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Actualités - ANALYSE

Eclairage Unique enjeu dans la capitale : la participation en général, la mobilisation chrétienne en particulier Le fantôme de Rafic Hariri occupera demain chaque isoloir

Dans quelle mesure les 420 630 Beyrouthins inscrits sur les listes électorales iront voter demain ? Et si oui, pourquoi et pour qui voteront-ils ? Pour la pleine liste menée par un Saad Hariri visiblement paniqué par l’éventualité d’un absentéisme record ? Pour essayer de ranimer le souvenir, déjà fugace, d’un 14 mars aujourd’hui déliquescent ? Pour marquer le coup, en faveur (ou en défaveur) de tel ou tel des 10 candidats (sur 19) pas encore élus d’office ? Pour contester, tout simplement, s’élever contre un fait accompli, une carence d’émulation, d’enjeux, donc de démocratie ? Pour prouver que le changement, c’est par une Beyrouth arc-en-ciel (Saad-Solange-Gebrane-Cherry du Hezbollah-Eido-Aridi-Tabbarah et les autres) qu’il commence ? Pour « tirer une balle en plein cœur des assassins » du 14 février ? Non. Rien de tout cela. Les Beyrouthins qui se déplaceront demain ne voteront, dans leur écrasante majorité, captifs passionnés ou citoyens rationnels, que pour un seul candidat, soit en utilisant leurs neurones, soit leurs ventricules : le fantôme, omnipotent, démiurge, de Rafic Hariri, qui se démultipliera dans les 780 bureaux de vote. C’est là, justement, que se trouve le seul enjeu de ce premier dimanche électoral : dans le taux de participation. Le fantôme qui a tout écrasé sur son passage dès le 14 février pourra-t-il faire comprendre aux Beyrouthins que ce n’est pas parce que les dés sont jetés que tout est joué ? En 2000, sur les 397 553 Beyrouthins inscrits, seuls 141 730 d’entre eux avaient jugé nécessaire de s’exprimer. Soit un taux conforme certes aux humeurs de la capitale depuis des décennies, mais atrocement rachitique : 35,7 %. Et pourtant… Ce n’étaient pas les challenges qui manquaient à l’époque : une loi mijotée dans les cuisines communes de Anjar et de Baabda et principalement destinée – malgré les rumeurs à l’époque autour d’une intervention divine de dernière minute des SR en faveur de Rafic Hariri – à empoisonner le maître-martyr de Koraytem ; une campagne médiatique tous azimuts de dénigration contre ce dernier ; la présence en lice de figures beyrouthines de premier plan (Hoss, Salam, Sassine, mais aussi Beydoun, Naaman, Dédéyan, les Tachnag…), etc. Ce chiffre – 35,7 % – focalisera dès dimanche soir toutes les attentions, entraînera dès le lendemain pas mal d’interprétations. La mobilisation chrétienne Qui – ou quoi – pourrait faire progresser ce taux ? En un mot comme en cent, ce sera, surtout, l’électorat christiano-chrétien traditionnel. Parce que, dans chaque quartier de chaque circonscription, les électeurs musulmans (surtout les sunnites, mais aussi les chiites) avaient été, en 2000, les plus civiques. Les taux de participation musulmans parlent d’eux-mêmes : 47,4 % à Achrafieh contre 28,8 % pour les électeurs chrétiens ; 53,1 % contre 24,1 % à Mazraa ; 49,5 % contre 19,4 % à Mousseitbé ; 44,7 % contre 10,5 % à Bachoura ; 39,9 % contre 15,6 % à Zokak el-Blatt ; 53,7 % contre 12 % à Ras-Beyrouth ; 48,3 % contre 22,4 % à Medawwar ; 50,9 % contre 11,8 % à Aïn el-Mreïssé ; 39,2 % contre 8,3 % au Port ; 50,6 % contre 14 % à Mina el-Hosn. Chiffres encore plus