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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Après la tempête

Le premier Parlement de l’ère postsyrienne a ceci de particulier qu’il rend justice certes au sang du martyr Rafic Hariri mais qu’il ne répond pas trop, pour autant, aux vœux et attentes des foules libanaises. Lesquelles, en se révoltant contre la tutelle étrangère, en prenant part massivement et sans distinction d’appartenance partisane, religieuse ou autre, à la marche pour l’indépendance nouvelle, avaient surtout plébiscité une idée, elle aussi nouvelle, du Liban. Constater ce fait, le regretter, ce n’est pas jouer les rabat-joie ni les oiseaux de mauvais augure ; ce n’est pas ignorer plus d’un aspect positif des législatives clôturées dimanche, mais pousser à la roue d’un changement dont se réclament paradoxalement, à l’unisson, toutes les vedettes de ce véritable superbowl électoral. Le sunnite Saad Hariri sultan du Nord après Beyrouth, Berry et Nasrallah se partageant en pool les terres chiites, le druze Walid Joumblatt maître du Chouf et des marches du Chouf, Michel Aoun roi du Marounistan : ce n’est plus le Liban nouveau, mais le Liban tout court qui reste à refaire. Chassez le confessionnel, comme on l’a fait avec ferveur place de la Liberté, il revient au triple galop : par la voie des urnes cette fois ; et donc frappé du sceau d’une démocratie saluée par le secrétaire de l’Onu et les puissances occidentales, de même que par les observateurs internationaux qui ont suivi sur place cette consultation populaire. Et qui ont assorti, eux, leurs bravos de salutaires réserves. Car pour commencer il ment outrageusement, surtout en période électorale, l’adage voulant que l’argent n’a pas d’odeur : les narines étrangères ne s’y sont d’ailleurs pas trompées. Et puis il ment de manière plus grave encore, ce système électoral non exempt de manipulations et dont l’urgence d’une refonte a été vigoureusement soulignée hier par les mêmes observateurs. On ne l’a que trop répété : censées régenter le brassage des communautés, favoriser l’élection des élites modérées et barrer donc la voie à tous les extrémismes, les lois électorales de l’après-Taëf n’ont fait qu’entretenir ces mêmes et vieux démons qu’elles prétendaient chasser. S’appliquant en réalité au seul électorat chrétien, elles ne pouvaient qu’engendrer, au fil des législatures, frustration et déséquilibre. Ce ras-le-bol ne pouvait que conduire au fameux tsunami du 12 juin au Mont-Liban qui permettait à Aoun de forcer le club trop fermé des grands électeurs : laquelle tornade, à son tour et par une atavique réaction en chaîne, appelait inévitablement les vents sunnites à souffler avec une force sans précédent sur le Nord. Pour le quatrième dimanche consécutif, les travers du système bancal sont apparus au grand jour. Le reconnaître honnêtement, exiger sans relâche l’élaboration d’une loi électorale effectivement adaptée aux structures du pays, ce n’est certes pas, une fois de plus (et bien au contraire !), se chagriner du retour du fringant lion de Tripoli Mosbah Ahdab ; de la réélection de Nayla Moawad et de Boutros Harb, de l’entrée on ne peut plus méritée au Parlement de Samir Frangié qui viennent replacer sur la carte politique le Rassemblement de Kornet Chehwane décapité au Metn et au Kesrouan-Jbeil. Ce n’est pas non plus s’étonner de la déferlante affective musulmane, habilement travaillée au demeurant par le clan Hariri, qui a sanctionné durement Omar Karamé et son ministre de l’Intérieur Sleimane Frangié pour leur gestion du séisme du 14 février. Loin d’être sans taches, ces législatives se sont finalement déroulées dans un calme contrastant, Dieu merci, avec la férocité des invectives échangées par les camps ennemis. Elles ont montré, en outre, de la part du gouvernement de transition de Nagib Mikati, un degré d’impartialité bien rare dans nos annales. Malgré l’exacerbation des menées sectaires enfin, malgré l’arraisonnement des fiefs territoriaux, ces élections ont donné à voir – phénomène nouveau – des courants politiques transcendant les limites des mohafazats : le courant Hariri bien sûr, mais aussi un courant Aoun qui se veut national et qui, sans atteindre ses objectifs, a marqué des points importants dans plus d’une circonscription à population mixte. Alors que retombe la poussière de la bataille, le devoir d’optimisme et d’espérance commande de croire, avec bonne foi mais sans naïveté excessive, aux perspectives de changement, aux volontés de changement affichées de toutes parts. Puissent les vainqueurs du jour tenir leurs promesses, nantis qu’ils sont aujourd’hui d’une majorité qui, pour être des plus confortables, ne les autorise pas fort heureusement, pour autant, à verser dans le despotisme démocratique. Saad Hariri a donné le ton hier, et tendu la main. Refuser d’emblée le dialogue et la coopération en vue d’un Liban meilleur pour tous c’est, pour l’opposition nouvelle, faire figure de mauvais perdant. Se cantonner dans le sarcasme, persister à nier la représentativité de l’adversaire pourtant consacrée par le même et souverain verdict des urnes, c’est être cette fois bien mauvais gagnant.

Le premier Parlement de l’ère postsyrienne a ceci de particulier qu’il rend justice certes au sang du martyr Rafic Hariri mais qu’il ne répond pas trop, pour autant, aux vœux et attentes des foules libanaises. Lesquelles, en se révoltant contre la tutelle étrangère, en prenant part massivement et sans distinction d’appartenance partisane, religieuse ou autre, à la marche pour...