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Actualités - CHRONOLOGIE

Le vol 1210 de la MEA a ramené le général et les siens vers le « grand peuple du Liban » Pour Michel Aoun et ses compagnons, quinze ans d’ostracisme dépassés en quelques heures (photos)

Paris, de notre envoyé spécial Michel HAJJI GEORGIOU Le vol Paris-Beyrouth 1210 de la Middle East Airlines a mis, comme d’habitude, quatre heures et demie, hier, avant de se poser sur le tarmac de l’AIB. Sauf qu’il ne s’agissait en aucun cas, cette fois, d’un vol « comme les autres ». La distance Paris-Beyrouth que l’avion franchissait, avec à son bord Michel Aoun et un grand nombre de ses compagnons de lutte, d’exil et de résistance, ne se mesurait pas en termes d’heures, mais d’ans. Et c’est quinze longues années de bannissement et d’ostracisme que l’ancien Premier ministre et ses amis ont patiemment remonté hier en l’espace de quelques heures. Le vol 1210, qui transportait hier Michel Aoun, les ministres Issam Abou Jamra et Edgar Maalouf, et bien d’autres cadres exilés, était surtout plein d’émotions, de souvenirs, mais aussi de rêves et d’espoirs. Dans l’esprit et le regard des cadres aouniens, et sans doute du général lui-même, il y avait le goût amer de la défaite du 13 octobre 1990, puis l’exil pour les uns, les plus âgés, et l’entrée dans la clandestinité et dans la résistance à l’oppression durant quinze années pour les autres. L’espace de quatre heures et demie, tout s’est entremêlé, la confusion des sens a régné au fond de chacun, et c’est un mélange de responsabilité, d’excitation, de joie difficilement contenue par pudeur, et d’amertume, par fidélité au souvenir des martyrs tombés en cours de route, qui est ressorti. Il s’agissait bien d’un trajet ordinaire, mais pour les personnes impliquées par l’équipée, il n’en était rien : c’était pour chacun une redécouverte de soi, mais aussi un accomplissement, le couronnement d’une lutte éprouvante et inégale contre la répression, et pour que justice soit enfin faite, quinze ans après. Si le processus psychologique du retour au Liban avait commencé pour Michel Aoun et les siens bien avant le jour J, il n’en reste pas moins qu’il restait une dernière étape à franchir, la plus difficile : monter effectivement dans l’avion et prendre le risque de ce périple unique en son genre, avec toute la charge émotionnelle qu’il comporte et malgré les menaces sécuritaires. Résolu à faire le dernier bout de chemin qui le séparait encore de son « grand peuple », Michel Aoun a quitté pour la dernière fois son domicile du XVIIe arrondissement de Paris, près du Parc Monceau, pour prendre discrètement le chemin de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle (pure coïncidence ?). La voiture du général Aoun a été escortée jusqu’à Roissy par des motards de la gendarmerie française. Les cadres du Rassemblement pour le Liban et du Courant patriotique libre, ainsi que l’importante délégation de journalistes français et libanais mobilisée pour suivre cette journée historique, avaient commencé à affluer vers 8h, pour suivre les consignes des organisateurs. À l’aéroport, trois cadres du RPL chargés d’organiser jusque dans les moindres détails le départ du général et de ses compagnons – Nadim Freiha, Ralph Azkoul et Ralph Maacaron – ont rapidement pris en charge les passagers, alors que la valise d’un éminent confrère français, abandonnée quelques instants par mégarde, était repérée par la sécurité de l’aéroport et, prise pour un colis piégé, immédiatement neutralisée par explosion. Arrivés avant le général Aoun, les anciens ministres Abou Jamra et Maalouf répondent aux questions de la presse. Le premier s’illustre par ses boutades habituelles, tandis que le second évoque « l’espoir, l’avenir, l’aube nouvelle qui pointe à l’horizon, le changement prometteur ». Les compagnons d’exil du général sont émus. Le trio est resté soudé, malgré les années sombres, et les deux anciens ministres, dignes et discrets, se préparent à faire le voyage du retour avec Michel Aoun. Ils s’éclipsent ensuite avec quelques cadres, dont l’équipe de Libano-Américains initiatrice du Syria Accountability Act (Tony Haddad, Gaby Issa...) pour