frappants : dans les fiefs à 100 % chrétiens, le taux de participation est tout aussi ridicule. Ainsi, seuls 18,2 % des inscrits avaient voté à Saïfi en 2000, et 17,2 % à Rmeil. Cette indifférence très politique de l’électorat chrétien, due principalement à un sentiment très fort de ne pas être véritablement représenté, ni à Beyrouth ni sur le plan national entre 1992 et 2005, sera-t-elle compensée par la présence à part entière sur la liste Hariri d’un symbole avant tout chrétien par excellence et d’un homme connu pour son opposition farouche à l’ex-tuteur syrien et à ses sbires libanais ? Solange Gemayel et Gebrane Tuéni pourront-ils dynamiser la mobilisation de leur électorat ? Seul problème : l’une a été élue d’office, et l’autre a en face de lui Khalil Broummana, un candidat qui n’avait obtenu, en 2000, que 3 455 voix, alors que Béchara Merhej, aujourd’hui exclu de la liste Koraytem, avait récolté 28 067 voix. Mais l’un et l’autre ont leurs aficionados : à la place de la veuve du président martyr, il y avait, il y a cinq ans, Ghattas Khoury, qui n’avait aucune légitimité chrétienne à l’époque – ou si peu –, et à la place du PDG d’an-Nahar, il y avait Atef Majdalani, qui souffrait de la même carence. Khoury avait pourtant obtenu 29 717 voix, et Majdalani 32 807. Si l’on envisage la chose par circonscriptions, et à l’aune d’un découpage abracadabrantesque, c’est Beyrouth III (Zokak el-Blatt, Ras-Beyrouth, Medawwar, Aïn el-Mreïssé, Port, Mina el-Hosn) qui avait obtenu, en 2000, la palme de l’absentéisme, avec 31,8 % contre 40,2 % à Beyrouth I (Achrafieh, Saïfi, Mazraa) et 35,3 à Beyrouth II (Mousseitbé, Bachoura, Rmeil). Les chiites de Zokak el-Blatt (15 427 inscrits) n’avaient voté qu’à 35,3 %, les grecs-orthodoxes de Ras-Beyrouth (4 455 inscrits) qu’à 14,7 %, les arméniens-orthodoxes de Medawwar (26 014 inscrits) qu’à 23,9 %, et les juifs de Mina el-Hosn qu’à 0,1 % (5 sur les 5 066 inscrits), évidemment. Quant à la participation de l’électorat arménien, malgré l’élection d’office de ses 4 candidats, tous non Tachnag, elle sera également intéressante à analyser au lendemain du 29 mai. Les duels À Beyrouth I, Michel Pharaon (il avait été le seul, en 2000, à récolter les voix arméniennes) pour le siège grec-catholique, Solange Gemayel pour le siège maronite et Bassem Chab pour le siège protestant ont été élus d’office. Gebrane Tuéni croisera le fer avec Khalil Broummana pour le siège grec-orthodoxe. Enfin, pour les deux sièges sunnites, Saad Hariri et Ammar el-Houry seront opposés à Jihad Dana, Fayez Makkouk et Ahmed Dabbagh. Il est difficile de savoir qui s’est porté candidat (comme Ezzat Koraytem dans Beyrouth III) alors qu’il fait partie du clan Hariri, juste pour qu’il n’y ait pas d’élection d’office. Mais peu importe. Hariri Jr et Houry seront naturellement place de l’Étoile dès le 30 mai ; il reste juste à savoir si le fils fera aussi bien que le père (Rafic Hariri avait obtenu 34 820 voix) et si Houry aura autant de voix que Adnane Arakji à l’époque (27 943). À Beyrouth III, Jean Oghassepian et Agop Kassardjian (arm-orth), Serge TorSarkissian (arm-cath) et Ghazi Aridi (druze), Ghazi Youssef (chiite) ont été élus d’office. Les seuls duels qui seront livrés seront ceux du tandem Ghenwa Jalloul-Mohammed Kabbani. Face à eux, Adnane Traboulsi (il avait obtenu 6 572 voix en 2000), Mohammed Daouk et Yéhya Ahmed. Jalloul (24 845) et