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Changer le monde

On m’a dit : Tu croiras en l’homme. Tu prieras un Dieu unique et juste, bon et grand. Tu ne feras de mal à personne. Tu prieras pour l’égalité et la paix… Tu vivras heureux. J’ai récité mes leçons. J’ai visité le monde. Partout je n’ai vu que des bombes. La haine. La destruction. Les enfants pleuraient. Les hommes mouraient. Et moi… je regardais incrédule le monde et mon quotidien défiler sur les écrans. Les premiers temps, j’en pleurai. Puis je me suis dit que finalement cela s’arrangerait, je finirais par être anesthésiée comme mes aînés. On n’a peut-être pas tous droit au bonheur. Oui, mais la mémoire du cœur est durable. Devrai-je aussi me contenter de remercier le ciel pour faire partie de ceux qui ne connaissent ni la faim ni la misère ? S’il est vrai que je ne peux pas changer le monde, je sais que j’ai de la chance, beaucoup de chance, d’avoir une vie normale et équilibrée, avec une famille, des amis, de quoi vivre et m’épanouir. Et les autres alors ? Ces innocents que l’on m’a appris à aimer, à respecter quelles que soient leur idéologie, leur religion ou leur nationalité, j’en fais quoi ? Je les regarde crever. Je me révolte, j’y pense un peu, puis j’oublie, comme vous, comme beaucoup d’entre nous, pour pouvoir vivre, pour continuer à vivre. Mais si je me trompais ? Et si changer le monde n’était pas impossible ? On ne s’habitue pas à la violence et à l’injustice. On ne s’y fait pas, on les subit. Personne ne me contredira là-dessus. La réaction de chacun face à la désillusion n’est pourtant pas la même : – Certains choisissent de faire comme si toutes les mauvaises nouvelles n’étaient que passagères. – D’autres, plus rares heureusement, feront subir la violence pour oublier ces idéaux qui les ont rongés, mutilés. Ils rangent alors leur humanité dans la valise de leur enfance. 1. Les plus courageux flirteront avec leur mort, leurs fantômes et leurs cauchemars pour s’éteindre en silence loin de la société. 2. Les autres se feront sauter au milieu d’une foule en délire, trop fragiles pour dire leur mal, trop fatigués pour combattre leurs angoisses, ils mélangeront leur chair au sang de leurs semblables, ils tueront au nom d’un Dieu qu’ils ne connaissent pas et n’ont jamais connu dans l’espoir de voir sa main les retenir, les prendre dans ses bras et les appeler « fils ». 3. Les plus vils parmi eux effaceront toute trace de sentiment et compteront leurs victimes comme un enfant cruel clouant des papillons sur le mur de ses prières. Entre-temps, des gens meurent ! Ceux-là mêmes pour qui l’on aurait eu de la sympathie et même de l’empathie deviennent nos pires ennemis. Des monstres incontrôlables, déréglés, déchaînés, que l’on a envie de secouer. Que leur est-il arrivé ? Sous quelle force, au nom de quel démon agissent-ils ? Croient-ils encore en quelque chose de bien ? Croient-ils en l’amour ? Ou devrais-je dire : peuvent-ils encore croire en l’amour ? En ont-ils le moindre souvenir ? Imaginez-vous vieux avec tous ces crimes dans la tête. Des crimes à en perdre le sommeil. Du sang sur les mains plus que dans les veines… Petit homme, que vas-tu faire ? Que t’est-il arrivé pour tomber si bas ? Je ne veux pas le savoir. Ne réponds pas. J’ai trop mal, trop peur pour nos enfants, pour les générations futures. Comment un enfant peut-il devenir un terroriste, un assassin, un criminel, un monstre, un moins que rien ? N’essaie pas de me dire que si t’es devenu ce que t’es aujourd’hui, c’est la faute à la société, à la famille et blablabla. On est toujours seul face à ses choix. Je regarde par la fenêtre, tout est vert, si vivant, si gai. Aux rayons de soleil se mélangent le chant des églises et le son des cloches. Du salon, à la télé, j’entends les chants de la mosquée. Le calme revient après l’orage. Comment expliquer l’explosion de la veille ? On voit, impuissants, désespérés, brûler nos maisons, nos vies, nos commerces. On tue, on crève. Achever la vie par des cris, s’approprier la douleur et la soif de survivre quand on ne peut plus sentir. Tuer pour se sentir vivant. Théâtre de la cruauté. Déception intense. Muriel BÉJANI

On m’a dit : Tu croiras en l’homme. Tu prieras un Dieu unique et juste, bon et grand. Tu ne feras de mal à personne. Tu prieras pour l’égalité et la paix… Tu vivras heureux.
J’ai récité mes leçons. J’ai visité le monde. Partout je n’ai vu que des bombes. La haine. La destruction. Les enfants pleuraient. Les hommes mouraient. Et moi… je regardais incrédule le monde et...