rejoindre le général au salon d’honneur de l’aéroport, tandis que les journalistes embarquent dans l’avion. « Je vais retrouver ma grande famille » Attendu par un grand nombre de journalistes aux portes de l’avion, Michel Aoun est accueilli par l’équipe du vol qui lui souhaite, au nom de la MEA, un bon retour. Il est également très applaudi par les cadres aounistes. L’avion s’apprête à décoller. L’aventure, un véritable épilogue d’épopée pour le général et les siens, est sur le point de commencer. Une chose paraît certaine dès le départ : ce vol ne sera comme aucun autre. L’émotion est trop forte pour qui sait combien ce voyage est vital, guérisseur, fondateur, pour Michel Aoun et les siens, trop longtemps victimes d’une chasse aux sorcières. Personne ne tient en place. Les organisateurs s’activent pour assurer le bon déroulement du programme du général Aoun sur la durée du vol. Et pour cause : l’homme n’a pas choisi le repos pour ce vol en tous points historique. Sur les quatre heures et demie que dure le trajet, son timing est réglé à la minute : il doit répondre, durant une dizaine de minutes, aux questions des nombreux journalistes divisés par poule. Calme olympien, sourire pudique et discret, humilité et simplicité de rigueur, le général Aoun s’assied près de la sortie de secours et répond à toutes les questions. Une grande partie d’entre elles sera d’ailleurs d’ordre politique. Si son retour à une symbolique politique forte et évidente consacre le rétablissement de la souveraineté, Michel Aoun laisse toutefois son cœur s’exprimer. Il n’hésite pas, les circonstances l’obligent, à répondre aux questions personnelles. Affecté, considérablement ému, il dévoile son humanité sans fioritures. À L’Orient-Le Jour qui lui demande ce qu’il ressent alors que l’avion se dirige vers Beyrouth, si jamais il espérait voir ce jour devenir réalité, il répond : « Il y a le plaisir de la réalisation, mais je pense aussi à demain. Aujourd’hui, je vais peut-être fêter la libération du Liban, mais demain, c’est déjà une nouvelle page qui est tournée, et de nouvelles responsabilités à assumer. » Le général Aoun, qui n’a toujours pas eu vent du rassemblement important qui se prépare à la place des Martyrs, dit s’attendre, à son arrivée, à rencontrer sa famille, mais aussi sa « grande famille, le peuple libanais ». « Je vais m’adresser aux Libanais. Il y aura un message de reconnaissance pour ceux qui ont mené le combat à mes côtés pour que ce jour historique devienne réalité, mais aussi d’espoir pour l’avenir, poursuit-il. Le Liban est libéré, mon devoir est de poursuivre ma mission. J’ai des devoirs vis-à-vis du peuple libanais. Il faut asseoir la paix sur un esprit de justice, de démocratie, réanimer les institutions, combattre la corruption. Des tâches énormes nous attendent », indique le général. Il confie déjà qu’il dira de nouveau au peuple libanais, place des Martyrs, qu’il est « grand », et qu’il remercie la France, désormais « sa seconde patrie », pour l’accueil qu’elle lui a réservé durant toutes ces années. Concernant enfin ses retrouvailles avec son frère Élias, qui ne l’a pas vu depuis quinze ans, et qui a toujours refusé d’aller voir, en signe de résistance, son frère à Paris, Michel Aoun affirme : « Je ne sais pas comment ça va se passer. Cela pourrait se passer sans émotions. Il s’agit d’une rencontre entre deux hommes qui ont combattu avec le même esprit, mais d’une manière différente. Mais il se pourrait que les souvenirs d’enfance ressurgissent. Et les larmes aussi. » Le retour, enfin, après l’exil Au fur et à mesure que le temps passe et que Beyrouth devient de moins en moins un rêve, de plus en plus accessible pour ces exilés, l’émotion gagne en ampleur, la tension aussi. La fatigue se fait ressentir chez certains, qui ressentent enfin que leur longue lutte a porté ses fruits, que le Liban est libéré, et qu’ils rentrent enfin d’exil dans la dignité. Ils n’ont jamais douté que ce « jour de gloire » arriverait, mais ils se rendent compte qu’il est impossible de s’y préparer, de gérer leurs émotions dans un tel moment. Tony Haddad rentre pour la première fois depuis 1990. Serein, il est toutefois très ému. Nadim