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Actualités - OPINION

Paroles dégelées

L’histoire est racontée dans un texte de Rabelais. C’est celle d’un groupe de personnes, qui entendent des voix, et ne repèrent pas leur provenance. Elles comprennent alors que ce sont les paroles de gens qui les ont précédés, et qui ont été gelées par le froid. Avec le retour du printemps, leurs paroles sont dégelées, on peut les entendre de nouveau. C’est au mouvement militant pour la paix et le respect des droits de l’homme dans notre pays que me renvoie ce texte. À la lutte, organisée, institutionnalisée, avant et pendant la guerre. Multiples institutions : parti démocrate, force de propositions regroupant des hommes et des femmes de toutes les confessions et de toutes les régions du Liban, réclamant la laïcité du pays, sa modernisation et des mécanismes démocratiques. Réclamant en paroles, en dossiers et en actions. Proposant des visions et des projets pour tous les champs de la vie publique : santé, éducation, environnement et autres. Front du Liban uni pour le changement, Association libanaise des droits de l’homme, Mouvement de non-violence, Mouvement social, Offre-joie et tant d’autres. Multiples initiatives de la société civile pendant la guerre : campagne de signatures pour la paix et l’unité nationale, gigantesque référendum rassemblant 70 000 signatures, soit plus que le nombre de miliciens, marche organisée par le Mouvement de non-violence et l’Association des handicapés, du Liban-Nord au Liban-Sud, cinq jours durant, sit-in de nuit au Musée bravant les bombes et les francs-tireurs, échange de sang entre les régions libanaises, chaine humaine sur les « lignes de démarcation », que l’on nomme d’ailleurs en arabe « lignes de rencontre », démantèlement des barricades, et tant d’autres. Des hommes et des femmes, de façon institutionnelle ou individuelle, n’ont cessé de témoigner et de militer, au prix de leur vie, pour que le Liban soit une terre des droits de l’homme. Au prix de leur vie ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont morts, mais qu’ils ont vécu pour ce projet « modeste et fou ». Qu’ils y ont consacré leur énergie et le temps qu’ils avaient à vivre. Ce courant, présent bien avant la guerre et que celle-ci n’a pas arrêté, fait aussi partie de notre mémoire collective, de notre patrimoine et de notre culture. Nous devons en écrire l’histoire, afin de nous en nourrir, afin de consolider le « printemps », et lui donner des assises. Nous devons en écrire l’histoire, afin de comprendre que le changement exige du souffle, et ce que l’on a semé fleurit un jour, même si nous ne sommes plus là pour le voir. Nous devons en écrire l’histoire, pour que nos jeunes sachent qu’ils ont des « pères », des « re-pères », sur lesquels ils peuvent s’appuyer. « – Comment va-t-on construire cette maison-là ? Qui va poser les portes, alors qu’il y a peu de bras et que les pierres sont insoulevables ? – Tais-toi ! Les mains prennent de la force en travaillant et leur nombre s’accroît. Et n’oublie pas que la nuit, les morts aussi nous aident », écrit Yannis Ritsos. « L’espérance est un devoir », pensaient Joseph et Laure Moghaizel. On comprend mieux maintenant ce que cela veut dire. Elle est aussi un droit, a-t-on envie d’ajouter. Un droit que nous assurons à nos jeunes en leur transmettant aussi cette partie de leur histoire, cette tradition démocratique, car l’espérance se construit en lien avec le passé. Elle est une prise de conscience, que « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas, mais parce que nous ne les faisons pas qu’elles sont difficiles », comme l’a dit Sénèque, il y a si longtemps… Nada MOGHAIZEL-NASR

L’histoire est racontée dans un texte de Rabelais. C’est celle d’un groupe de personnes, qui entendent des voix, et ne repèrent pas leur provenance. Elles comprennent alors que ce sont les paroles de gens qui les ont précédés, et qui ont été gelées par le froid. Avec le retour du printemps, leurs paroles sont dégelées, on peut les entendre de nouveau. C’est au mouvement...