Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

perspectives Des gestes symboliques dans la bonne direction au Chouf et à Beyrouth, mais le problème de fond reste le même

Retourner, dans les faits, à l’esprit du 14 mars pour sauver le pacte de coexistence «Tout pouvoir qui viole le pacte de coexistence est illégitime ». Cet aliéna j du préambule de la Constitution prend aujourd’hui, plus que jamais, toute sa dimension nationale et historique. Car l’obstination de certains responsables à s’en tenir, contre vents et marées, à la loi 2000 ainsi que le cours pris par la bataille électorale et les graves retombées qui pourraient résulter du résultat du scrutin législatif risquent de constituer une sérieuse menace pour les fondements même de la convivialité libanaise. La loi 2000 permettra à Walid Joumblatt, au bloc Hariri, à Nabih Berry et au Hezbollah de contrôler pratiquement plus des deux tiers des sièges parlementaires à la Chambre. Du fait du découpage inique des circonscriptions électorales, ces quatre pôles sont en effet en mesure de « désigner » près des deux tiers des 64 députés chrétiens. La représentation chrétienne bénéficiant d’une légitimité populaire non contestable étant ainsi largement laminée par la loi électorale, les quatre chefs des blocs parlementaires prédominants auront toute la latitude d’imposer leur diktat pour le choix du futur président de la République ainsi que pour la composition des gouvernements. Pis encore, ils seront en mesure d’initier quand ils le voudront, et sans aucun garde-fou, des amendements à la Constitution ou l’approbation de législations litigieuses engageant le devenir du pays. Comment s’étonner dans un tel contexte du cri d’alarme lancé mercredi par l’Assemblée des évêques maronites ? Comment s’étonner également de la position en flèche du conseil des évêques de Zahlé et de la Békaa qui a souligné que « les chrétiens du Liban ont le sentiment d’être la cible de nombreux complots dirigés contre leur présence forte et active » dans le pays, ces complots étant « camouflés par des propos sur la fraternité, l’unité et la coexistence » ? Si les prélats ont réagi aussi vivement, c’est que cette obstination à organiser les élections sur base de la loi 2000 a pour résultat de saper les fondements (consensuels) de la convivialité au moment précis où le pays s’engage dans une phase fondatrice censée définir la physionomie politique du Liban de l’ère postsyrienne. Le futur Parlement n’aura pas une mission ordinaire, traditionnelle, de pure routine, à assumer pour que l’on puisse se permettre des manœuvres politiciennes, compréhensibles en temps ordinaire. Lorsque l’on s’apprête à poser les jalons d’un nouvel ordre politique faisant suite à trente ans de tutelle, il devient particulièrement curieux de chercher à marginaliser l’une des composantes principales de l’entité libanaise. En ce sens, le coup de semonce de Bkerké ne constitue pas une réaction purement confessionnelle, mais plutôt une sérieuse mise en garde à portée nationale, dans la mesure où elle pose un problème de base qui concerne non pas une communauté déterminée, mais la raison d’être du Liban, en l’occurrence la sauvegarde de la convivialité. C’est la spécificité même de l’entité libanaise, sa vocation de patrie message (pour reprendre la formule de Jean-Paul II), qui risquerait d’être remise en question si la convivialité devait se limiter à un simple slogan, au lieu d’être fondée véritablement sur l’équilibre, le consensus et la participation équitable de tous à la gestion de la chose publique. Les développements des dernières vingt-quatre heures au niveau des circonscriptions de Beyrouth et du Chouf constituent, certes, un (petit) pas dans la bonne direction. L’alliance entre les Forces libanaises et Walid Joumblatt au Chouf, ainsi que le règlement du litige autour du siège maronite d’Achrafieh au profit de Solange Béchir Gemayel représentent une avancée politique importante, mais qui reste symbolique et incomplète car elle ne règle pas le problème de fond : celui du profond déséquilibre causé par la loi 2000 sur le plan de la représentation chrétienne – et de la représentation tout court, puisque des forces vives sunnites et chiites sont, elles aussi, totalement marginalisées par le découpage actuel des circonscriptions. Il reste que le plus grave encore dans le cours pris par la bataille électorale est l’inexcusable détournement des acquis du 14 mars. Walid Joumblatt, Saad Hariri et certains pôles de Kornet Chehwane assument une large part de responsabilité dans ce déplorable gâchis. Au lieu de donner l’impression qu’ils se comportent en simples chefs de file communautaires qui font preuve de condescendance en « accordant » çà et là un ou deux sièges parlementaires, les leaders du PSP et du Courant du futur auraient sans doute mieux fait d’opter, dès le départ, pour une tout autre approche : traiter les fractions de l’opposition chrétienne, plus particulièrement le Courant patriotique libre et les Forces libanaises (qui possèdent, à eux deux, le plus large potentiel de mobilisation) en véritables partenaires avec lesquels ils souhaitent édifier un Liban nouveau, dans l’esprit des grandes manifestations de l’intifada de l’indépendance. Dans le but de capitaliser sur l’élan de solidarité nationale exprimée le 14 mars, et afin de faire fructifier l’amorce d’osmose intercommunautaire dont a été le théâtre la place des Martyrs, les chefs du PSP et du Courant du futur auraient dû prendre soin de s’abstenir de tout comportement, de toute déclaration allant dans le sens d’une marginalisation du partenaire chrétien. Par maladresse ou par calcul, ils ont agi comme s’ils se souciaient très peu (dans la pratique) des acquis du 14 mars, déclenchant ainsi les réactions passionnelles de ces derniers jours. Mais il n’est peut-être pas trop tard pour sauver la dynamique de la place des Martyrs. Les circonscriptions de Baabda-Aley, du Liban-Nord et de la Békaa offrent encore la possibilité de relancer l’esprit du 14 mars, d’envisager les alliances sous l’angle d’un véritable partenariat, d’égal à égal, et non pas de la condescendance à « octroyer » quelques sièges parlementaires pour sauver la face. Le défi à relever aujourd’hui est non pas un partage rationnel du gâteau, mais plutôt la concrétisation d’une réelle volonté de percevoir « l’autre » comme un partenaire et non comme un concurrent potentiel à marginaliser, au risque de saper le pacte de coexistence, en violation de la Constitution de Taëf. Michel TOUMA

Retourner, dans les faits, à l’esprit du 14 mars
pour sauver le pacte de coexistence

«Tout pouvoir qui viole le pacte de coexistence est illégitime ». Cet aliéna j du préambule de la Constitution prend aujourd’hui, plus que jamais, toute sa dimension nationale et historique. Car l’obstination de certains responsables à s’en tenir, contre vents et marées, à la loi 2000...