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Actualités - CHRONOLOGIE

Vingt-deux blessés et des pertes de plusieurs millions de dollars dans l’attentat de Jounieh L’explosion de « Saout el-Mahaba » : un quadruple message d’intimidation lancé dans toutes les directions(photos)

D’une pierre quatre coups. L’explosion de Jounieh – qui a fait vendredi 22 blessés, pulvérisé les studios de la radio La Voix de la Charité et gravement endommagé l’Église maronite Saint-Jean adjacente ainsi que les commerces et une partie du vieux souk de Jounieh – devait marquer plusieurs objectifs : acte d’intimidation par excellence à la veille du retour historique du général Michel Aoun et de la séance parlementaire tristement historique, prévue pour trancher la crise des élections, cet attentat abject a en même temps visé le symbole même du maronitisme et l’école du dialogue incarnée par une « radio humaniste et nationale ». Le crime était également porteur d’un message autrement politique : à savoir que la question des prisonniers libanais en Syrie – qui avait fait l’objet, vendredi, de 9 heures de diffusion sur ce média – restera un sujet tabou que personne n’a le droit de soulever en public. Mais quels que soient les motifs qui ont inspiré l’odieux attentat, rien ne saurait justifier l’horreur à laquelle ont eu droit hier les résidents de Jounieh. En quelques minutes, ces derniers ont vu s’écrouler devant leurs yeux le bâtiment abritant la radio, et s’éloigner les chances d’une paix civile annoncée lors de la marche nationale du 14 mars dernier. Car si les dégâts matériels – évalués à plusieurs millions de dollars – pourront un jour être compensés, la violence physique et morale que comportait ce message confessionnel et politique est autrement plus pénible à supporter par le peuple libanais. Sur place, un spectacle de désolation et d’immense destruction s’offrait aux habitants de la localité, choqués par l’intensité de l’explosion. Selon les estimations, une charge de 25 kg de TNT a été placée dans la ruelle bordant l’entrée de la radio, ce qui a contribué à occasionner des dégâts énormes dans tout le périmètre environnant. L’explosion a dévasté l’ancien édifice qui abritait la radio, endommageant partiellement l’église avoisinante. Dépêchées sur les lieux, les équipes de la Défense civile et les forces de l’ordre ont mis plusieurs heures pour pouvoir éteindre l’incendie qui s’est déclaré et faire évacuer les blessés. Un responsable des FSI qui habite à proximité de l’endroit a dû évacuer « seul les premiers blessés – trois enfants, une vieille dame de leur maison et deux Égyptiens » qui se trouvaient sur les lieux. Coincés sous les décombres, les blessés dont l’ingénieur de son, Abdo Abou Jaoudé, ont dû attendre deux heures avant de pouvoir être évacués et transportés à l’hôpital. Les détenus en Syrie L’attentat s’est produit vers 22 heures, après une longue journée de débats et d’interventions en direct de l’Escwa sur la question des détenus libanais en Syrie. L’émission qui était retransmise par la Voix de la Charité devait servir de tribune aux familles des détenus qui ont pris la parole pour réclamer à cor et à cri la libération des leurs. Pour le président de Solide, Ghazi Aad, « l’explosion, qui a eu lieu immédiatement après un débat extrêmement houleux sur la question, est un message clair adressé à tous ceux qui soutiennent cette cause, à savoir que ce dossier est interdit d’accès aux médias et aux politiques ». Pour ce militant qui n’a aucun doute sur « l’implication des services de renseignements libanais et syriens », cet attentat constitue « la seconde menace après les coups de feu qui ont visé, il y a quelques jours à Tripoli, l’un des prisonniers relâchés par Damas ». Ce denier était intervenu dans une émission sur la LBC sur le même sujet présenté par notre collègue, Marcel Ghanem. Le porte-parole du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Élias Zoghbi, a confirmé les propos de M. Aad, en affirmant que la radio Saout el-Mahaba « a été visée, car elle a diffusé vendredi une émission spéciale sur les Libanais toujours emprisonnés en