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Actualités - OPINION

POINT DE VUE Liban : vers de nouvelles cassures ? Par Charles Rizk ministre de l’Information et du Tourisme

Dans un article paru dans Le Monde, le ministre de l’Information et du Tourisme, Charles Rizk, explique les différentes étapes qui ont suivi la fin de la guerre du Liban et analyse les motivations internationales à l’égard du Liban. L’évacuation du territoire libanais par l’armée syrienne est accomplie depuis le 26 avril, en application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, enfin soucieux de notre indépendance. Ce souci tardif nous inspire, à nous autres Libanais, deux sentiments contradictoires : le soulagement et l’appréhension. Soulagement, bien sûr. La résolution 1559 n’inaugure-t-elle pas la fin de la « paix manquée » qui nous a été, il y a quinze ans, imposée au terme d’une guerre où nos factions confessionnelles nous avaient, en 1975, plongés ? Les unes, en majorité musulmanes, y avaient pris parti pour l’OLP de Arafat, et les autres, en majorité chrétiennes, pour Israël. Nous y avons sacrifié 5 % de notre population – 200 000 morts –, ruiné notre économie, perdu notre indépendance. Cette guerre a été meurtrière parce qu’elle a été double. À la fois civile et étrangère : réédition de nos tueries confessionnelles ancestrales, et ombre portée libanaise du conflit arabo-israélien. Parce que double à son tour, la « paix » supposée y mettre fin n’en fut pas une. Censés rééquilibrer la répartition des pouvoirs entre les communautés libanaises, les accords interlibanais conclus en octobre 1989 par nos députés réunis à Taëf, en Arabie saoudite, sous l’égide de la Ligue arabe reconnurent le rôle privilégié de la Syrie au Liban. Après l’effondrement de l’État libanais, dépecé par ses milices et inapte à empêcher les raids palestiniens à la frontière nord d’Israël, les gouvernements américain et israélien avaient, dès 1977, approuvé l’entrée de l’armée syrienne au Liban en remplacement de l’armée libanaise déficiente. Considérée auparavant par ces deux puissances comme un casus belli, l’intervention syrienne avait été préférée par elles à l’anarchie qui avait permis à Arafat de faire main basse sur notre pays. Il ne restait plus qu’à légaliser internationalement cette suzeraineté de fait. Dès octobre 1989, moins d’un mois après leur signature, les accords de Taëf étaient avalisés par le Conseil de sécurité, mené par les États-Unis, dont l’appui à la Syrie culmina un an plus tard, lors de l’adhésion de ce pays à l’alliance américaine contre l’Irak après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Si, de cette suzeraineté, le Conseil de sécurité est aujourd’hui pressé de nous débarrasser, c’est que la logique qui sous-tendait jusque-là la politique occidentale, et notamment américaine, à l’égard de la Syrie s’est inversée. Il y a toujours 400 000 réfugiés palestiniens au Liban – 10 % de notre population – mais, depuis l’échec des deux intifadas qui l’ont laissé exsangue, le mouvement palestinien a, après la disparition de Arafat, abandonné la lutte armée pour la négociation. Dans ce contexte, la présence syrienne au Liban, initialement motivée par le souci de contenir les Palestiniens, perd sa raison d’être. Le gouvernement palestinien ayant choisi la voie pacifique, il devient même impératif pour Israël et son allié américain de sortir la Syrie du Liban, où elle pourrait éventuellement exploiter et radicaliser les éléments palestiniens sous son influence pour en faire un atout dans son propre jeu régional. C’est dire combien extralibanaises sont les motivations de la communauté internationale pour notre indépendance, combien elles sont précaires parce que contingentes à un contexte qui nous est externe et qui est lui-même hautement incertain : le plan Sharon est-il vraiment un plan de paix globale ? Le retrait de Gaza est-il le premier et non le dernier sur la voie de l’évacuation des territoires ? Des solutions raisonnables aux problèmes de Jérusalem, des réfugiés palestiniens et des colonies juives implantées dans les territoires arabes sont-elles sérieusement envisagées en Israël et aux États-Unis ? Si les hypothèses dont dépend le succès de l’entreprise Abou Mazen se vérifient, alors nous pourrions compter sur la détermination américaine et française à maintenir la Syrie hors de nos frontières. Quid si l’entreprise Abou Mazen fait long feu ? Quid si se rouvre en Palestine un cycle de violence qui, débordant inévitablement chez nous, réveille à Washington la tentation de la realpolitik qui, dans les années 1970, rapprocha Henry Kissinger de Hafez el-Assad ? Deux facteurs d’incertitude Ce premier facteur d’incertitude, lié à la situation en Palestine, s’aggrave d’un deuxième, lié à la situation en Irak. Quelque jugement que l’on porte sur l’intervention américaine dans ce pays, on doit constater qu’elle a mis fin à un despotisme qui remonte au mandat anglais, et dont le régime Saddam n’a été que l’ultime avatar. Force est donc de reconnaître que c’est à l’invasion américaine que l’Irak doit sa première élection libre. Or cette élection a prouvé que dans ce pays le risque d’éclatement confessionnel est inhérent à la démocratie, éclatement inévitable si la société politique irakienne se révèle impuissante à gérer pacifiquement sa diversité. Et on peut légitimement craindre qu’elle le soit. Là réside la possibilité de l’échec américain, qui sera plus voyant à mesure que se prolongera l’occupation. D’où l’impatience des États-Unis à mettre en place un semblant d’édifice institutionnel et militaire irakien