaire de kamikaze ? Avec la même ferveur nationale que l’on doit à la mémoire des martyrs, il faut saluer bien bas l’immense courage de tous ces trompe-la-mort que ne parvient à dissuader aucune terreur organisée, aucune liste noire. Les silences d’antan, c’est bel et bien fini, même si tout le monde ne l’a pas encore compris. Et ne s’y est pas résigné. Face à tant d’héroïsme, quel dommage cependant que les œillères du sectarisme, un moment bannies dans la fièvre nationale du 14 mars, soient venues brouiller, cà et là, la juste vision des choses… Ainsi le chef de l’État Émile Lahoud et le président sortant de l’Assemblée Nabih Berry font tous deux figure aujourd’hui de surprenants anachronismes dans un Liban tourné vers le changement : un Liban débarrassé de cette tutelle syrienne dont ils furent, chacun à sa manière et dans son domaine, les principaux garants constitutionnels. Et par la funeste loi des acquis communautaires, ces anachronismes sont joués tantôt en contrepoids l’un de l’autre (les deux s’en vont, ou bien alors les deux restent en place) et tantôt l’un contre l’autre (Berry peut rester, à condition d’aider au départ de Lahoud). Et qui prend part activement à ce jeu ? Entre autres, et c’est là le plus navrant, une opposition qui se voulait résolument novatrice et qui ne peut plus dissimuler ses contradictions. Qu’Émile Lahoud soit loin de galvaniser les chrétiens, c’est évident ; il n’a pas tenu les promesses que recelait son serment constitutionnel et de surcroît, l’extension de son mandat n’a engendré, comme prévu, que catastrophe sur catastrophe. Mais les vieilles règles du jeu sont si ancrées dans les esprits que nombre de ces chrétiens, leurs instances spirituelles en tête, répugnent à un changement au sommet de l’institution dévolue à leur communauté qui serait le fait de forces trop largement musulmanes : une équation qu’est venue étayer la prise de position du général Michel Aoun. Non moins tristement remarquable, au demeurant, est l’argument invoqué par plus d’un leader de l’opposition, selon lequel la présidence de l’Assemblée doit continuer d’être réservée à Nabih Berry qui fut, comme on sait, le grand convoyeur des volontés syriennes auprès des parlements de l’après-Taëf : et cela au stupéfiant motif que le chef du mouvement Amal vient d’être plébiscité par les électeurs chiites. Tout se passerait en somme comme si, en dépit des bouleversements du printemps et au mépris de la règle de l’alternance, la présidence de l’Étoile était le domaine réservé non point de la communauté chiite, mais d’un chiite bien précis : un raisonnement qui, à leur sainte horreur, devrait logiquement en conduire les auteurs à décréter que Baabda appartient à Aoun, sous prétexte que le verdict des urnes l’a sacré roi des chrétiens! À quand donc cette autre (et toujours insaisissable) forme de courage que requiert le changement, le vrai? Issa GORAIEB
Un martyr de plus que l’on porte en terre, un martyr de trop. Un martyr qui, pourtant, n’est peut-être pas le dernier à payer de sa vie notre indépendance nouvelle. Et c’est précisément cette sombre fatalité, c’est l’impuissance apparente du monde entier à arrêter l’infernale machine à tuer qui, par-delà l’écrasante douleur qu’il suscite, font du sacrifice de Georges...