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ÉCLaIRAGE - Michel Aoun de retour, le changement en ligne de mire

Charles de Gaulle 1945 – Michel Aoun 2005. Les portraits des deux généraux côte à côte, brandis samedi place de la Liberté, à l’occasion du meeting populaire réservé pour l’accueil de l’ancien Premier ministre, n’ont pas été sans attirer l’attention. La comparaison peut faire sourire. Michel Aoun lui-même ne l’apprécie pas particulièrement. Ce n’est pas que le général de Gaulle, pour qui il voue le plus grand respect et qui constitue pour lui un symbole, lui déplaît. Mais l’ancien Premier ministre n’aime pas les comparaisons. Il se contente de constater l’existence de « similitudes dans les situations, c’est tout », et préfère « s’inspirer de ses propres expériences en intégrant quelquefois celle des autres », comme il le disait à L’Orient-Le Jour à Paris quarante-huit heures avant son départ. Les deux hommes sont globalement considérés comme des résistants, des fers de lance de la lutte contre l’occupation, des artisans de la libération, même s’ils ont aussi leur lot de détracteurs. La comparaison, dans le fond, s’arrête quasiment là. La pousser plus loin serait de l’ordre de l’aventurisme. Cependant, un fait, une similitude méritent d’être signalés. Lorsque de Gaulle est revenu en libérateur, en 1944, à Paris, il s’est progressivement heurté à la classe politique française fondatrice d’une IVe République parlementariste qui devait consacrer, durant douze années, un partage du pouvoir reposant sur un clientélisme de partis et la paralysie sur le plan des institutions. Opposé à la Constitution de la IVe République, le général de Gaulle avait fait son fameux discours de Bayeux, en juin 1946, pour poser les grandes lignes de ce qui devait être plus tard, en 1958, la Constitution de la Ve République. Le discours de Michel Aoun, samedi, place des Martyrs, constitue en quelque sorte, du moins par son aspect réformateur, un équivalent symbolique du discours de Bayeux. C’est en effet son programme politique pour l’étape à venir que le général a présenté devant une foule de centaines de milliers de partisans. D’entrée, l’ancien Premier ministre a inscrit son discours réformateur dans la continuité de l’action qu’il a menée entre 1988 et 1990, en reprenant deux formules célèbres de l’époque qui sont passées depuis à la postérité. Il a ensuite rendu un quadruple hommage aux quatre forces motrices qui ont rendu possible la libération : les martyrs de l’armée, le mouvement estudiantin, la diaspora libanaise et le peuple libanais à travers le phénomène du 14 mars. Voilà pour ce qui est du passé. La plus grande partie du discours était réservée à l’avenir. La souveraineté ayant été retrouvée, le temps est venu de transformer l’action résistante en action politique, dans le sillage de la consolidation de la démocratie, de l’État de droit et de la citoyenneté. Et s’il fallait résumer le retour de Michel Aoun à une de ses phrases, ce serait celle-là : « Je vois sur vos visages et je sens dans vos cœurs l’aspiration au changement, et ce changement viendra, je vous l’assure. » Clair comme de l’eau de roche, le sens d’une telle phrase, prononcée devant un nombre aussi important de personnes, signifie que le projet aounien est d’opérer un déplacement de la ligne de clivage qui traverse actuellement la société libanaise sur le plan politique. Par-delà les lignes socioconfessionnelles déjà existantes, le projet aounien aspire à créer une nouvelle bipolarité, mais qui soit désormais sociopolitique, opposant désormais réformateurs et conservateurs. « Je vous le dis : si je prends un ton confessionnel, reniez-moi », a-t-il d’ailleurs lancé à ses partisans, marquant de ce fait sa volonté de se positionner au-dessus et contre le sectarisme. Deux autres aspects du projet réformateur du général Aoun seront la lutte contre deux