Kabbani (23 043) réussiront-ils à faire aussi bien qu’il y a cinq ans ? C’est donc uniquement à Beyrouth II qu’il y aura des mini-batailles, des combats singuliers. Parce que, si Yéghia Jerjian (arm-orth) a été élu d’office, si Nabil de Freige (minorités, 26 351 voix en 2000 contre 10 541 à Habib Ephrem) n’aura aucun mal à s’imposer face à Raymond Asmar, si Walid Eido (25 065 contre 13 856 à Tammam Salam) et Bahige Tabbarah (sunnites) feront aussi bien face à une flopée de candidats (dont le plus saillant, Adnane Arakji, a été totalement décrédibilisé et exclu du Courant du futur par Rafic Hariri lui-même), ce ne sera pas la même chose pour Atef Majdalani (grec-orth) et Amine Cherry (chiite). Le premier se fera quelques petites frayeurs, sans doute assez brèves, face à un ex-symbole beyrouthin, Najah Wakim, qui risque de faire le plein des votes contestataires. Quant au second, présent à part entière sur la liste au nom du Hezbollah, il aura face à lui Ali Chahrour, Salaheddine Osseirane et, surtout, Ibrahim Mohammed Mehdi Chamseddine. Ce dernier a de fortes chances de faire le plein des voix chrétiennes et de récolter un nombre non négligeable de bulletins sunnites, mais aussi des chiites pro-troisième voix (ou même pro-Amal ?), surtout que dans la capitale, la discipline de vote est bien moins rigide qu’en province. Sans compter les risques d’un petit cafouillage : l’éventualité que le Hezbollah soutienne Wakim contre Majdalani, ce qui pousserait Koraytem à lancer une consigne de vote pro-Chamseddine, au détriment de Cherry. Z.M. Petit mode d’emploi pour électeur débutant 1/ Les bureaux de vote ouvrent à 7h00 et ferment à 17h00. 2/ Les bulletins blancs sont comptabilisés. 3/ Vous pouvez voter pour un candidat déjà élu d’office sans que cela n’annule votre bulletin, mais votre voix ne sera pas prise en compte. 4/ Si vous inscrivez Catherine Deneuve ou Haifa Wehbé sur votre bulletin, aux côtés de candidats réels, votre bulletin sera considéré nul et non avenu. Idem si vous griffonnez des mots d’insulte, un vers de Rimbaud, votre chiffre fétiche ou votre humeur du jour. 5/ Vous avez le droit de panacher. Si l’on vous donne une liste pleine, vous avez le droit de barrer un nom et d’écrire celui d’un autre candidat à la place, à condition que ce dernier appartienne à la même communauté que celui que vous avez biffé. Privilégiez un bic, un feutre ou un stylo au crayon à mine. 6/ Si vous avez une allergie aux listes déjà faites pour vous, vous pouvez écrire le nom de ceux que vous souhaitez élire sur n’importe quel support de papier, à condition que ces personnes soient candidates et que vous respectiez la distribution communautaire. 7/ Dites-vous que rien n’est fait. Ce n’est pas parce que vos candidats ne risquent rien que cela vous dispense de remplir votre devoir. L’inverse est tout aussi valable : si vous soutenez des outsiders qui n’ont presque aucune chance de gagner, souvenez-vous qu’une voix par-ci et une par-là peuvent parfois faire des miracles.

Dans quelle mesure les 420 630 Beyrouthins inscrits sur les listes électorales iront voter demain ? Et si oui, pourquoi et pour qui voteront-ils ? Pour la pleine liste menée par un Saad Hariri visiblement paniqué par l’éventualité d’un absentéisme record ? Pour essayer de ranimer le souvenir, déjà fugace, d’un 14 mars aujourd’hui déliquescent ? Pour marquer le coup, en faveur...