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Actualités - CHRONOLOGIE

Une défaite qui ravive toutes les blessures de la guerre À Zghorta, le clan Frangié vit pour la première fois les aberrations de la loi électorale (photo)

Très peu de Zghortiotes ont dormi dans la nuit de dimanche à lundi. Certains ont fait discrètement la fête, d’autres étaient sous le choc de la défaite. Hier matin, les rues de Zghorta, chef-lieu du caza, étaient presque désertes. L’armée s’est déployée aux entrées nord et sud de la ville ainsi qu’au niveau de quelques croisements routiers, pour prévenir tout débordement. C’est que plus d’un ont eu peur des réactions qu’aurait pu provoquer la défaite de Sleimane Frangié aux législatives du Liban-Nord. Mais Zghorta a réussi à préserver son calme et ce grâce à l’attitude adoptée par les chefs des deux listes opposées. Nayla Moawad ayant encouragé ses supporters à faire la fête loin des rues principales de la localité, notamment à proximité de sa propre résidence, et Sleimane Frangié ayant appelé ses fidèles au calme. Mais une promenade dans la rue principale suffit pour mesurer les dissensions au sein de la ville. Ici la frontière est bien dessinée : dans une partie de la rue poussent les portraits de l’ancien ministre de l’Intérieur et les drapeaux des Marada, dans l’autre les images, les slogans et les symboles de l’opposition, Nayla Moawad, Samir Frangié et Jawad Boulos. Les Zghortiotes des deux bords ne se leurrent pas : Sleimane Frangié (20 400 votes à Zghorta) et ses colistiers Stéphane Doueihi et Sélim Karam ont remporté la majorité des voix du caza mais ne siègeront pas au Parlement, contrairement à Nayla Moawad (10 841 votes à Zghorta) et ses deux colistiers, qui ont remporté trois sièges à la Chambre grâce au vote des électeurs musulmans de la circonscription II, notamment Tripoli et Minié. La joie des supporters des deux représentants du Rassemblement de Kornet Chehwane est discrète. Samira se dit « heureuse » et explique que « tous les enfants de Zghorta ont gagné ; Sitt Nayla et Samir Bey siègeront au Parlement, Sleimane Bey lui est premier du caza… Que Dieu préserve Zghorta de la discorde et des dissensions ». Milad prend la parole et indique : « Nous sommes tous frères, et le sang de tous les fils de Zghorta a été versé durant la guerre. La ville a donné un martyr pour tout le pays, René Moawad. » « Hier, c’est la convivialité et la tolérance qui ont triomphé », dit-il. Dans les épiceries et les cafés voisins, on évoque le pouvoir des familles à Zghorta, on parle d’un clan qui a voulu durant des années « annuler » tous les autres, et l’on fait l’éloge de la convivialité accusant parfois les membres de l’autre liste de sectarisme. Étrange car, à quelques dizaines de mètres de là, les supporters de Sleimane Frangié dénoncent, eux aussi, le sectarisme de la liste gagnante et « les voix chrétiennes qui ne pèsent plus dans la balance électorale ». Il a fallu treize ans après les premières législatives d’après-guerre en 1992 et la chute de leur leader dimanche pour que ces fervents maronites du Liban-Nord se sentent aussi marginalisés que les chrétiens de Jezzine, de Zahrani, de Bécharré, de Baalbeck… Les Marada, futur parti politique ? Dans cette partie de la rue principale, dans les cafés, les épiceries et les magasins on dénonce – documents, images et noms à l’appui, « l’argent versé par Hariri pour l’achat des voix tripolitaines, les appels dans les mosquées pour voter avec la liste du Courant du futur et contre ceux qui ont porté les armes durant la guerre, ainsi que les pressions exercées sur les scrutateurs de Sleimane Frangié à Minié et dans certains quartiers de Tripoli ». À la terrasse d’un café, des ingénieurs et des avocats, tous appartenant aux Marada, discutent. Ils n’ont pas dormi de la nuit et ne se sont pas rendus à leur travail à Tripoli car « l’âme n’y est pas ». Ici, il suffit d’un mot pour que toute l’histoire et les blessures de la guerre remontent à la surface. La raison est simple : les voix du caza n’ont pas pesé lourd et ces chrétiens vivent leur première défaite depuis la fin des années soixante-dix. François explique : « Nous nous sommes défendus durant la guerre. Dès les accords du Caire, nous étions préparés pour la lutte. Nous avons voulu nous protéger à l’instar de tout le monde. Nous avons été les premiers à remettre les “ports illégaux” au gouvernement, c’était en 1988 avec le port de Salaata. » Et de poursuivre : « Nous avons remis nos armes à l’État, les Marada sont devenus une association sociale qui s’occupe principalement de la santé et de l’éducation », relevant que Frangié pense déjà à la formation d’un mouvement politique, l’association sociale devenant un parti structuré. « Peut-être que le nom sera modifié car il pourrait faire peur à certains », relève Tony qui explique fièrement cependant que « le drapeau des Marada représente un cèdre frappé d’une croix, d’une épée et de deux foudres, en signe de puissance absolue ». « Personne ne peut nous anéantir. Et ce n’est pas la députation qui fait les zaïms », conclut-il. Dans un supermarché du quartier, Jean est encore plus amer : « Ils accusent Sleimane Frangié d’être le pion des Syriens. Il n’y a jamais eu une permanence des SR syriens, un barrage syrien ou un siège du parti Baas à Zghorta. Depuis les années soixante-dix, notre relation avec eux était une relation d’égal à égal », indique-t-il. « Nous sommes géographiquement proches des Syriens. Il fallait bien trouver une solution pour protéger les chrétiens du Akkar et de Zghorta durant la guerre », lance-t-il, ajoutant : « Nous avons toujours défendu le Liban et lutté pour son indépendance depuis 1928, quand Kabalan Frangié a été élu député au nez et à la barbe du Mandat français. » Triste et pesante était hier l’atmosphère dans ce quartier de Zghorta. Triste parce qu’en temps de guerre ou de paix, qu’ils aillent au front ou qu’ils se présentent aux législatives, les chefs chrétiens n’ont jamais pu s’entendre entre eux, ayant pour priorité leur leadership et non les principes qu’ils affirment défendre. Pesante parce que cette atmosphère est chargée d’un passé trop lourd que beaucoup d’habitants chrétiens du Liban-Nord – qu’ils soient de Batroun, de Zghorta ou de Bécharré – ne parviennent pas à oublier. Triste et pesante, parce qu’elle met le doigt sur les blessures de toute une communauté qui, jusqu’à présent, n’a probablement jamais été unie sur une même victoire ou même une défaite. Patricia KHODER

Très peu de Zghortiotes ont dormi dans la nuit de dimanche à lundi. Certains ont fait discrètement la fête, d’autres étaient sous le choc de la défaite. Hier matin, les rues de Zghorta, chef-lieu du caza, étaient presque désertes. L’armée s’est déployée aux entrées nord et sud de la ville ainsi qu’au niveau de quelques croisements routiers, pour prévenir tout débordement....