sortes de féodalisme : le féodalisme traditionnel et le féodalisme financier. En d’autres termes, les trois thèmes-clefs du discours aounien seront désormais : démocratie citoyenne, lutte contre la corruption, laïcité, pour faire face à trois sortes de féodalisme, de clientélisme, qui ont facilité la mainmise syrienne sur le pays et conduit le peuple libanais à être prisonniers du syndrome de Stockholm. Lorsque l’on évoque devant lui l’expérience Chéhab, qui avait tenté, à travers son mandat, de contenir l’action de la classe politique traditionnelle et des féodaux, amoindrissant leur pouvoir au profit d’une consolidation des institutions, Michel Aoun répond : « Fouad Chéhab a beaucoup fait sur le plan institutionnel. Un grand effort qui aurait pu être bénéfique s’il avait pu continuer. » Selon lui, « les institutions existent déjà, mais elles sont paralysées, et il faut leur rendre leur rôle ». « L’abus de pouvoir est omniprésent, les lois sont outrepassées, le système est complètement déréglé », affirme-t-il. C’est pourquoi il faut recréer l’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif, et faire face au trafic d’influence et à l’abus de pouvoir par la presse et les autres contre-pouvoirs émanant de la société civile. « La recherche de la vérité, par la presse, dans les limites fixées par le droit, et la transparence de l’État seront deux exigences », dit-il. Et le chef du CPL aspire à plus que cela, puisqu’il rêve aussi d’un changement du comportement politique chez les Libanais, de l’apparition de programmes politiques, d’un vote basé sur des convictions, d’un développement du sens de la responsabilité politique chez les citoyens pour qu’ils puissent « vivre pleinement leur liberté, sans tomber dans l’anarchie ». Et, selon lui, l’après-14 mars constitue « le momentum psychologique idéal » pour initier cette réforme. Certes, le retour de Michel Aoun ne fait pas plaisir à beaucoup de monde. Surtout ceux qu’il qualifie de « radis », ceux qui « sont rouges de l’extérieur et blancs de l’intérieur », les conservateurs qui se font passer pour des réformateurs. D’autant qu’il vient avec des idées qui, si elles ne sont pas nécessairement nouvelles, déstabilisent un tissu sociopolitique fortement traditionnel et conservateur. L’homme en est conscient, tout comme il est conscient des différences essentielles qui existent entre lui et bon nombre de politiques libanais. Il sait, dans ce cadre, que rien n’est acquis, et que tout est à faire. Et il a raison. Le rêve réformateur de Fouad Chéhab a fini, douze ans plus tard, en 1970, par déboucher sur le retour en force de la tendance la plus conservatrice des politiques traditionnels, avec l’accession de Sleimane Frangié à la présidence de la République. Charles de Gaulle, lui, a dû céder aux « fromagistes » et s’éloigner de la vie politique à partir de 1946. Ce n’est que le pourrissement total du système qui l’a imposé définitivement, avec son programme réformateur, en 1958. « La bataille de la libération des esprits sera plus dure que celle de l’indépendance », affirme le général Aoun, lucide, mais irrémédiablement résolu à initier le changement démocratique coûte que coûte. Et d’ajouter : « On ne pourra plus m’exiler. Je poursuivrai mon action. » La voie est loin d’être libre, et le combat ne sera pas de tout repos. Mais cela n’a rien d’extraordinaire : le CPL et sa figure de proue n’ont jamais eu peur des paris extraordinaires, même lorsqu’ils paraissaient relever de l’impossible. Michel HAJJI GEORGIOU
Charles de Gaulle 1945 – Michel Aoun 2005. Les portraits des deux généraux côte à côte, brandis samedi place de la Liberté, à l’occasion du meeting populaire réservé pour l’accueil de l’ancien Premier ministre, n’ont pas été sans attirer l’attention. La comparaison peut faire sourire. Michel Aoun lui-même ne l’apprécie pas particulièrement. Ce n’est pas que le...