Le bénéfice du doute

La dimension émotionnelle du retour du général Aoun est sans doute essentielle. Les quelques instants qui mettent fin à quinze ans d’exil ne peuvent qu’être poignants. Mais elle ne doit pas masquer l’ampleur de ce qui a eu lieu samedi, place des Martyrs. Peu importe en fin de compte que Michel Aoun redonne du « poids » à la scène politique chrétienne. Plusieurs leaders, même chrétiens, ont été dans l’histoire du Liban massivement soutenus par leur communauté, sans que cela ne change quoi que ce soit à la triste réalité du système politico-social libanais. Samedi, par contre, des centaines de milliers de personnes ont acclamé les grandes lignes d’un programme politique franchement, clairement et carrément réformateur. Du jamais-vu dans un pays qui étouffe depuis des décennies sous le poids d’un traditionalisme féodal, que personne ne veut ou ne peut écarter, et qui cache, à peine, un État sclérosé par une corruption chronique. Il est vrai que ce n’est pas la première fois que ce discours est tenu au Liban. Mais de telles idées ont toujours été l’apanage de certains groupes élitistes dont la représentativité n’a hélas presque jamais été prouvée. Même le vaste programme de réformes de Kamal Joumblatt, au milieu des années 70, était mort-né, du fait des lourdeurs idéologiques et confessionnelles qu’il portait malgré lui. On peut reprocher beaucoup de choses à Michel Aoun et en faire des prétextes pour snober son mouvement. Mais il serait peut-être plus sage d’envisager positivement le projet politique qu’il propose aujourd’hui, notamment à la lumière du soutien populaire énorme dont il dispose pour le réaliser. Ou du moins, de lui donner une chance. Samer GHAMROUN