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« Qu’ils partent pour qu’on puisse accéder à nos terrains agricoles » Deir el-Achaer dénonce les trafics et les naturalisations accordées aux syriens (Photo)

Il faut s’arrêter à quelques centaines de mètres du poste frontalier de Masnaa, prendre la bifurcation menant à Rachaya, arriver à Bayader el-Adas, et ensuite à Yanta. Il faut encore bifurquer à partir de Yanta pour traverser une route cahoteuse de treize kilomètres (qui vous prendra 45 minutes en 4x4) pour arriver finalement à Deir el-Achaer. Un petit village qui compte un peu moins d’un millier d’habitants et qui se trouve exactement à 101 kilomètres de Beyrouth et à 30 kilomètres de Damas. Deir el-Achaer, village exclusivement druze, a occupé le devant de la scène il y une dizaine de jours quand ses habitants s’étaient adressés aux médias pour les informer que le retrait total des troupes syriennes du Liban n’a pas été effectué. Deir el-Achaer abrite toujours, au pied de la montagne du Mazar, relief marquant la frontière entre le Liban et la Syrie, un campement militaire syrien. D’ailleurs, c’est cette position syrienne, visible à partir de la longue route cahoteuse, étroite, déserte et escarpée, qui vous laisse deviner que vous arriverez bientôt à Deir el-Achaer... Arrivé à proximité du campement syrien, il faut rouler encore une centaine de mètres pour découvrir une pancarte marquant deux flèches : à droite Deir el-Achaer, au Liban, et à gauche Mazraet Deir el-Achaer, en Syrie. Deux villages presque jumeaux situés à une dizaine de mètres l’un de l’autre, chacun dans un pays. La route syrienne menant en quelques instants à Mazraet Deir el-Achaer – et en une vingtaine de minutes à Damas – est assez large et bien asphaltée. D’ailleurs, pour les urgences médicales, notamment les accouchements ou les crises cardiaques, les habitants de Deir el-Achaer se rendent à Damas. Certains aussi préfèrent faire leurs emplettes de l’autre côté de la frontière, « où l’on achète le sac de pain à 500 livres et non à 1 500 livres comme c’est le cas ici », disent-ils. De mémoire d’homme, il n’y a jamais eu un poste de police ou des gardes-frontières libanais au village. Jusqu’à présent, la localité ne bénéficie pas du téléphone fixe, le réseau étant en cours d’achèvement... Beaucoup soulignent aussi que durant certains hivers, quand la route libanaise menant à Deir el-Achaer est bloquée, c’est la Syrie qui assure les ravitaillements... Tout est rose donc entre les habitants de Deir el-Achaer et leurs voisins. Alors pourquoi faut-il se plaindre et accuser la Syrie d’avoir grignoté des terrains du village ? Les Syriens et les Libanais dans une localité aussi enclavée ne doivent-ils pas être frères et voisins ? La question énerve les habitants. Ils protestent mais tiennent à préserver leur anonymat, comme c’était le cas dans certains villages de la Békaa avant le retrait syrien. Ils expliquent : « Des dizaines de personnes du village rapportent tout ce que nous disons aux Syriens... C’est le cas depuis 1986, quand les troupes de Damas sont entrées au village, remplaçant l’armée israélienne qui avait occupé cette partie de la Békaa-Ouest en 1982. » Un homme montre, à une dizaine de mètres de la place du village, un petit bâtiment blanc situé dans la vallée, en bordure de la route syrienne, au nord de Deir el-Achaer. « C’est la permanence des services de renseignements syriens de Mazraet Deir el-Achaer. Il se trouve juste à la frontière », dit-il. Un jeune homme parle des interrogatoires et des coups subis dans les cellules syriennes. Et puis c’est la route cahotante que l’on évoque. « Elle était très bien asphaltée, jusqu’à l’arrivée des camions il y a trois ans », indique un adolescent, vite invité au silence. Il s’avère que le jeune homme parle du trafic de mazout, effectué à partir de la Syrie vers le Liban. Un trafic qui passe par le village syrien de Mazraet Deir el-Achaer pour emprunter la route libanaise séparant Deir el-Achaer de Yanta et qui est devenue – à la longue – cahoteuse. La marchandise est ensuite écoulée dans la Békaa. Et ce n’est pas tout. C’est avec beaucoup d’amertume que les habitants de Deir el-Achaer évoquent le cas de la localité syrienne qui porte presque le même nom que leur village. Il semble qu’il y a très longtemps, le village syrien n’était qu’un hameau dépendant de Deir el-Achaer. D’ailleurs, jusqu’à présent, beaucoup d’habitants du village libanais possèdent des terrains agricoles à Mazraet Deir el-Achaer, de l’autre côté de la frontière. Mais c’est l’histoire récente qui révolte les habitants de ce village libanais, entouré de la Syrie du Nord, de l’Est