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Actualités - CHRONOLOGIE

À Wata el-Mousseitbé, les militants pleurent celui qui a donné « une autre dimension » au PCL Georges Haoui, nouvelle victime du terrorisme antilibanais (photo)

Encore un attentat. Georges Haoui, ancien secrétaire général du Parti communiste, a quitté hier à dix heures son domicile, à Wata el-Mousseitbé. Et comme à l’accoutumée, il a pris place au siège passager de sa Mercedes 600 bleu marine, à côté du chauffeur. La voiture a démarré, a roulé quelques centaines de mètres, arrivant au niveau de la station d’essence al-Zouheiri. Soudain un bruit sourd. Il n’y a pas eu de flammes, juste un nuage de fumée. Le véhicule a encore roulé comme un vaisseau fantôme pour finir sa trajectoire, une dizaine de mètres plus loin, sous une grande photo tendue entre deux immeubles sur laquelle Rafic Hariri, souriant, est entre son fils Saad et le chef du PSP, Walid Joumblatt. Sur la banderole, une phrase est imprimée en rouge : « Les fidèles sont à vos côtés. » Une charge explosive, pesant 400 grammes, placée sous le siège de l’ancien secrétaire général du Parti communiste, a été déclenchée par un système de télécommande. L’explosion a tué Georges Haoui (68 ans) sur le coup. Le chauffeur de l’ancien secrétaire général du Parti communiste, Tabet Bazzi, a été très légèrement atteint, contrairement à Georges Haoui, dont la partie supérieure du tronc et la tête n’ont pas été, cependant, très touchées par l’explosion. Il a fallu une vingtaine de minutes aux ambulanciers pour dégager son corps et le transporter à la morgue de l’Hôpital américain de Beyrouth. Les lieux de l’attentat Une terrible odeur vous prend à la gorge. Ici et là, des secouristes et des enquêteurs ramassent – chacun selon sa spécialisation – des restes humains ou des débris métalliques…Ces images sont devenues familières. Dans cette rue commerçante et passante de Beyrouth, seule la Mercedes de Haoui a été endommagée : aucune vitre n’a volé en éclats, aucun cadre de fenêtre ou de porte n’a été soufflé, aucune vitrine abîmée. En face de la station d’essence, on distingue, dans une petite zone cintrée par la police, une petite crevasse de 18 centimètres de diamètre et de 5 centimètres de profondeur. Dans la crevasse, une chaussure noire, celle que Haoui portait. Une dizaine de mètres plus loin, la Mercedes 600 de l’ancien secrétaire général du Parti communiste : le siège à côté du chauffeur a été propulsé vers la gauche. La partie droite du tableau de bord est complètement endommagée. Le pare-brise est effrité. La partie arrière de la voiture n’est pas très abîmée et le contenu du coffre intact. Alors que les témoins racontent l’attentat, les militants de gauche accourent sur les lieux du crime. Ils passent des minutes, immobiles, à fixer, les larmes aux yeux et le visage pâle, la voiture de Georges Haoui. Il leur faut quelques instants pour chuchoter ce que tout le monde pense : « C’est tout à fait comme Samir Kassir. » Sans mot dire et sans demander de l’aide, l’un d’eux grimpe sur un poteau électrique, situé non loin du véhicule endommagé, pour accrocher le drapeau du PC libanais. Les témoins, eux, ne tarissent pas de détails. Ali conduisait sa camionnette, à quelques mètres derrière la voiture de Georges Haoui. « Mon véhicule est intact. J’ai vu la Mercedes s’engager dans la rue, puis c’est comme si elle avait dérapé. L’espace de quelques secondes, j’ai vu la voiture rouler uniquement sur ses roues gauche. Une fumée se dégageait du côté droit… Ensuite la Mercedes s’est arrêtée, son chauffeur est descendu en criant », dit-il. « J’ai vu le chauffeur descendre de la voiture et hurler : “ils l’on tué, ils l’on tué”. Il avait les cheveux brûlés, aucune blessure, mais le sang de Haoui sur ses vêtements, ses bras et son visage », indique un autre témoin. C’est une équipe du Secours populaire, dont la permanence est située dans ce quartier majoritairement habité par des militants de gauche, qui a administré les premier soins à Tabet Bazzi. « Il n’était pas blessé mais en état de choc. Il a été transporté à l’Hôpital américain de Beyrouth », raconte une secouriste. Anouar Yassine : « Il était l’exemple à suivre » Plusieurs personnalités se sont rendues sur les lieux de l’attentat, notamment le secrétaire général de la Gauche démocratique, Élias Atallah, qui avait prévu une réunion avec Haoui dans la matinée d’hier, les députés Ghazi Aridi et Atef Majdalani, les ministres de la Justice et de l’Information, respectivement Khaled Kabbani et Charles Rizk, le secrétaire général du Parti communiste, Khaled Hadadé, le procureur général de la République, Saïd Mirza, ainsi que le chef de la commission internationale d’enquête dans l’assassinat de Rafic Hariri, Detlev Mehlis. Un peu en retrait de la foule d’officiels, de militants et de badauds, un homme, la soixantaine, habitant le quartier, répète comme un automate des bribes d’une histoire : « Il était assis sur le siège passager, il m’a vu au niveau de la station d’essence. Il m’a fait un signe de la main… Et puis… J’ai couru… Il était dans la voiture… C’était fini. » Au bout d’une heure, il décide de quitter les lieux de l’attentat pour se diriger vers la maison de Haoui, où les militants et les officiels avaient