Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Vices rois

Ce n’est pas qu’il faille la regretter, bien sûr. Mais la levée de la mainmise syrienne sur le Liban a eu pour effet immédiat de mettre à nu les vices structurels de la démocratie, telle qu’elle est immuablement pratiquée dans notre beau pays : vices que n’avaient fait que consacrer en réalité les prétendues réformes de Taëf ; vices cultivés, portés à leur perfection par le tout-puissant arbitre syrien ; vices dont il s’avère qu’ils n’ont après tout besoin de personne pour survivre à des bouleversements aussi énormes que ceux survenus durant les trois derniers mois. Au terme de toute occupation, il y a normalement des vainqueurs et des vaincus. La libération devait normalement sanctionner les chantres d’une occupation promue au rang de présence fraternelle et légale, d’une coopération qui, dans sa forme la plus extrême, n’était autre chose que pure et simple collaboration. Et non moins normalement, la libération devrait rendre quelque justice à ceux qui, les premiers et depuis des années, avaient levé l’étendard de la contestation, et que l’on s’est acharné à museler, à écarter, à marginaliser. Il faut croire cependant qu’elle peut faire exception, la libération, s’agissant d’un pays où rien ne peut se passer aussi simplement. Où seuls des fonctionnaires risquent, fort rarement d’ailleurs, de se voir demander des comptes. Un pays où la plupart des forces politiques se nourrissent d’aspirations ou de frayeurs communautaires dans le même temps qu’elles appellent, hypocritement le plus souvent, à l’assainissement et à la modernisation de la vie politique. Un pays où le jeu démocratique recèle moins de démocratie que de jeu, le plus courant étant celui des chaises musicales, qui condamne le traînard à rester piteusement debout. Un pays qui, quinze ans après la fin de la guerre, ne s’est toujours pas doté d’une loi électorale standard valant pour toutes les échéances. Comment attendre, dès lors, des plus gros bénéficiaires du régime électoral de l’an 2000 (et avec eux une poussière de moins gros) qu’ils renoncent au même régime électoral qui les a portés à l’Étoile ? À quelques nuances près, la première Assemblée du Liban libre, du Liban nouveau, sera aussi celle des vieux consortiums : quatre grands blocs parlementaires – le clan Hariri, le clan Joumblatt, Amal et le Hezbollah – incluant certes des députés de confessions diverses, mais offrant la particularité d’être tous dirigés par des chefs issus d’une des deux grandes fractions du pays. L’anomalie est d’autant plus criante qu’elle résulte au départ, c’est-à-dire depuis l’instauration de la mainmise syrienne, d’une claire volonté d’appliquer – mais à sens unique seulement – le processus d’intégration nationale supposé mener à la déconfessionnalisation du système. Si bien qu’à l’ombre des grandes circonscriptions, nombre de députés chrétiens doivent leur mandat à un électorat majoritairement musulman, sans que l’inverse soit jamais vrai. C’est cette aberration que pouvait supprimer le choix du caza, paradoxalement retenu un moment par un gouvernement encore sous tutelle syrienne, et répudié en définitive par plus d’une des forces du changement. Les convergences d’intérêts ont finalement prévalu, ouvrant la porte à d’autres alliances objectives, même les plus inattendues. D’où le grand courroux de Bkerké, qui pourrait se traduire aujourd’hui par une position tonitruante des évêques maronites. Dans ce partage de territoires annoncé, la grande inconnue, le seul facteur de surprise potentielle paraît résider dans l’irruption du phénomène Michel Aoun, dont la réconciliation avec les Forces libanaises de Samir Geagea ne lui confère que plus d’ampleur au demeurant. Avant même le verdict des urnes, c’est une fracassante revanche que savoure en tout cas aujourd’hui le proscrit d’hier, chez qui a défilé ces derniers jours le ban et l’arrière-ban de la République pour l’assurer de sa toute nouvelle amitié, voire même parfois de son soutien dans sa quête d’un destin national. National, le courant aouniste l’est assurément, qui compte des adeptes dans les diverses communautés religieuses, avantage que seul peut revendiquer avec lui l’héritage de Hariri. À la différence de celui-ci cependant, le CPL pourrait pâtir de l’éventail même de son audience : présent un peu partout, il ne dispose pas pour autant d’une base territoriale bien définie où il ferait la loi. Il reste qu’en définitive, le plus immédiat des facteurs de changement, c’est la jeunesse libanaise qui le tient en main : la jeunesse qui a été le moteur de l’indépendance ; qui, spontanément et sans sordides calculs d’intérêts, a abattu les barrières communautaires ; qui a aujourd’hui un légitime sentiment de frustration ; mais qui en aucun cas ne doit se laisser aller au désespoir. Aller voter en masse, c’est aussi refaire, dans l’intimité de l’isoloir, la place de la Liberté. Issa GORAIEB
Ce n’est pas qu’il faille la regretter, bien sûr. Mais la levée de la mainmise syrienne sur le Liban a eu pour effet immédiat de mettre à nu les vices structurels de la démocratie, telle qu’elle est immuablement pratiquée dans notre beau pays : vices que n’avaient fait que consacrer en réalité les prétendues réformes de Taëf ; vices cultivés, portés à leur perfection par le...