et du Sud, en l’occurence le décret de naturalisation promulgué en 1994. Les autorités libanaises avaient accordé la nationalité à plus de 400 habitants du village syrien de Mazraet Deir el-Achaer. « Ils n’ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais libanais », s’insurgent ceux qui veulent préserver leur anonymat. « Que l’Onu trace la frontière entre le Liban et la Syrie » Le président du conseil municipal de Deir el-Achaer, Fahed Ayoub, lui, choisit ses mots pour évoquer d’une façon assez diplomatique le décret de naturalisation de 1994. « Il convient de dire que depuis une dizaine d’années, plusieurs centaines d’habitants de Deir el-Achaer ne possédant pas des terrains au village et n’ayant jamais vécu ici détiennent comme nous la nationalité libanaise ainsi que des cartes électorales », dit-il. Revenant à l’affaire du campement militaire syrien toujours en place à Deir el-Achaer, M. Ayoub explique que « les troupes de Damas se trouvent sur des terrains privés appartenant aux familles Omrane, Ayoub, Nasr et Kantar. D’ailleurs, nous avons réussi à avoir les titres de propriété, numéros 35 et 45, sur lesquels une partie du campement a été installée. Ces terrains sont bien visibles dans certaines cartes géographiques aériennes du Liban. Ils se trouvent dans la plaine et sur le flanc libanais de la montagne du Mazar ». « Avant qu’elles ne deviennent des positions militaires, ces terres étaient utilisées pour la culture du blé et du pois-chiche », ajoute-t-il. À Deir el-Achaer, les Syriens ont grignoté 300 à 400 mètres en profondeur du territoire libanais. « Nous contestons le fait que l’État libanais reconnaisse que la frontière s’arrête au campement syrien du village. Ce territoire est libanais. Ce n’est pas la frontière », indique encore le président du conseil municipal. Il marque une pause et soupire : « Il faut qu’on en finisse, une fois pour toutes, avec cette affaire de frontière. Il y a eu les fermes de Chebaa, maintenant c’est Deir el-Achaer. » « Si les gouvernements libanais et syrien refusent de se pencher sérieusement sur ce problème, il faut qu’une commission de l’Onu prenne en charge le tracé des frontières entre le Liban et la Syrie », propose M. Ayoub. Justement, est-ce que les habitants de Deir el-Achaer ont présenté les titres de propriété prouvant la libanité des territoires à l’équipe des Nations unies chargée de vérifier le retrait syrien qui s’était rendue au village la semaine dernière ? Le président du conseil municipal de la localité indique que « l’équipe onusienne était entourée d’officiers libanais. Elle s’est juste rendue à proximité du campement syrien. Elle n’a parlé à personne. D’ailleurs, l’Onu traite l’affaire du retrait avec le gouvernement libanais qui ne reconnaît toujours pas que le campement syrien de Deir el-Achaer se trouve en territoire libanais ». Les habitants de la localité qui tiennent à préserver leur anonymat, eux, ne mâchent pas leurs mots et lancent : « Nous voulions présenter les faits à l’équipe de l’Onu venue sur place la semaine dernière, mais les officiers libanais nous ont interdit de l’approcher. » Ils accusent encore : « Jusqu’à présent, le campement syrien qui est toujours en place au village est alimenté par un branchement illicite sur des pillons de l’EDL. » « Nous voulons qu’ils partent pour avoir accès à nos terrains agricoles qu’ils occupent depuis 1986 », ajoutent-ils. Les habitants de Deir el-Achaer espèrent que les Syriens évacueront complètement leur village, peut-être qu’à ce moment-là l’État libanais pourvoira la localité d’une bonne infrastructure, une route au moins, qui encouragerait les touristes à découvrir le temple romain. En fait, Deir el-Achaer tient partiellement son nom de ce temple romain dont une partie se dresse encore à la place du village (« Deir » en arabe signifiant temple en français). Mais ici, jamais des fouilles n’ont été effectuées. Les habitants du village se plaisent à raconter que ce temple est le plus important du Liban après la citadelle de Baalbeck... Les ruines romaines de Deir el-Achaer se prolongent vers l’est, jusqu’à la dernière maison habitée du village. On ignore si les vestiges romains s’étendent jusqu’au territoire syrien... Mais ceci est une autre histoire. Patricia KHODER
Il faut s’arrêter à quelques centaines de mètres du poste frontalier de Masnaa, prendre la bifurcation menant à Rachaya, arriver à Bayader el-Adas, et ensuite à Yanta. Il faut encore bifurquer à partir de Yanta pour traverser une route cahoteuse de treize kilomètres (qui vous prendra 45 minutes en 4x4) pour arriver finalement à Deir el-Achaer. Un petit village qui compte un peu moins...