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Actualités - OPINION

Le droit de savoir et de comprendre

Par Georges KHADIGE Depuis le triste et sinistre jour du 14 février 2005, pourtant destiné en principe à célébrer la fête des amoureux, la fameuse Saint-Valentin, nous vivons des moments cruciaux et, à plus d’un égard, incompréhensibles. Un chef de gouvernement hors pair assassiné: un député et ancien ministre qui l’accompagnait et qui succombe des semaines plus tard; plusieurs victimes innocentes et non concernées ni de près ni de loin par la politique et toutes ses turpitudes; un cabinet qui tombe, en principe, sous la pression de la rue, qui manque de ressusciter quelques semaines après, mais qui finit par sombrer, peut-être à tout jamais; une armée syrienne dont on croyait la présence éternelle sur notre territoire et qui se retire sans tambours ni trompettes et sans la moindre hésitation; un nouveau gouvernement formé mais dont l’espérance de vie n’atteint même pas la période d’essai d’un contrat de travail et qui entame sa lourde et éphémère tâche au pas de course, qui obtient une confiance presque unique dans l’histoire du Liban d’après 1943 et promet des élections dans les délais constitutionnels; la révocation des chefs des services de sécurité et du procureur général près la cour de cassation; la recherche de la vérité sur l’assassinat du président Rafic Hariri et le rétablissement total de l’État de droit et des institutions, rétablissement qui n’aurait évidemment aucun sens s’il ne commençait par un chagement des mentalités, le bannissement de la corruption, des passe-droits et du clientélisme, et le remplacement du refrain de Georges Brassens Les copains d’abord par la devise anglaise : «The Right Man at the Right Place». Si ces réformes, les seules vraies, n’étaient pas réalisées, on n’aurait rien fait et même le retrait syrien, qui a été plus qu’un rêve, un triomphe et presque un miracle, perdrait de son impact et tout ce qui l’a accompagné ne serait plus que de la poudre jetée aux yeux, une illusion, une «maya», comme on dit en hindou. Aussi, les questions qui se posent maintenant et que tout le monde doit se poser, sont: Et après? Quel avenir pour le Liban? Vers quel régime s’oriente-t-on? Ceux qui ont fait le printemps de Beyrouth ont-ils une vision de l’avenir? Un programme pour l’avenir? Ou ne sont-ils que des maîtres de la politique du « au jour le jour »? Évidemment ils pourraient puiser dans l’Évangile un argument pour leur défense, le conseil du Christ: «À chaque jour suffit sa peine, demain s’occupera de lui-même», mais en politique, ce conseil ne s’applique pas. De Gaulle a dit un jour: «Toute ma vie je me suis fait une certaine idée de la France.» Cette phrase devrait servir de devise à tous les gouvernants et à tous les responsables, à quelque niveau qu’ils soient. On ne peut gouverner un État, diriger une institution, gérer une entreprise si on n’en a pas «une certaine idée» au départ. Nos candidats à la direction du pays en ont-ils une? Et s’ils n’en ont pas, ce qui risque hélas d’être le cas, peut-on imaginer quelle catastrophe ça va être? Quelle déception et quel coup terrible pour ces jeunes, débordant d’idéal et qui ont fait les moments glorieux du 14 mars et ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi. De grâce, ne tuons pas chez eux l’espoir et encore plus l’espérance, ne les démoralisons pas, ne leur faisons pas perdre la flamme de leur jeunesse par de cruelles déceptions et de terribles désillusions. Et l’oncle Sam? Qu’est-ce qui nous vaut de sa part cet intérêt soudain et soutenu pour notre pays, devenu presque son souci quotidien, alors que durant presque trente ans il nous a livré corps et biens à la tutelle étrangère et aux guerres destructrices ? Et n’ai-je pas entendu moi-même et tous les invités présents à un dîner, un certain soir de 1984, un diplomate européen dire effrontément et à l’indignation de tous: «Et pourquoi pas un mandat syrien sur le Liban?» Ce mandat nous l’avons effectivement eu pendant vingt et un ans, après cette annonce, qui n’avait rien de prophétique mais qui répercutait simplement ce qui se planifiait pour notre pays dans les coulisses des grandes chancelleries. Et nous l’aurions encore eu pour cent ans si les États-Unis et la France n’avaient estimé qu’il devait en être autrement. Un psaume dit: «Si Yahvé ne bâtit la maison en vain, les maçons peinent, si Yahvé ne garde la ville en vain, les gardes veillent.» En paraphrasant ces versets, on pourrait dire: Si les États-Unis n’avaient pas décidé la sortie des Syriens, en vain les valeureux jeunes gens et toute la population auraient manifesté et se seraient agités et si les États-Unis ne veulent pas vraiement aujourd’hui la souveraineté du Liban et sa totale indépendance, dans le cadre d’un État démocratique où le droit et la justice priment sur toutes les autres considérations, en vain les hommes politiques de tous bords palabrent et se démènent. La grande question qui se pose donc, et que nous avons déjà posée est de savoir ce que veut l’Amérique. Vers quel destin nous mène-t-elle? Qu’attend-elle de nous et que devons-nous attendre d’elle? C’est la question dont nul ne s’est inquiété jusqu’à présent, qui n’a encore reçu aucune réponse et qui est pourtant la question vitale et fondamentale. Tant que nous n’aurons pas eu de réponse à cette question, que nous n’aurons pas su pourquoi les États-Unis et même la France ont brusquement précipité les choses, lâché la Syrie, l’ont acculée à la quasi-déroute, jouant les chefs d’orchestre dans notre pays, nous ne comprendrons rien à ce qui se passe vraiment, à ce qui se prépare pour nous et pour la région, et nous ne serons que de pauvres marionnettes, que l’on agite sans qu’elles ne s’en rendent compte, qui regardent sans voir et écoutent sans entendre et parlent sans connaître le sens et la portée de leurs paroles. Mais aurons-nous des réponses à nos questions.

Par Georges KHADIGE

Depuis le triste et sinistre jour du 14 février 2005, pourtant destiné en principe à célébrer la fête des amoureux, la fameuse Saint-Valentin, nous vivons des moments cruciaux et, à plus d’un égard, incompréhensibles. Un chef de gouvernement hors pair assassiné: un député et ancien ministre qui l’accompagnait et qui succombe des semaines plus tard;...