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Actualités - OPINION

L’heure de la désyrianisation

Par Sélim JAHEL* Alors que vient de s’achever le retrait des derniers contingents de l’armée syrienne, on peut, évidemment, s’en réjouir, mais il faut se garder de tout triomphalisme. Trente ans d’occupation ont profondément marqué les esprits et les institutions. Rien n’est gagné tant que l’État n’aura pas recouvré sa souveraineté sur la totalité du territoire libanais et ses dirigeants leur entière liberté d’action et de décision. Aussi faut-il, profitant d’une conjoncture internationale favorable – avant qu’un nouveau « deal » américain sur le Liban ne vienne bouleverser la donne –, engager rapidement ce qu’on pourrait appeler la désyrianisation du pays. Il s’agit de mettre en œuvre des moyens qui permettent d’arrêter définitivement les ingérences syriennes dans les affaires libanaises, d’éliminer les facteurs qui, à l’avenir, pourraient les favoriser et désamorcer quelques bombes à retardement qui traînent depuis la guerre. L’opération va se heurter à une cohorte de problèmes ; elle comporte plusieurs volets qui paraissent indissociables. Vaste chantier... Ces lignes n’ont d’autre objet que d’amorcer une réflexion sur le sujet. Ce qui frappe de prime abord, c’est le degré d’inféodation poussée des dirigeants libanais et d’un grand nombre d’hommes politiques au régime de Damas, qui n’est certes pas dictée par des convictions idéologiques, attachement aux principes et valeurs que propage la Syrie, mais relève de pures considérations de carrière, tant il est vrai que depuis quelques années, aucune charge ni fonction dans la haute hiérarchie étatique libanaise ne pouvait être attribuée que par le choix, ou tout au moins avec le consentement des autorités syriennes. Mais la Syrie agitait aussi, et bien souvent, le bâton, proférant des menaces à l’adresse des responsables libanais qui ne se soumettaient pas « perinde ac cadaver » à la volonté de ses dirigeants. Certains hommes politiques libanais vivaient, vivent encore, sous l’emprise d’une menace permanente d’atteinte à leur vie ou à celle de leurs proches, et les services syriens ne se font pas faute de passer à l’acte, ne serait-ce que pour marquer l’exemple. Rien n’indique aujourd’hui que le retrait de l’armée syrienne mettra fin à de tels agissements. En fait, il est vain de croire que la Syrie va du jour au lendemain renoncer aux visées qu’elle a toujours nourries sur le Liban. Cependant, il faut bien reconnaître qu’il existe entre les deux pays des liens particulièrement étroits qui appellent à l’établissement de rapports en conséquence. La difficulté est de pouvoir définir la mesure de ces rapports. Deux points sont à considérer : il faut qu’aucun des deux États n’empiète sur le domaine de souveraineté de l’autre ; il faut surtout veiller à ce qu’il ne soit porté aucune atteinte aux valeurs qui font la spécificité du Liban et qui s’appellent démocratie, liberté, État de droit. Le gouvernement indépendant qui sera en place à la suite des prochaines élections devra, pour commencer, s’adossant à l’appui que lui fournit la résolution 1559 des Nations unies, revisiter tous les traités et accords conclus avec la Syrie en période d’occupation, et qui, de ce fait, pourraient être regardés comme nuls et non avenus, en particulier l’accord de 1991 qui place pratiquement le Liban sous tutelle syrienne. L’un des volets de l’opération consiste dans l’épuration des services administratifs et judiciaires de tous les éléments – fonctionnaires, magistrats, agents de toute catégorie – infiltrés par les services syriens et habitués à agir sous leurs ordres. Mais là, pas de cassure. Il faut se garder d’être trop systématique et éviter autant que possible que cela ne tourne au règlement de comptes. Plus redoutables sont les problèmes que pose la reprise en main des instruments sécuritaires : armée, gendarmerie, police. Leur réorganisation et leur redéploiement sur l’ensemble du territoire sont indispensables au recouvrement de la souveraineté nationale et à la restauration de l’État de droit. À ce stade, deux problèmes se posent, majeurs: l’un est relatif aux camps palestiniens, l’autre à la milice du Hezbollah. Depuis que le pays s’est mis en situation de non-État, les camps palestiniens sont devenus des entités souveraines armées, ou même surarmées, et devant compter un nombre considérable d’éléments radicaux. Qui les gouverne ? Qui les dirige ? On ne sait pas trop bien. L’armée syrienne, censée être entrée au Liban pour y établir l’ordre, ne s’en est pas beaucoup préoccupée. Certes, on pourrait laisser les choses en l’état. Mais on sait d’expérience que manipulés de l’extérieur, ils pourraient à nouveau faire exploser le pays. D’où la nécessité de traiter ce problème avec les responsables de l’État palestinien dès qu’il sera en place. Plus délicate est la question de la milice du Hezbollah. Auréolée de sa victoire sur Israël, elle semble vouloir se maintenir avec ses armes sur le territoire qu’elle occupe. Le Hezbollah est un parti libanais fort respectable, dont les dirigeants sont réputés pour leur rigueur. Son chef appelait, dans un texte reproduit par Le Figaro du 15 avril 2005, les forces politiques libanaises à un dialogue sérieux « sur la base de constantes que sont l’attachement à l’unité nationale et au vivre ensemble entre musulmans et chrétiens, le respect de la liberté et de la démocratie, la nécessaire adoption d’un système électoral juste, l’édification d’un État de droit et le refus de toute ingérence étrangère dans nos affaires ». La question doit être traitée dans un cadre libano-libanais, hors de toute interférence étrangère de quelque horizon qu’elle vienne. À la limite, on peut se demander si la milice du Hezbollah ne mérite pas d’être considérée comme un corps de gardes-frontières intégré à ce titre dans l’armée libanaise. Il va de soi qu’elle sera dès lors soumise au commandement supérieur de l’armée, et qu’elle ne pourra engager aucun combat contre des forces extérieures ou intérieures sans l’assentiment de l’État libanais. À vrai dire, le maintien de cette milice sous quelque forme que ce soit risque de créer une dérive fédérative à l’irakienne qui pourrait à moyen terme affecter la Syrie, avec tous les aléas que cela comporte inhérents aux courants irrédentistes qui traversent en permanence la région. Faut-il courir ce risque ? Fédéralisme ou pas, c’est là une affaire de superstructure qui intéresse l’organisation de l’État. Au niveau de la nation, disait Béchir Gemayel, « nous postulons l’unité, nous n’acceptons que l’unité, nous parions sur l’unité ». L’unité nationale, c’est en effet l’arme absolue dissuasive de toute ingérence dans les affaires du Liban et la garantie de son indépendance. C’est pour l’avoir rétablie et renforcée, déjouant toutes les tentatives de division des Libanais, que Rafic Hariri a été assassiné, comme il en a été de même jadis, et pour les mêmes raisons, de Riad el-Solh, autre faiseur de nation. L’endroit où il repose au cœur de la capitale qu’il a reconstruite est devenu aujourd’hui le point de ralliement de tous les Libanais, un lieu de pèlerinage, et pour toujours le symbole vivant de l’unité nationale. * Ancien ministre

Par Sélim JAHEL*

Alors que vient de s’achever le retrait des derniers contingents de l’armée syrienne, on peut, évidemment, s’en réjouir, mais il faut se garder de tout triomphalisme. Trente ans d’occupation ont profondément marqué les esprits et les institutions. Rien n’est gagné tant que l’État n’aura pas recouvré sa souveraineté sur la totalité du territoire...