Syrie ». Pour le président de la municipalité de Jounieh, Jean Hobeiche, cet attentat s’inscrit dans la logique infernale de déstabilisation qui s’est imposée depuis pratiquement 3 mois et ne relève pas d’un acte ponctuel. Un constat qui sera indirectement attesté par l’un des experts en explosifs, qui a affirmé que c’est « la même main criminelle qui continue de frapper », entendre le même type d’explosifs, les mêmes techniques, voire le même objectif de déstabilisation. Selon cet expert, qui a voulu garder l’anonymat, la charge « n’est pas très importante » par rapport aux dégâts occasionnés. Selon lui, l’effondrement de l’édifice et des studios de la radio serait probablement dû à la vétusté du bâtiment. Sur place, les sapeurs-pompiers s’activaient pour éteindre le feu et dégager au plus tôt les blessés, une tâche rendue extrêmement difficile par la présence de dizaines de badauds et de responsables politiques qui ont accouru avec leurs gardes du corps, pour constater les dégâts et faire leurs déclarations. Luttant à la fois contre le feu et contre l’obstination de la foule à vouloir se maintenir au plus près de l’incident, les forces de sécurité ont eu plusieurs altercations avec les curieux. Au milieu de la panique, un jeune homme, vraisemblablement très croyant, a tenu à entrer dans l’église endommagée « pour prier », insistait-t-il. Ce qui lui a valu la colère du commandant en charge qui s’évertuait à lui expliquer que ce n’était pas le moment. Un peu plus loin, un citoyen tenait à se faire photographier sur les lieux du crime, «en souvenir de l’événement », disait-il à un ami, alors que les débris de verre et de béton continuaient de tomber. Le commandant des forces de l’ordre a fini par invoquer « une alerte à la bombe » pour disperser la foule. Plus humoristique, le périple entamé par ce jeune aouniste de 18 ans qui, bravant le cordon sécuritaire, a tenu à planter un drapeau libanais de deux mètres de haut sur les décombres de la radio que l’armée avait tant de mal à déblayer. « C’est ma manière de dire que les poseurs de bombes ne pourront pas nous défier », lance le jeune homme après avoir été éjecté des lieux avec son drapeau. Fait important, l’explosion s’est produite à proximité d’une permanence des partisans du CPL qui s’apprêtaient à accueillir le lendemain (hier) leur leader. Ces derniers, qui avaient sillonné les rues du quartier toute la journée, devaient entamer leur réunion quelques minutes avant la déflagration, selon un membre du CPL. Réunis à quelques mètres à peine de l’attentat, les aounistes qui avaient déjà intégré leurs locaux l’ont échappé belle, affirme un des leurs. D’ailleurs, leur réaction n’a pas tardé à venir. Rassemblés sur le balcon de la permanence, ces derniers y ont placé des haut-parleurs qui ont entonné toute la soirée des chants nationaux. « Rajeh Rajeh Yit’ammar Loubnan », pouvait-on entendre à partir de locaux du CPL au milieu des sirènes des voitures de la Défense civile et des ambulances. « Nous sommes désormais immunisés contre ce genre d’intimidations », affirme Boulos, debout devant une Mini-Cooper complètement recouverte de drapeaux libanais et de photos du général. Dans une déclaration à la LBC avant son départ de Paris, ce dernier a affirmé que cet attentat avait pour objectif de « terroriser les Libanais ». « Il s’agit d’une tentative de terroriser les citoyens afin de les empêcher de se battre avec détermination pour un Liban libre et souverain. Mais nous allons répondre samedi (hier) par une manifestation monstre sur la place des Martyrs », a-t-il prévenu. Pour Ghassan Moukheiber, qui s’est dépêché sur les lieux, cet attentat visait en outre le patriarcat maronite dont relève la radio et l’Église ciblées, en rappelant que le patriarche maronite « n’a pas cessé de réclamer l’ adoption du caza comme circonscription électorale ». Un message d’autant plus significatif à la veille de la session parlementaire prévue à ce sujet et qui s’est soldée par les résultats que l’on sait. Hier, et pour la première fois depuis le début de la série noire des attentats à la bombe, le patriarche Sfeir s’est