permettant un regroupement des forces étrangères autour de quelques points stratégiques en préparation d’un retrait « derrière l’horizon ». D’où aussi et surtout le souci d’entourer ce retrait d’une honorabilité cosmétique, par l’invocation de la paix en Palestine et du « printemps » libanais, présentés comme deux victoires annonciatrices de l’apothéose démocratique du « Grand Moyen-Orient ». Si donc l’intérêt manifesté récemment par la communauté internationale à nos affaires est pour nous, à court terme, un atout, nous appréhendons qu’il ne recèle, à long terme, un danger. Il est certes incontestable que, sans la résolution 1559, l’armée syrienne n’aurait pas évacué aussi promptement notre territoire. Mais le retrait syrien n’est qu’un élément de la déclaration. Non moins importantes sont les dispositions relatives au désarmement du Hezbollah, à propos desquelles les auteurs de la 1559, soit les États-Unis et la France, ont une position ambiguë. Il n’existe qu’un seul moyen de désarmer le Hezbollah : priver son combat de sa raison d’être, qui est la résistance à l’occupation par Israël de la zone frontalière, dite « des fermes de Chebaa », que Tsahal s’obstine à tenir malgré son évacuation de la majeure partie du Liban-Sud, en 2000. L’État hébreu invoque pour cela un argument spécieux : contrairement à la thèse officielle libanaise, cette région, dont la valeur stratégique est d’ailleurs marginale, n’appartiendrait pas au Liban, mais serait un prolongement du Golan syrien. Elle serait donc de la compétence de la résolution 242 de l’Onu et du contentieux israélo-syrien, non de la résolution 425 sur le Liban-Sud et du contentieux israélo-libanais. Justifiant par des arguties juridiques le maintien de son occupation, Israël fournit au Hezbollah ses meilleurs arguments. Là apparaît la responsabilité commune et proprement historique de toutes les composantes de la société politique libanaise, gouvernement et opposition confondus. Les partis d’opposition qui ont, avec un indéniable succès, mené la campagne pour le retrait syrien peuvent et doivent réclamer, en contrepartie de leur alignement sur les positions américaine et française, que Washington et Paris exercent à leur tour une pression pour qu’en échange du retrait syrien Israël évacue la région de Chebaa. Ils doivent par-dessus tout éviter le piège qu’on leur tend, selon lequel, le retrait de l’armée syrienne étant acquis, le désarmement du Hezbollah n’est plus qu’une affaire intérieure à négocier par la future autorité libanaise issue des prochaines élections législatives, que l’opposition espère gagner. C’est ignorer ou faire semblant d’ignorer trois évidences : loin d’être une affaire intérieure, le désarmement du Hezbollah a, plus encore que le retrait syrien, des implications internationales puisque, outre la Syrie, il met en cause l’Iran, Israël et ses alliés occidentaux. Quels que soient les résultats des élections, l’autorité libanaise qu’elles dégageront sera impuissante à affronter seule le Hezbollah, adossé à des appuis régionaux et internationaux et immergé « comme un poisson dans l’eau » dans la communauté libanaise chiite qui peuple le Liban-Sud et qui est la plus nombreuse. Enfin et surtout, une négociation interne entre un gouvernement libanais et le Hezbollah serait sans objet : un gouvernement prétendument national peut-il sérieusement demander à un mouvement de résistance qui, à ce jour, a forcé Israël à évacuer la plus grande partie du Liban-Sud et ambitionne de poursuivre son combat, de jeter les armes ? Au bout de la logique Ne doit-il pas plutôt se tourner vers les parrains de la résolution 1559 pour leur demander d’aller jusqu’au bout de leur logique, de prouver que leur souci de notre indépendance est sincère, et d’œuvrer, après le retrait syrien, pour le retrait israélien ? Alors, dans l’honneur, la résistance serait désarmée, l’autorité de l’armée nationale, sur l’ensemble du territoire, rétablie, et la frontière nord d’Israël définitivement pacifiée. Dissociant, découplant les retraits syrien et israélien, les auteurs de la résolution 1559 se sont, pour prévenir et couvrir leurs probables échecs palestinien et irakien, satisfaits du retrait syrien. En produisant une résolution tronquée à laquelle manque l’exigence du retrait israélien, ils nous ont enfermés dans une double impasse. Fermant les yeux sur l’occupation israélienne, ils ont perpétué la présence du Hezbollah, qu’ils nous demandent pourtant de désarmer tout en sachant parfaitement que cela nous est politiquement impossible. Plus gravement, ils ont déposé chez nous une bombe à retardement qui compromet le commencement d’union nationale illustré par la condamnation unanime de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. En tentant de nous dresser contre un Hezbollah redoutablement armé dont Israël s’obstine, par son occupation, à renforcer la cause, la résolution 1559 risque, objectivement, de substituer à notre clivage islamo-chrétien ancien une cassure nouvelle : elle n’opposerait plus les chrétiens aux musulmans en bloc, mais les chiites à toutes les autres communautés mêlées – et désarmées – dans un Liban où se prolongerait le « croissant chiite » qui se lève. Du Golfe à la Méditerranée.
Dans un article paru dans Le Monde, le ministre de l’Information et du Tourisme, Charles Rizk, explique les différentes étapes qui ont suivi la fin de la guerre du Liban et analyse les motivations internationales à l’égard du Liban.

L’évacuation du territoire libanais par l’armée syrienne est accomplie depuis le 26 avril, en application de la résolution 1559 du Conseil de...