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Actualités - CHRONOLOGIE

Rencontre élargie - Les représentants du courant aouniste quittent la réunion et Joumblatt les considère hors de l’opposition La Rencontre du Bristol réclame la démission de Lahoud et appelle à une grève générale aujourd’hui

Appel à une grève générale, volonté d’utiliser tous les moyens démocratiques pour obtenir la démission du président Émile Lahoud et attachement à la poursuite du processus électoral aux dates prévues… Mais aussi divorce définitif avec le général Michel Aoun, tels sont les points importants de la réunion extraordinaire de l’opposition à l’hôtel Bristol hier soir. Désormais, les démarcations sont donc claires. Entre le courant aouniste et les autres membres de la Rencontre du Bristol, la rupture est officialisée. La réunion d’hier soir aurait dû être celle de la solidarité et du deuil, à la suite de l’odieux assassinat de notre confrère Samir Kassir. Elle a été celle d’un débat souvent houleux, entre d’une part les représentants du général Aoun et d’autre part les autres membres de l’opposition. Gebrane Bassil et Michel de Chadarévian, représentant le CPL, se sont retirés avant la fin de la réunion (même si Élias Zoghbi est resté jusqu’au bout), affirmant qu’ils ne font plus partie de ce rassemblement et qu’ils rejettent le contenu du communiqué final. Lequel communiqué a appelé à une grève générale aujourd’hui. Précisant que la seule réponse à ce crime est la poursuite de « l’intifada de l’indépendance », il a aussi réclamé la démission du président Émile Lahoud, qui protège, selon les présents « les services de sécurité libano-syriens et les lambeaux du régime policier branlant » qui favorisent les attentats. Le communiqué a d’ailleurs promis d’utiliser tous les moyens démocratiques à la disposition de l’opposition pour obtenir cette démission, tout en réaffirmant son attachement à la tenue des élections aux dates prévues. Durcissement d’un côté, lâchage de l’autre, l’assassinat de Samir Kassir a ainsi été la goutte d’eau qui a fait éclater l’opposition déjà sérieusement ébranlée par les considérations électorales, notamment depuis le retour du général Michel Aoun. « Lahoud couvre ce système sécuritaire pourri » D’ailleurs, les mines allongées des personnalités à leur arrivée à l’hôtel en disaient déjà long sur la suite des événements. Premier arrivé, le député Marwan Hamadé, visiblement très éprouvé. Sans doute revit-il à chaque nouveau crime l’attentat qui a failli lui coûter la vie, et il n’arrive plus à cacher sa révolte contre l’utilisation de ce genre de procédés. Comme si la série noire ne devait jamais finir. « Cela continuera tant que la tête restera à Baabda. Cela fait des années que Lahoud couvre tout ce système pourri et criminel. Il faut que cela cesse. Il faut marcher sur Baabda », lance-t-il aux journalistes, avant de s’installer à une table en attendant l’arrivée de ses compagnons. Aux alentours de 19h, le défilé s’accélère, perturbé par l’organisation d’un autre défilé, de mode celui-là, dans l’un des salons de l’hôtel, avec son cortège de femmes élégantes. Mais les participants à la réunion du Bristol n’ont pas le cœur à plaisanter ce soir-là. Même en voyant un hurluberlu portant des lunettes noires qui se précipite vers chaque visage célèbre pour lui demander un autographe et poser pour une photo avec sa vedette. Les députés de la Rencontre démocratique, Nassib Lahoud et Camille Ziadé, Dory Chamoun et Élias Abou Assi, Solange et Nadim Gemayel, Amine et Pierre Gemayel, Gebrane Tuéni, les traits tirés et le regard figé, les députés de Beyrouth, Farès Boueiz, Nayla et Michel Moawad, les membres de Kornet Chehwane, Carlos Eddé, Élias Atallah, les yeux rougis par les larmes, Eddy Abillama et Antoine Habib, pour les FL, Nazem Khoury et, bien sûr, Walid Joumblatt, le visage plus fermé que jamais, et Saad Hariri sous bonne escorte… Ils sont tous venus, presque spontanément, comme lors du 14 février de si triste mémoire, où ils s’étaient retrouvés à Koraytem. L’atmosphère est solennelle et les visages graves. Les membres du Rassemblement du Bristol pressentent que cette réunion sera houleuse et qu’elle aura des conséquences importantes sur la suite des événements. Ils s’installent autour de la table en forme d’énorme carré, sans avoir le cœur d’échanger les plaisanteries habituelles. Saad Hariri et Walid Joumblatt sont côte à côte, mais silencieux. Les représentants du courant aouniste, Gebrane Bassil, Michel de Chadarévian et Élias Zoghbi arrivent en retard. Mais dès qu’ils se sont assis, le véritable débat commence. « Comme des accusés devant un tribunal » À leur sortie de la réunion près d’une heure après son début, Gebrane Bassil et Michel de Chadarévian racontent qu’ils se sont sentis comme des coupables comparaissant devant un tribunal. Les critiques ont plu sur eux, venant entre autres de Ghazi Aridi, Nayla Moawad, mais nul n’a cherché à les soutenir. Ils se sont sentis isolés, comme si les autres membres