Freiha, éreinté par le marathon des préparatifs du retour, a les larmes aux yeux. Le journaliste Pierre Atallah, en exil depuis les années 90 à Paris, après avoir été arrêté et battu pour avoir fait une interview d’Étienne Sacre, appréhende le moment du retour. Il ne parvient pas à maîtriser son inquiétude, même si les poursuites judiciaires ont été abandonnées contre lui. Les dernières minutes du vol sont un moment d’anthologie. Plus l’avion se rapproche de Beyrouth, plus le rêve devient réalité, plus les souvenirs du passé ressurgissent pour laisser la place à une joie sincère, authentique. L’excitation est telle que les passagers n’arrivent pas à regagner leur sièges. Et c’est un moment de bonheur intense qui remplit les cœurs lorsque l’avion se pose, sous les applaudissements coutumiers. Michel Aoun et ses compagnons viennent de toucher le sol libanais pour la première fois depuis 1991. La vie de chacun reprend un sens. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Pour le général Aoun et les siens, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Relax, terriblement lucide et à la fois très ému, Michel Aoun est félicité par les journalistes qui quittent l’avion avant qu’il n’en sorte. Et quelques minutes plus tard, le général peut enfin saluer, de la passerelle de l’avion, un cercle restreint de proches et de partisans. Sourire aux lèvres, il lève la main dans un geste de retrouvailles, avant de descendre sous très haute protection. Malgré la discipline du CPL, un événement inexplicable (délibéré) conduit à une anarchie totale. Le général et ses proches sont bousculés, les forces de l’ordre foncent dans le tas, et le moment historique prend une tournure très peu du goût du général. Excédé par cette dérive incompréhensible, il exprimera son mécontentement durant la conférence de presse dans le salon d’honneur de l’AIB, perdant au passage un peu de cette sérénité qui l’aura habité durant l’ensemble du vol. Mais le sentiment du retour, le vrai, celui des retrouvailles, Michel Aoun devra attendre deux étapes supplémentaires (l’hommage aux martyrs devant la tombe du soldat inconnu, au Musée, et l’hommage à Rafic Hariri) avant de s’y abandonner, face à une foule en délire. En reprenant, haut et fort, en faisant le « V » de la victoire, sa formule libératrice : « Ô grand peuple du Liban... » « J’aurai aimé célébrer la libération avec Geagea » En quittant son domicile parisien avant de prendre l’avion pour Beyrouth, le général Michel Aoun a fait une courte déclaration dans laquelle il a notamment exprimé sa gratitude pour les autorités françaises, politiques et sécuritaires, pour tout le soutien qu’elles lui ont accordé durant son séjour en France. Abordant la situation au Liban, le général Aoun a souhaité que le Parlement approuve la loi d’amnistie en vue de la libération de Samir Geagea. « J’aurais souhaité que l’amnistie en faveur de Geagea soit votée il y a quelques jours afin que je puisse célébrer avec lui la libération », à Beyrouth, a notamment déclaré le général Aoun. Des cadres nés de la « génération Aoun » Nadim Freiha, Fady Gemayel, Fady Abou Jamra. En 1989, ils faisaient partie de la « génération Aoun », celle qui faisait la fête à Baabda autour des idéaux du général. Désabusés par la défaite du 13 octobre 1990, mais résolus à continuer à se battre pour leurs idées, ils ont participé, chacun à sa manière, à la lutte du Courant aouniste, d’aucuns au sein du RPL, en France, d’autres du CPL, au Liban. Ils ont aujourd’hui passé le cap de la trentaine et faisaient partie hier de l’équipe présente sur l’avion du retour. Le retour du général Aoun les sort enfin de la clandestinité et de la résistance et leur ouvre le champ de l’action politique. « C’est un moment exceptionnel dans la vie d’un homme. Quand on a été de simples militants à Baabda, puis vécu la défaite, il faut avoir le courage et la foi pour poursuivre la lutte durant quinze ans », indique Nadim Freiha. « Ce qui arrive aujourd’hui est plus qu’un rêve. Et un rêve n’est rien tant qu’il n’est pas réalisé. Maintenant que cela est fait, nous voulons dire aux Libanais que pour les élections, il faudra choisir les hommes qui savent rêver et