déplacé sur les lieux pour constater l’ampleur des dégâts. Il devait déplorer cet acte de lâcheté à « un moment où nous avons le plus besoin d’entente, de solidarité et de charité ». Paris condamne l’attentat La France a condamné hier l’attentat de Jounieh, a indiqué un communiqué du ministère des Affaires étrangères qui « transmet sa sympathie aux victimes » et « exprime sa solidarité au gouvernement et au peuple libanais face à ce nouvel acte de violence », a précisé Cécile Pozzo di Borgo, porte-parole adjoint du Quai d’Orsay. « La France rappelle son attachement à l’unité nationale et à la stabilité du Liban » et « elle soutient aujourd’hui, avec la communauté internationale et conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité, le Liban pour l’aider à recouvrer sa souveraineté », a poursuivi la porte-parole. Paris « appelle instamment au respect du processus démocratique en cours qui doit se dérouler hors de toute violence et de toute interférence », conclut le communiqué. Lahoud stigmatise « l’acte criminel » qui a visé la Voix de la Charité Le président Émile Lahoud a condamné dès vendredi soir l’attentat, affirmant qu’il s’agissait d’« une tentative désespérée de semer la terreur et l’instabilité au Liban (...), mais ces tentatives sont vouées à l’échec ». Le chef de l’État a souligné que « cet attentat se produit à la veille d’un développement important qui doit intervenir au Liban », allusion au retour du général Aoun. Hier, son conseiller en communication, Rafic Chélala, a été dépêché sur les lieux de l’explosion pour constater les dégâts. Sur place, M. Chélala a affirmé qu’il a été chargé par M. Lahoud d’exprimer au directeur de la radio, le père Fadi Tabet, et à tous ceux qui y travaillent l’indignation du chef de l’État. Ce dernier a condamné cet acte criminel qui a visé un média qui « s’est fait le porte-parole de la charité, comme son nom l’indique », et de la « cause nationale », a souligné M. Chélala. La radio reprendra ses émissions dès aujourd’hui Lors d’une conférence de presse, le supérieur général des missionnaires libanais, le père Khalil Alwane, a exhorté hier le chef de l’État, Émile Lahoud, et le Premier ministre, Nagib Mikati, à indemniser les victimes de l’attentat et tous ceux qui ont encouru des pertes. Il a en outre annoncé qu’un compte a été ouvert à la Banque libano-canadienne – la branche de Jounieh n° 150906 – pour tous ceux qui désirent contribuer à la remise en état des studios de la radio. Le président de l’Union catholique internationale (branche Liban) de la presse, le père Tony Khadra, a affirmé pour sa part que dès aujourd’hui une tente sera dressée sur les lieux de l’attentat pour permettre à la radio de poursuivre ses émissions, en attendant la réhabilitation de ses locaux. L’attentat perpétré contre la Voix de la Charité a suscité des condamnations et des réactions d’indignation de toutes parts. De New York où il se trouve, le Premier ministre, Nagib Mikati, a affirmé que la sécurité dans le pays « est une ligne rouge ». Il a insisté sur la nécessité d’accélérer l’investigation. Le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabeh, a affirmé de son côté que « l’objectif de cet attentat est de porter atteinte à l’économie libanaise ». D’autres voix – la base Kataëb, l’Ordre des pharmaciens et le Conseil national de l’audiovisuel (CNA) – ont unanimement dénoncé ce crime qualifié de « terroriste » par Rita Charara, membre du CNA. Les commerçants de Jounieh ont estimé qu’il s’agit du second attentat qui vise leur localité. Ils ont en outre appelé toutes les associations de commerçants du Liban à prendre part à une réunion générale le lundi 9 mai, à 15 heures, au siège de l’Association des commerçants de Jounieh. Jeanine JALKH

D’une pierre quatre coups. L’explosion de Jounieh – qui a fait vendredi 22 blessés, pulvérisé les studios de la radio La Voix de la Charité et gravement endommagé l’Église maronite Saint-Jean adjacente ainsi que les commerces et une partie du vieux souk de Jounieh – devait marquer plusieurs objectifs : acte d’intimidation par excellence à la veille du retour historique du...