de l’opposition « avaient profité de cet assassinat pour nous mettre au banc des accusés », disent-ils. Pour les aounistes, l’odieux crime qui a causé la mort de Samir Kassir – qu’ils considèrent comme un des leurs, puisqu’il avait été un des premiers journalistes à critiquer ouvertement le régime syrien –, est « un acte sécuritaire et non un assassinat politique ». « À l’heure où l’opposition tient les rouages du pays, nous sommes venus demander aux ministères de l’Intérieur et de la Justice et aux services qui leur sont rattachés d’accélérer l’enquête pour découvrir les auteurs du crime. Les criminels ne doivent plus rester impunis, comme au temps de l’occupation syrienne. Les services, tenus désormais par l’opposition, doivent accomplir leur devoir. Mais il n’est pas permis d’utiliser le sang de Samir Kassir pour obtenir des acquis politiques. Nous pensions d’ailleurs que cette tragédie devait unir les Libanais. Et nous sommes venus à cette réunion, en signe de solidarité, non pour parler des élections », affirme M. Bassil. Ce qui a surtout mis hors d’eux les représentants du courant aouniste, c’est ce qu’ils appellent la volonté des autres de les pousser à renoncer à leurs alliances électorales. « Ils nous ont pratiquement adressé un ultimatum en nous disant : vous ne pouvez pas continuer à nouer des alliances électorales avec les symboles d’un régime qui est responsable de la mort de Kassir, confie encore Gebrane Bassil. Mais le président Berry auquel Walid Joumblatt a rendu visite en lui promettant la présidence du nouveau Parlement n’est-il pas lui aussi un des symboles de ce même régime ? Cette classification est inacceptable. Et on n’a pas le droit de profiter d’un crime aussi odieux pour des objectifs électoraux. Cela suffit d’abuser les gens. » De leur côté, les autres membres de l’opposition sont tout aussi sévères à l’égard du courant aouniste. Selon certains d’entre eux, depuis le début le général Aoun est venu renflouer le régime prosyrien et diviser l’opposition. Il veut être le seul chef et a des exigences inacceptables. « Tant pis pour lui s’il veut faire cavalier seul, quitte à se rapprocher des Syriens. Au moins, maintenant les choses sont claires. » Les membres de l’opposition voient dans l’attitude du général Aoun une volonté évidente de défendre le président Lahoud, alors que les représentants du courant aouniste affirment de leur côté qu’aujourd’hui la priorité est à la tenue des élections. « Nous avions convenu de laisser la question de la présidence de la République au nouveau Parlement. Pourquoi veut-on aujourd’hui modifier les accords ? Juste pour utiliser le drame en période électorale ? » Bassil affirme ne pas être sûr que l’assassinat de Samir Kassir soit le moment idéal pour ouvrir la bataille de la présidence. « Le sang de Samir Kassir n’a pas encore séché et on veut déjà faire des calculs politiques. » Mais toutes ces accusations sont rejetées par les membres de l’opposition. La plupart d’entre eux ont multiplié les critiques à l’égard du général, avant de quitter l’hôtel. En quelques mots, Walid Joumblatt a résumé la situation : « Ceux qui considèrent que l’assassinat de Samir Kassir est un acte sécuritaire et non politique s’excluent de l’opposition. Dès le début, nous avions réclamé le départ de Lahoud. Mais il est resté. Et le prix de son maintien a été l’assassinat de Rafic Hariri, la tentative d’assassinat contre Marwan Hamadé et l’assassinat de Samir Kassir. Si nous attendons encore, il y aura peut-être d’autres victimes dans les rangs de l’opposition, la vraie, et non celle qui vient après avoir conclu des accords avec le pouvoir. » Joumblatt ajoute : « Il n’y a pas de compromis, ni de demi-solutions avec le pouvoir, dans tous ses symboles, et à leur tête Émile Lahoud. Il ne peut y avoir d’accord avec eux, comme celui conclu par ceux-là qui se sont transformés en cheval de Troie. Avec ce pouvoir, c’est soit eux qui nous tuent, soit nous qui les tuons. » De son côté, cheikh Amine Gemayel affirme, en quittant les lieux : « Il faut préserver l’esprit du 14 mars. L’opposition doit rester unie pour éviter que les symboles de l’ancien régime et les services de sécurité ne puissent semer encore la mort. » L’un après l’autre, les membres de l’opposition quittent l’hôtel Bristol, le visage encore plus fermé qu’à leur arrivée. À l’entrée de l’hôtel, un poster de Samir Kassir « martyr de “l’intifada de l’indépendance” » est déjà collé sur un panneau. En quelques secondes, il a basculé dans l’autre camp, celui des personnes dont on se souviendra, dont on saluera la mémoire, mais qui sont parties trop tôt, trop injustement. Scarlett HADDAD
Appel à une grève générale, volonté d’utiliser tous les moyens démocratiques pour obtenir la démission du président Émile Lahoud et attachement à la poursuite du processus électoral aux dates prévues… Mais aussi divorce définitif avec le général Michel Aoun, tels sont les points importants de la réunion extraordinaire de l’opposition à l’hôtel Bristol hier...