qui savent réaliser leurs rêves. Seul le CPL a su aujourd’hui tenir toutes ses promesses, et nous sommes pleins d’espoir, de volonté et d’ambition », dit-il. Les larmes aux yeux, Nadim Freiha évoque « tous ceux qui ont fait le combat avec nous, les victimes du 13 octobre qui sont avec nous partout, dans la pensée, surtout aujourd’hui, à Beyrouth, et qui ne sont plus là ». Pour Fady Gemayel, « une page de l’histoire du Liban a été tournée ». « Nous l’avons écrite avec le sang, les larmes, les souffrances, l’espoir. Cet espoir nous a permis d’atteindre la victoire, c’est inespéré. Nous portons sur nos épaules l’espoir de tout un peuple, de 200 000 martyrs, de centaines de milliers de handicapés et de déplacés, qui ont combattu avec l’espoir et la foi pour voir leur pays enfin libre. Nous avons aujourd’hui une page blanche devant nous, et nous avons enfin la possibilité de l’écrire. Nous allons œuvrer pour une nation dans laquelle sauront se reconnaître tous ses enfants sans aucune distinction. Une nation fondée sur le respect de chacun de ses citoyens, de l’homme, de sa dignité, de son droit à la différence et à l’expression libre. Nous allons aussi bâtir un État moderne, séculier, sérieux, efficace, qui sera un exemple ouvert, au service de ses enfants et de ses voisins », dit-il. Lucide, Fady Gemayel se remet au travail dès aujourd’hui pour préparer les élections. Fady Abou Jamra, lui, exprime un vœu : « Le souhait que nos enfants et ceux des personnes qui nous ont opprimés ne vivront pas de la même façon, ne seront plus jamais opprimés comme nous l’avons été. Le vœu, c’est que le Liban reste libre, et pour tous ses fils. » Pierre Raffoul : « Ma requête est exaucée » Pierre Raffoul, figure de proue du Tanzym, puis du BCCN entre 1988 et 1990, est un résistant de la première heure. Hier, il a posé le pied sur le sol libanais pour la première fois depuis 1992. Un quart d’heure avant que l’avion n’atterrisse, Pierre Raffoul rappelle qu’il « est parti malgré lui » pour l’Australie, qu’il a été « arraché au pays ». « Quoi que je dise, je ne pourrai pas exprimer mon sentiment actuel. Je reviens à présent récolter le fruit d’une lutte de quinze ans : la libération du Liban des occupations syrienne et israélienne. Je reviens aussi pour poursuivre la lutte, parce que la libération en soi ne suffit pas. Nous avons une période importante de travail entre nous, Libanais. Nous devons nous affranchir du suivisme et de l’asservissement. Nous devons aussi être Libanais, ni chrétiens, ni musulmans, ni druzes. Il faut bâtir une nation qui soit digne du prix exorbitant que nous avons payé à travers nos martyrs et toute cette destruction. Digne aussi de nos enfants : nous ne devons pas leur léguer le pays tel qu’ils nous a été livré. Nous avons perdu toute notre jeunesse pour restaurer le Liban. Je me souviens aujourd’hui de tous nos martyrs, de nos compagnons qui ont été incarcérés, humiliés, qui ont émigré. L’action au Liban était plus difficile qu’à l’étranger. Pour nous, c’était un jeu d’enfant. On disposait de sécurité, de liberté et de tous les moyens pour résister. Au Liban, ils n’avaient rien, et ils ont pourtant poursuivi la lutte avec fougue, rejetant le fait accompli. Je leur rends hommage. Cette heure des retrouvailles est la plus belle d’entre toutes », dit-il. « Durant les heures les plus douloureuses de cette lutte, je n’ai demandé à Dieu qu’une seule chose : me permettre d’être l’un de ces résistants qui célébreront la libération et qui auront permis qu’elle devienne réalité. Ma requête est à présent exaucée : j’ai participé au rétablissement de la souveraineté », poursuit-il. Pierre Raffoul ne trouvera pas le repos pour autant. Il rentre au Liban, souligne-t-il, pour poursuivre son action. Et ira surtout à Méziara retrouver, enfin, ses parents.

Paris, de notre envoyé spécial Michel HAJJI GEORGIOU

Le vol Paris-Beyrouth 1210 de la Middle East Airlines a mis, comme d’habitude, quatre heures et demie, hier, avant de se poser sur le tarmac de l’AIB. Sauf qu’il ne s’agissait en aucun cas, cette fois, d’un vol « comme les autres ». La distance Paris-Beyrouth que l’avion franchissait, avec à son bord Michel Aoun et un...