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Actualités - ANALYSE

Eclairage Crever l’abcès, amputer même, pour éviter la gangrène

Personne n’a pu ne pas entendre le cri du cœur des évêques maronites hier. La véracité, la sincérité, l’immédiateté et le bon sens de leurs propos ont été imparables. Et qu’on le veuille ou non, l’impact populaire du discours est indiscutable : « C’est pourquoi nous avons préconisé la petite circonscription, qui permet aux chrétiens et aux musulmans d’élire librement leurs représentants, qu’ils connaîtront de près et dont ils seraient convaincus qu’ils les représenteront fidèlement. Nous invitons tous les dirigeants, chrétiens comme musulmans, à y regarder de plus près et à faire prévaloir l’intérêt national sur toute autre considération, à s’attacher fermement au principe de la coexistence, qui met à pied d’égalité chrétiens et musulmans. » C’est on ne peut plus clair. Et encore une fois, pas un jour n’a passé sans que l’on condamne, d’ici et d’ailleurs, cette chose bâtarde, viciée par nature et dégénérée qu’est la loi 2000. Tellement perverse qu’elle a fini par acquérir au fil des ans et des rebondissements des douceurs insoupçonnées aux yeux de celles et ceux qui l’avaient combattue corps et âme au moment de sa naissance. Sauf que ni le patriarche, ni n’importe lequel des responsables politiques locaux, ni les Libanais n’ont oublié les appels réitérés, rabâchés jour après jour, de Beyrouth, de Bkerké, de Moukhtara, de Paris, pour « des élections à la date prévue quelle que soit la loi ». Personne n’est sans ignorer que cette loi 2000 fait partie intégrante d’un package deal saoudo-franco-américano-onusien, qui avait prévu et réalisé le retrait militaro-sécuritaire syrien, l’avènement du cabinet Mikati, la révocation des patrons des Services, et la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale sur l’attentat du 14 février. Michel Aoun s’en serait même plaint hier auprès de Jeffrey Feltman. Tout le monde est au courant des appels téléphoniques par dizaines de Terjé Roed-Larsen insistant sur le respect des délais constitutionnels. Tout le monde a compris que même si l’ensemble des partenaires de l’opposition avait joué franc jeu en faveur du caza, cela n’aurait rien changé au bazar international et local. Tout le monde a compris qu’ici et là-bas, on a voulu rassurer la communauté chiite qui s’est sentie, à tort ou à raison, « orpheline », en compensant – ou en pensant compenser – le déséquilibre chrétien par des alliances sur l’ensemble du territoire. Walid Joumblatt et Saad Hariri semblent l’avoir parfaitement compris. Une délégation du bloc Joumblatt sera chez Michel Aoun ce matin. Mais le mal est fait, il est là, terriblement insidieux et particulièrement présent. Et même si l’on est en droit de s’interroger sur le timing du communiqué des évêques – on l’attendait depuis des semaines, au lendemain, même, de la rencontre Sfeir-Mikati à Rome –, force est de constater que l’incompréhension, le sentiment d’injustice, le désenchantement et la colère d’une partie des Libanais sont on ne peut plus légitimes. Particulièrement exacerbés, de surcroît, par le travail de sape quotidien des résidus du système sécuritaro-policier et des ex-caciques de la tutelle syrienne : comment envisager une seule seconde que ceux qui ont porté les Syriens sur leurs épaules, ceux qui ont rédigé jusqu’à la moindre virgule de la loi 2000 il y a cinq ans – les Lahoud, les Sleimane Frangié, les Murr, entre autres – essayent de s’incruster aujourd’hui dans l’orbite de Bkerké, tentant d’y chasser les fils naturels ? Les risques de voir les immenses acquis du 14 mars exploser au profit d’un tri confessionnel n’ont jamais été aussi grands, les faiseurs d’ombre du temps de l’occupation n’ont jamais été aussi près de gagner leur insensé pari. Ce serait une tragédie. Des hommes de bonne volonté ont passé hier des heures à convaincre les dignitaires religieux mahométans à ne pas répondre au communiqué des évêques. Des délégations entières vont commencer dès aujourd’hui à se rendre à Bkerké, et c’est éminemment légitime. Michel Aoun a appelé le peuple à une mobilisation tous azimuts. De plus en plus de voix affolées s’élèvent pour évoquer un éventuel et mortel boycottage chrétien. Nombreux sont ceux qui ont compris que tout leur intérêt, désormais, est de se baisser et de ramasser les morceaux du 14 mars brisés par milliers. Et d’en tirer tous les dividendes. Il n’a jamais été aussi urgent de briser l’abcès. D’amputer même, si l’on ne veut pas de gangrène. Il n’y a pas 36 solutions. Soit l’on tire le profit maximal de la loi 2000, à coup d’alliances saines, équilibrées, logiques, entre ceux du Bristol, partout sur les 10 452 km2, à coup de dialogue ouvert entre Joumblatt, Hariri, Aoun, les FL, KC et Bkerké ; soit l’on reporte les élections le temps de mettre au point une nouvelle loi qui satisferait tout le monde. Des sources proches de Bkerké n’écartent pas cette possibilité. Tout ce temps, cette énergie, perdus… Mieux vaut tard que jamais ? Soit. À condition de ne pas rallumer – ou laisser rallumer – les feux bien mal éteints du confessionnalisme ; à condition de ne jamais, plus jamais parier sur l’insensée logique du vainqueur et du vaincu, quels qu’ils soient. Ziyad MAKHOUL

Personne n’a pu ne pas entendre le cri du cœur des évêques maronites hier. La véracité, la sincérité, l’immédiateté et le bon sens de leurs propos ont été imparables. Et qu’on le veuille ou non, l’impact populaire du discours est indiscutable : « C’est pourquoi nous avons préconisé la petite circonscription, qui permet aux chrétiens et aux musulmans d’élire librement...