Rechercher
Rechercher

Actualités

Laissez-nous notre 14 mars

Pour nombre de Libanais à l’étranger (mais aussi au Liban), les évènements des dernières semaines ont été très décevants, même s’ils recèlent toujours, et heureusement, un zeste d’espoir pour un avenir meilleur. Nous avions suivi les manifestations après l’assassinat du martyr Rafic Hariri, et avec passion (et frustration pour ceux d’entre nous qui n’ont pu y participer) les élans de nationalisme et de réconciliation du 14 mars. Et maintenant, nous assistons au débridement de toutes les aspirations d’unité auxquelles nous avions cru. Imaginez les résultats de la retranscription de ce jour historique au niveau d’alliances parlementaires réunissant tous les partis et mouvements politiques libanais. Imaginez son impact au niveau des psychologies collectives libanaise, syrienne, moyen-orientale et arabe en général. Quel ultime et magnifique cadeau nos dirigeants nous auraient offert… Eh bien non ! Et tant pis pour les idéalistes. À peine le dernier Syrien sorti (et encore…), on assiste à la résurgence des bonnes vieilles méthodes d’avant 1989, voire d’avant-guerre. Au lieu de l’unité, on nous offre des accusations de trahison avec, en prime, un général qui, à peine rentré, se proclame libérateur unique. Triste ironie d’un triste sort. On en vient à regretter d’avoir la plus libre des presses du Moyen-Orient pour ne pas avoir à se désoler tous les jours devant ses titres. On en vient à regretter nos « origines glorieuses » et notre qualité de point de rencontre de l’Orient et l’Occident, réunissant le meilleur des deux civilisations. Ne sommes-nous pas en réalité une réunion de tribus et de communautés aux allégeances aussi diverses que frivoles, dont la conjonction des intérêts de leurs dirigeants a un jour fait naître un pays. Depuis, celui-ci s’est évertué à se construire une identité restée chimérique mais qui a été vendue à la terre entière. Le Liban union de ses communautés, le Liban message ? Message apparemment oublié par ses propres porteurs. Or il nous a fallu encore une tragédie pour qu’on se rappelle et qu’on revive cette triste réalité, et qu’on reparte à la recherche de notre identité, si justement surnommée meurtrière. Est-ce finalement dans la violence que doit naître ce Liban message ? Est-ce dans le sang qu’on doit apprendre à vivre ensemble, en paix ? Quelle paix, et à quel prix? Les combats électoraux d’aujourd’hui ne sont qu’une répétition des guerres qui nous ont déchirés mais qui ne nous ont apparemment pas appris à oublier nos peurs collectives les uns des autres (et la faute n’incombe pas qu’aux Syriens, n’en déplaise à certains). La vérité qu’on réclame, à l’instar de celle, impérative, qui concerne le meurtre de Rafic Hariri, n’est-elle pas aussi celle qui nous concerne tous, ainsi que les générations à venir ? La vérité, pourtant, est aussi claire que la lumière du jour. La vérité est que le retrait syrien n’aurait pu avoir lieu sans l’addition des voix musulmanes et celles des chrétiens de ce pays. C’est-à-dire l’union pure et simple des Libanais, cette union de forces non partisanes, découlant d’un sentiment d’humiliation qui a transcendé les divisions religieuses, politiques et tribales. La vérité est que les Libanais sont un peuple qui aspire à une vie paisible et libre, dans le respect des autres, et qui ne se rappelle de ses différences que lorsque ses composantes communautaires se souviennent qu’elles ont des dirigeants. La vérité est que ces clivages ne sont réellement pas les nôtres mais le produit des éternels chocs idéologiques et des aspirations politiques des grandes familles spirituelles et féodales de ce petit pays. La vérité est que nous en avons assez ! La guerre a-t-elle eu lieu pour rien? N’avons-nous pas donné assez de martyrs ? Les Syriens sont-ils sortis pour rien ? Toutes ces larmes, ce sang répandu, pour rien ? Sommes-nous partis pour revenir un jour, pour rien ? À tous les dirigeants, à tous les responsables de partis, à tous les religieux, les intellectuels, les journalistes et les académiciens, à tous les férus de diatribes et aux amoureux de l’identité libanaise, opposants et loyalistes confondus, pro ou pas, je dis : vous avez eu votre 13 avril 1975, laissez-nous notre 14 mars 2005. Vous avez eu trente ans pour débattre de vos différends et vous mesurer ; nous en voyons aujourd’hui le résultat. Laissez-nous la jouissance de ce jour où tout le Liban s’est réuni pour crier non à la honte et oui à la paix et la coexistence dans le respect, c’est-à-dire à l’unité nationale, la vraie. Rabih BLEIK

Pour nombre de Libanais à l’étranger (mais aussi au Liban), les évènements des dernières semaines ont été très décevants, même s’ils recèlent toujours, et heureusement, un zeste d’espoir pour un avenir meilleur. Nous avions suivi les manifestations après l’assassinat du martyr Rafic Hariri, et avec passion (et frustration pour ceux d’entre nous qui n’ont pu y participer)...