commencé à affluer. À l’entrée du bâtiment, un portrait de Raffi Madayan, ancien candidat aux législatives du Metn, et beau-fils de Georges Haoui. Anouar Yassine, ancien prisonnier des geôles israéliennes et qui avait effectué une opération contre les soldats de l’État hébreu alors que Haoui était secrétaire général du Parti communiste, est livide. « J’ai fait sa connaissance quand j’avais 17 ans. Il était l’exemple à suivre… Il n’a jamais arrêté de m’envoyer des lettres et des messages d’encouragement quand j’étais en prison. Il ne m’a jamais oublié. Quand j’ai été libéré et que je suis rentré au Liban, il a été le premier à m’accueillir », dit-il. Au sixième étage de l’immeuble, la famille et les amis reçoivent les condoléances. Au salon, l’épouse de Georges Haoui, Socy Madayan, ophtalmologue, est pâle, silencieuse, et tout habillée de noir. Elle était dans sa clinique, située dans le secteur, quand l’explosion s’est produite. Raffi Madayan, qui s’était rendu à l’AUH avant d’arriver au domicile de son beau-père à Wata el-Mousseitbé, reçoit les officiels qui affluent à la maison, notamment le président de la Ligue maronite Michel Eddé et l’ancien ministre du Tourisme Farid el-Khazen. « La tête bien pleine et le cœur grand » Issam, ancien garde du corps de Haoui, range deux cravates, accrochées au dos d’une chaise, dans l’entrée de l’appartement. Des objets familiers dont la vue provoque les sanglots d’une proche de la famille. « C’est un père, le père du Parti communiste libanais et le mien », indique-t-il. « Il devait partir pour l’Égypte lundi. Je ne sais pas pour quelles raisons, il a remis son voyage à plus tard », dit-il et se souvient : « Je venais de faire sa connaissance quand il m’a reçu une fois dans la cuisine. J’ai été très surpris de le voir en train de faire la vaisselle. Il était présent auprès de tous, affectueux, généreux, sensible. Il avait la larme si facile. La tête bien pleine et le cœur grand. » Et comme pour illustrer ses paroles, il montre une tirelire en forme de maison placée sur la console de l’entrée et portant l’inscription « les familles du Liban soutiennent les familles de Palestine ». « À chaque fois qu’il avait des pièces de monnaie, il les déposait dans cette tirelire », explique Hicham, un camarade de Haoui, qui n’a probablement pas remarqué un calendrier accroché à l’une des armoires de la cuisine ; un calendrier diffusé par l’Unicef et dont la vente « contribue à sauver les enfants d’Irak ». Hicham parle de Georges Haoui, « l’homme qui a donné une autre dimension au PC libanais, qui est à la base de la résistance nationale contre Israël et qui a des contacts avec les révolutionnaires et les opposants du monde entier, de l’Amérique latine au monde arabe ». Hicham, qui a vu la dernière fois Haoui « lors des législatives du Metn, dans sa résidence de Bteghrine », explique pourquoi l’ancien secrétaire général du PC libanais aimait être appelé Abou Anis : « C’était le prénom de son père », dit-il. Installés dans la cuisine, des militants de divers courants de la gauche, tous proches de Haoui, commentent l’attentat : « Ils ne veulent pas de gens modérés dans ce pays, ils refusent que des personnes défendent des idées différentes des leurs. Ceux qui peuvent filer quelqu’un pour le tuer ainsi disposent de grands moyens et d’importantes couvertures », disent certains militants. D’autres reprennent leurs réflexes anti-impérialistes et accusent « les Israéliens et les Américains ». Ils parlent aussi d’un complot que « l’on tisse contre le Liban pour le plonger dans le confessionnalisme et le ramener aux plans de partition ». Un des militants hoche la tête et lance : « C’est le prix à payer pour la victoire aux législatives de Tripoli… Nous avons toujours cru que les Israéliens étaient les criminels par excellence, il y a pire qu’eux, le régime politico-sécuritaire qui sévit dans le pays. » Il marque une pause et indique : « C’est comme Samir Kassir, ils veulent abattre la pensée avec une balle. » Un homme lui coupe la parole : « C’est beaucoup plus important que ça, il faut voir plus loin que le bout de ton nez. » Il n’en dira pas plus. Hicham entre dans la pièce et annonce : « Sit-in aux flambeaux ce soir à 19 heures de tous les courants de l’opposition sur les lieux de l’attentat. » Une militante, recroquevillée sur une chaise et qui n’a pas soufflé mot depuis son arrivée, s’écrie : « Basta ! Jusqu’à quand nous allons allumer des bougies ? » Les filles de Georges Haoui, Nara, établie en Égypte, Lina et Rima, installées en France, devaient rentrer hier en soirée à Beyrouth. Les funérailles de l’ancien secrétaire général du PC, nouvelle victime du terrorisme antilibanais, auront lieu vendredi en l’église Saint-Georges des grecs-orthodoxes du centre-ville. Les camarades de Haoui et les militants suivront le cortège funèbre à pied de l’AUH jusqu’à la place de l’Étoile. Patricia KHODER

Encore un attentat. Georges Haoui, ancien secrétaire général du Parti communiste, a quitté hier à dix heures son domicile, à Wata el-Mousseitbé. Et comme à l’accoutumée, il a pris place au siège passager de sa Mercedes 600 bleu marine, à côté du chauffeur. La voiture a démarré, a roulé quelques centaines de mètres, arrivant au niveau de la station d’essence al-Zouheiri....