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Actualités - ANALYSE

perspectives - Affrontement entre deux logiques différentes La toile de fond du bras de fer Aoun-Joumblatt autour de Baabda-Aley

L’histoire est un éternel recommencement... Le bras de fer auquel se sont livrés ces derniers jours le général Michel Aoun et le leader du PSP, Walid Joumblatt, pour sceller, plus particulièrement, le sort de la bataille de Baabda-Aley, devrait être placé dans un contexte historique approprié afin d’être perçu dans sa véritable dimension. Un survol rapide des enjeux électoraux des années 60 et du début des années 70 serait susceptible d’apporter un éclairage utile à cet égard. Les Libanais ont sans doute oublié que la région de Aley a traditionnellement été un fief du clan druze des yazbacki, conduit avant la guerre par l’émir Magid Arslane, personnage emblématique de ce secteur de la montagne. Les trois scrutins législatifs des années 1960, 1964 et 1968 avaient été marqués par une solide alliance entre les Arslane et le Parti national libéral du président Camille Chamoun. Cet axe Arslane-Chamoun parvenait à faire élire ses cinq candidats (à l’époque, deux maronites, deux druzes et un grec-orthodoxe) sans trop de difficultés. Le PNL, notamment, avait deux députés dans cette circonscription, un maronite (Émile Moukarzel) et un druze (Fadlallah Talhouk). À l’occasion des législatives de 1972, le leader du PSP, Kamal Joumblatt, a voulu capitaliser sur son net regain de popularité qu’il venait de réaliser dans les milieux druzes de Aley du fait de ses prises de position arabisantes. Dans la foulée de la débâcle arabe de juin 1967 et de la montée en flèche, en conséquence, d’un sentiment de solidarité avec l’action des fedayine palestiniens, Kamal Joumblatt s’était positionné en porte-étendard de la cause palestinienne. Il avait, de ce fait, acquis un large crédit au niveau de la rue musulmane et donc, entre autres, chez les druzes de Aley. Lorsque l’heure des manœuvres électorales a sonné, au printemps de 1972, le leader du PSP a estimé que le renforcement de son assise populaire à Aley pouvait lui permettre d’atteindre d’une pierre deux coups : affaiblir l’implantation du PNL – et d’une manière générale des partis chrétiens – dans cette circonscription ; et étendre son influence dans le fief même des « yazbacki ». Sous le prétexte d’éviter un dur affrontement électoral interdruze – qui aurait été le premier du genre dans la région – il a réussi à amener Magid Arslane à rompre son alliance traditionnelle avec le PNL et à accepter de « partager » la circonscription de Aley avec lui. Une liste commune a ainsi été formée entre Joumblatt et Arslane et la coalition a remporté les cinq sièges de la circonscription, dont deux (un maronite et un druze) revenaient au leader du PSP, lequel a en outre tenté, mais sans succès, de rogner davantage les ailes à l’émir Magid en essayant de favoriser en sous-main l’élection de Ghassan Tuéni à la place de Mounir Aboufadel, principal collaborateur, à l’époque, du chef yazbacki. Cette bataille de 1972 a consacré le début du grignotage opéré par Kamal Joumblatt en terrain « yazbacki », au détriment non seulement des Arslane, mais aussi des partis chrétiens, la liste soutenue par le président Chamoun ayant été totalement mise en déroute. La guerre libanaise et, plus particulièrement, les déplorables affrontements de la montagne, en 1983, devaient confirmer et étendre davantage l’influence rampante du PSP à Aley. Rien d’étonnant, par voie de conséquence, que Walid Joumblatt considère que Aley fait aujourd’hui partie, avec le Chouf, et jusqu’à preuve du contraire, de « sa » sphère d’influence. Quant au problème qui s’est posé ces derniers jours entre le général Aoun et Walid Joumblatt, il trouve son origine dans la loi de 2000 qui a fait des deux cazas de Baabda et de Aley une seule circonscription électorale. Du coup, le leader du PSP a inclus Baabda à sa chasse gardée, considérant que celle-ci englobe désormais non seulement le Chouf et Aley, mais également Baabda. Cette « extension » joumblattiste ne tient compte, cependant, ni des données actuelles sur le terrain ni de l’historique des scrutins des années 60 et de 1972. La circonscription de Baabda était par le passé, traditionnellement, une zone d’influence mixte du PNL et du Bloc national et, dans une moindre mesure, des Kataëb. Le président Chamoun y faisait élire, entre autres, un député chiite (Mahmoud Ammar) et un député druze (Béchir Awar), tous deux membres du bloc du PNL. Au niveau de la situation présente, le dernier scrutin partiel à Baabda-Aley a apporté la preuve, chiffres à l’appui, de la très solide implantation du Courant patriotique libre dans cette région, plus particulièrement à Baabda, en sus, évidemment, de l’incontestable assise populaire d’Antoine Ghanem et, surtout, de Salah Honein, lequel s’est forgé, du reste, et de façon totalement autonome, une réputation bien justifiée de législateur dévoué à la chose publique. C’est dire que rien ne justifie que le caza de Baabda, et par ricochet la circonscription de Baabda-Aley, soit considéré comme la chasse gardée électorale du leader du PSP. D’où la position ferme du général Aoun qui estime, à juste titre, que la légitimité populaire qu’il a acquise à Baabda lui donne le droit d’être traité en partenaire à part entière, avec Walid Joumblatt, dans le choix des candidats. Bien au-delà d’un simple partage des sièges parlementaires, ce sont donc deux logiques, deux approches différentes, qui se sont affrontées dans la perspective des législatives au Mont-Liban : le leader du PSP cherche à maintenir toute la zone de Baabda-Aley dans sa sphère d’influence, quitte à « céder » deux ou trois sièges au CPL ; le général Aoun, par contre, conçoit le prochain scrutin sous l’angle d’un partenariat, d’égal à égal, avec les autres composantes de l’opposition plurielle. Dans une certaine mesure, c’est toute la physionomie de la future Chambre qui est, certes, en jeu. Mais c’est surtout la nature des rapports entre les diverses composantes du pays qui pourrait aujourd’hui se dessiner. Et dans cette optique, la préservation de l’esprit du 14 mars n’aurait-elle pas dû faire prévaloir, dès le départ, la logique du partenariat équitable plutôt que celle de la sauvegarde de chasses gardées, au demeurant éphémères ? Michel TOUMA

L’histoire est un éternel recommencement... Le bras de fer auquel se sont livrés ces derniers jours le général Michel Aoun et le leader du PSP, Walid Joumblatt, pour sceller, plus particulièrement, le sort de la bataille de Baabda-Aley, devrait être placé dans un contexte historique approprié afin d’être perçu dans sa véritable dimension. Un survol rapide des enjeux électoraux...